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Dotation en devises : Opportunité pour l'investissement ou futur casse-tête fiscal ?
Publié dans L'opinion le 18 - 01 - 2022

La récente décision de l'Office des Changes d'unifier la dotation en devises en investissement, en la portant à 200 millions de Dh, devrait donner un coup de fouet aux IDE marocains au niveau continental, tout en offrant un cadre légal aux investisseurs marocains.
L'année commence sur une bonne note pour les investisseurs marocains qui désirent étendre leurs activités à l'étranger, notamment sur le continent africain. L'Office des Changes a en effet, pour la troisième fois depuis 2007, allégé les modalités pour les personnes morales résidentes au Maroc concernant le transfert des fonds à l'international sans accord préalable. Exit les deux plafonds dits « Afrique » de 100 millions de dirhams et « Reste du monde » de 50 millions, et place désormais à un plafond unifié de 200 millions de dirhams.
Joint par « L'Opinion », l'économiste Yasser Tamsamani met en avant une certaine cohérence au niveau de la gestion par l'Etat de la valeur externe du dirham vis-à-vis des devises étrangères. Il explique que pour maîtriser l'évolution de la valeur externe d'une monnaie et contenir sa volatilité qui risque d'être nuisible à l'économie et à la formation des anticipations des agents économiques, les autorités monétaires disposent de deux leviers : la fixité de la parité de la monnaie, en mettant en place un régime de change non flexible, d'une part, et la maîtrise de degré d'ouverture du compte capital en régulant les entrées et les sorties des capitaux, d'autre part.
Ainsi, lorsqu'on maintient le contrôle sur le marché du change avec par exemple une monnaie ancrée sur un panier de devises comme c'est bien le cas au Maroc, on peut se permettre d'ouvrir davantage le compte capital. Le docteur en économie de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne poursuit en nuançant ses propos : « Cela dit, l'ouverture du compte capital porte toujours dans ses gènes le risque aussi bien des mouvements spéculatifs des capitaux financiers que d'optimisation fiscale dans des paradis fiscaux. Les autorités doivent se montrer vigilantes et ingénieuses lors du paramétrage des mesures prises».
En effet, suite aux différents Conseils de Bank Al-Maghrib (BAM) tenus depuis juillet 2021, son gouverneur, Abdellatif Jouahri, n'a cessé de balayer de la main un éventuel élargissement de la bande de fluctuation du dirham dans un contexte de crise sanitaire, et ce, malgré l'insistance du FMI. « Les conséquences d'un nouvel élargissement seraient plus dommageables si on devait s'engager puis revenir en arrière». Et d'ajouter que, tout simplement, « le Maroc n'est toujours pas prêt ». Le contre-exemple historique demeure celui des pays asiatiques qui ont ouvert d'un cran le compte capital et flexibilisé davantage le régime de change, ce qui les a conduits directement à la crise.
Comment la politique fiscale devrait-elle suivre ce nouvel assouplissement ? « La situation est encore floue pour l'instant », estime Yasser Tamsamni. Un plafond unifié pour les quatre continents rend en effet difficile de suivre si ces investissements vont être amenés à être placés dans des paradis fiscaux, ou si les gains engendrés seront rapatriés au Royaume et sur quelles bases vont-ils être imposés. La balle est désormais dans le camp de la Direction Générale des Impôts (DGI) qui devra communiquer de nouvelles mesures aux entreprises nationales actives à l'étranger. Une chose est sûre : la nouvelle instruction de l'Office des Changes donne une nouvelle dimension internationale pour laquelle une mise à jour de l'arsenal fiscal demeure nécessaire.
Sur le terrain, l'Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX) se réjouit également de ce nouveau pas, et espère aujourd'hui que la présence des investisseurs marocains en Afrique soit plus formalisée. Son président, Hassan Sentissi, s'attend à un accroissement immédiat des investissements marocains. « Cette décision s'inscrit dans la continuité des actions menées par les différentes institutions publiques, et qui suivent la volonté de Sa Majesté à promouvoir les investissements des entreprises marocaines en Afrique. Par ailleurs, les investissements marocains à l'étranger ont toujours un effet ricochet positif sur le pays, tout le monde sortira gagnant ».
Que manque-t-il désormais aux investisseurs marocains pour investir davantage sur le continent ? « Un cadre pour les investisseurs africains établi par l'Union Africaine », ajoute notre interlocuteur, qui déplore le manque de coopération entre les investisseurs africains en Afrique. « C'est l'occasion idéale pour le Maroc d'initier un accord continental pour que les investisseurs aient un certain nombre de garanties économiques, fiscales, mais aussi politiques et sécuritaires »,conclut-il.
Mohamed BERRADA
Repères
Investissements : un plafond en hausse continue depuis 2007
Depuis la mise en place de réglementations strictes durant les années quatre-vingt et jusqu'en 2007, les opérations d'investissement à l'étranger étaient soumises à l'accord préalable de l'Office des Changes. Par la suite, les personnes morales résidentes ont été autorisées, pour la première fois, à transférer jusqu'à 30 millions de dirhams par an, sans passer par l'établissement public. Trois ans plus tard, un plafond de 100 millions de dirhams a été fixé pour les investissements à destination des autres pays africains, et de 50 millions de dirhams pour le reste des continents. Aujourd'hui, un seul et unique plafond de 200 millions de dirhams unifiant les deux précédents.

