Il est indéniable que quelle que soit la source d'approvisionnement, beaucoup de pays africains vont devoir faire face maintenant, et dans les mois à venir, aux conséquences de la crise russo-ukraine, pour garantir leur approvisionnement en blé et assumer des records du prix du blé quand on sait que les importations en céréales du continent dépendent, dans leur majorité, de ces deux Etats. « L'Afrique est concernée parce que la guerre russo-ukraine provoque déjà et provoquera des dégâts économiques considérables, notamment une flambée des prix de l'énergie, du transport, du blé et d'autres produits alimentaires. Les populations africaines vont être affectées et le coût pourrait être plus élevé qu'ailleurs, les Etats ayant des marges financières fort limitées pour atténuer l'impact des hausses de prix sur les familles », soulignait, entre autres, Gilles Yabi, responsable de Wathi, Think tank ouest-africain. C'était trois semaines après le déclenchement de ce conflit. Ses observations restent d'actualité puisque tous les experts et analystes s'accordent aujourd'hui à dire que l'Afrique risque de payer un lourd tribut de cette guerre, qui se déroule loin de ses frontières, en raison de la forte dépendance de ses importations de blé dans ces pays deux Etats, grands exportateurs en céréales en provenance de la Russie et de l'Ukraine, respectivement 37,3 millions de tonnes et 18,1. Sans compter également qu'ils font partie des plus grands producteurs de blés dans le monde à savoir : Chine, Union européenne, Inde, Etats-Unis, Canada, Pakistan, Australie, Turquie, Argentine, Iran. Résultat : la plupart des pays africains sont confrontés à la rareté des importations de blé avec ses corollaires de flambés des prix et, par ricochet, ses conséquences sur le panier de la ménagère. Policy Center News South, dans un rapport publié récemment, révèle que seize pays africains sont directement dépendants du blé russe et ukrainien. Dans cette configuration, l'Erythrée (3,6 millions d'habitants), reste le seul pays africain dépendant à 100% dans ses importations du blé russe et ukrainien, avec une contribution russe de 60% et ukrainienne de 40%. Majoritairement dépendants Viennent, ensuite, deux pays dépendant à 90% du blé russe et ukrainien. Ces deux pays, la Somalie et les Seychelles, respectivement de 16,8 millions et de 0,5 million d'habitants, ont en commun d'être majoritairement dépendants du blé ukrainien : à 90% pour les Seychelles, contre 50% pour la Somalie. Cinq autres pays africains ont une dépendance comprise entre 70 et 85%. Toujours par dépendance décroissante, on trouve la RD Congo (86,6 millions d'habitants) dépendante à hauteur de 85% du blé russe et de 5% du blé ukrainien, et l'Egypte (106 millions d'habitants) d'une dépendance globale à hauteur de 80%, soit 55% du blé russe et 25% du blé ukrainien. Un autre pays a une dépendance globale de 75% : Madagascar (29 millions d'habitants) à hauteur de 50% pour le blé russe et 25% pour le blé ukrainien. Enfin, un seul pays, le Bénin (11,8 millions de d'habitants), dépendant uniquement du blé russe à hauteur de 70%. Quant à 8 pays, leur dépendance serait comprise entre 65 et 56%. Et la liste est longue avec ses innombrables casse-tête chinois. On comprendra dès lors que l'Afrique est touchée de plein fouet par cette crise car tous les pays du continent sont concernés à des degrés divers. Au Maghreb, l'Algérie est le second importateur africain de blé, derrière l'Egypte, avec des exportations estimées sur la campagne 2021/2022 à 7,7 M, qui s'ajoutent aux 3,6 Mt produites sur le sol algérien. Production algérienne en retrait de 1 Mt par rapport à la campagne de 2020/2021, du fait de conditions climatiques très défavorables. Quant au Maroc, il s'en sort relativement bien même si le royaume reste le troisième importateur de blé du continent, produit du blé en quantité variable selon les conditions climatiques. Ainsi, en 2021, de bonnes conditions climatiques ont permis de réduire les importations de blé de 0,7 Mt, passant sous la barre des 5 Mt, estimées à 4,5 Mt. Ce qui caractérise les importations marocaines, soutiennent les experts, c'est la diversité des fournisseurs. Ainsi, on y trouve l'Ukraine (25%), la Russie (11%), la France (40%) et le Canada pour la quasi-totalité de l'importation du blé dur. Tirer des leçons Compte tenu de ces conséquences prévisibles et inévitables, les responsables africains, pays donateurs et ONG se mobilisent pour faire face afin d'inviter, au continent, une crise alimentaire après celle de la pandémie liée à la Covid-19. En la matière, les chiffres sont édifiants. Ainsi la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) estime que 28 millions de personnes, dans cette région, pourraient se trouver en insécurité alimentaire. Le problème est également entier dans la Corne de l'Afrique. Idem pour le Centre. En prévision de ces crises alimentaires sur le continent, l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) vient d'annoncer avoir réuni une somme d'environ 1,79 milliard d'euros au niveau international pour aider les pays du Sahel et d'Afrique de l'Ouest à lutter contre l'aggravation de la famine. Tandis que la France et les USA ont promis d'augmenter leurs aides financières. Toujours est-il que la guerre russo-ukraine devrait amener les Etats africains à tirer des leçons tout comme il devrait en être de même pour Coronavirus en matière de structures sanitaires. Pour le cas présent, la diversification des sources d'approvisionnement en céréales reste la condition sine qua non pour éviter une insécurité alimentaire sur le continent, dans les années ou les décennies à venir. Wolondouka SIDIBE Bon à savoir Le conflit entre la Russie et l'Ukraine, grenier à blé de la mer Noire, va impacter lourdement, et peut-être durablement, le marché mondial de cette denrée, en premier lieu les principaux pays/clients importateurs des deux belligérants, à commencer par l'Afrique, où le pain est devenu, à tort ou à raison, un aliment de base. Aussi cette crise met-elle en évidence la nécessité de toujours diversifier ses approvisionnements et de conserver, si possible, la souveraineté nationale dans des domaines aussi sensibles que l'alimentaire, comme le recommandent fortement le rapport du PCNS. A cet égard, on peut citer le cas du Maroc et du Nigeria, lesquels ont su le faire. Ce qui est loin encore pour le cas des autres. En effet, quelle que soit la qualité des alliances au moment où on confie à d'autres pays sa souveraineté alimentaire, ne jamais oublier qu'elles peuvent évoluer, se détériorer. D'où la nécessité de conserver sa souveraineté alimentaire. Ce qui signifie d'avoir une agriculture privilégiant d'abord les cultures vivrières, le blé en est une, lorsqu'on a la chance de pouvoir le faire.