Une seule dotation voyage pour les personnes physiques
Avant 2022, un Marocain désirant se rendre à l'étranger pour étudier, se soigner ou effectuer son pèlerinage devait traverser un labyrinthe administratif pour activer une dotation spécifique supplémentaire qui s'ajoute aux 45.000 dirhams de la dotation touristique. Aujourd'hui, l'Office des Changes annonce l'unification de toutes les dotations sous une seule dite « Dotation voyages pour personnes physiques ». D'un montant de base de 100.000 dirhams par an, elle peut être majorée de l'équivalent de 30% de l'IR. Le montant total ne doit pas dépasser 300.000 dirhams par personne et par année.
L'info...Graphie
Sortie illégale de devises
Plus de souplesse pour moins de fraudes ?

Le timing de cette décision est-il justifié par une volonté de l'Etat de réduire le transfert illégal de devises à l'étranger ? C'est ce que pense notre interlocuteur, l'économiste Yasser Tamsamani : « En augmentant la marge légale, on réduit la sortie illégale des devises. Le Maroc souffre depuis plusieurs années de ce problème ». L'information révélée en novembre dernier par le site espagnol OK Diario, selon laquelle nos compatriotes sont les premiers ressortissants étrangers à acheter des logements en Espagne, avait soulevé la problématique de la fuite des devises à l'étranger.
Les chiffres du Conseil général des notaires espagnols indiquent que 5159 logements ont été acquis par des personnes de nationalité marocaine, lesquelles se sont accaparé 10,8% des achats de biens immobiliers sur le marché espagnol. Des polémiques similaires ont également eu lieu après des annonces de l'acquisition par plusieurs Marocains de fonds immobiliers en France.

Transferts des MRE
2021, année record

L'explosion de transferts de fonds par les Marocains résidant à l'étranger aurait-elle encouragé l'Etat à faire preuve de plus de souplesse sur la sortie des devises de notre territoire ? L'année 2021 a en effet connu un record, puisque notre diaspora a transféré pas moins de 100 milliards de dirhams (MMDH), selon le ministre délégué chargé de l'Investissement, de la Convergence et de l'Evaluation des politiques publiques, Mohcine Jazouli.
Devant la Chambre des Représentants le 10 janvier, le ministre a fait savoir, en réponse à une question posée par le groupe istiqlalien « Pour l'Unité et l'Egalitarisme », que les transferts d'argent des Marocains du monde sont passés de 70 MMDH en 2020 à 100 MMDH en 2021, malgré les répercussions de la pandémie du Covid-19. Le ministre a souligné que 10% de ces transferts enregistrés l'an dernier ont été canalisés vers l'investissement, notant que 8 MMDH ont été investis dans le secteur immobilier et 2 MMDH dans les secteurs productifs.
Ces chiffres, qui restent importants, «nous incitent à redoubler d'efforts afin d'encourager les Marocains résidant à l'étranger à investir plus dans leur pays d'origine et d'atteindre 20 ou 30 MMDH, par exemple, à court terme, ainsi que d'améliorer le taux d'investissement ciblant les secteurs productifs».

Trois questions à Mehdi El Fakir, expert-comptable & analyste économique
« L'Office des Changes a toujours réservé un traitement particulier au continent africain »

- Pourquoi augmenter la dotation des investissements aujourd'hui ?
- Il est clair aujourd'hui que la volonté des pouvoirs est d'appliquer les recommandations du Nouveau Modèle de Développement qui veulent faire de notre économie nationale une économie ouverte et créatrice de valeurs ajoutées. Le gouvernement envoie déjà des signaux selon lesquels l'économie marocaine s'internationalise davantage, dans un contexte de perturbation des marchés internationaux qui peut profiter au Maroc pour se faire une place, notamment en Afrique.
- Est-ce que c'est un appel aux investisseurs marocains de se concentrer encore plus sur le continent africain ?
- Absolument. Même au niveau de l'instruction générale de l'Office des Changes, le traitement particulier du continent africain est la règle. Le Maroc cherche à se positionner en tant que hub régional en matière d'investissement, et est le premier investisseur en Afrique. C'est un statut que nous cherchons toujours à consolider dans un contexte post-Covid favorable à la relance et aux investisseurs.
- Quelles sont les mesures fiscales qui devraient être mises en place pour accompagner un tel assouplissement ?
- Ces mesures sont prévues dans la Loi de Finances 2022. Je cite l'exemple de la baisse de l'enveloppe des projets d'investissement éligibles à l'exonération de la TVA, qui est de l'ordre de 50 millions de dirhams. Il faut revoir les taux d'investissement pour le rapatriement des dividendes de l'étranger. Il faut que toutes les sociétés qui s'expatrient puissent bénéficier d'un traitement particulier en matière fiscale, c'est-à-dire que la taxation des dividendes et des résultats soient bonifiée. Idem pour les charges engagées à l'étranger, qui doivent bénéficier du maximum d'exonération et d'abattement possible.
Recueillis par M. B.


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