La violence des élèves à l'encontre des enseignants continue d'entraîner une myriade d'interrogations sur le devenir de l'institution éducative. Une réflexion profonde sur les facteurs provoquant ce phénomène est de mise pour pouvoir l'éradiquer. Le premier semestre de la présente année scolaire est marqué par moult débats sur la violence au sein des établissements éducatifs. Toutefois, la violence à l'égard des enseignants reste la laissée-pour-compte des questions abordées par les acteurs du secteur. Un phénomène alarmant qui s'est infiltré dans les classes depuis des années, mettant à risque l'épine dorsale d'un système fondamental et stratégique pour la prospérité de notre pays. Un enseignant pourrait parfois être en butte à diverses formes de violence, verbale, physique ou psychologique, ce qui obstrue le processus d'enseignement-apprentissage et rend l'atmosphère dans les temples de l'apprentissage toxique. Dans la majorité des cas, les enseignants ne se prononcent pas beaucoup sur la violence dont ils font l'expérience au cours de l'exercice de leur travail, craignant généralement que cela mette en question leur capacité à gérer la classe. Dans cette optique, loin de justifier cette espèce de violence, il faudrait mettre en lumière les facteurs qui la motivent, car bien évidemment la remédiation au dilemme dépend du ciblage des foyers de dysfonctionnement. Qu'est-ce qui déclenche la violence au sein de la classe ? Comptant à son actif de nombreuses années d'expérience au sein de l'enseignement public, Mohammed Raoidi, enseignant retraité nous indique que la violence pourrait être inextricablement liée à l'essor même de l'opération d'enseignement-apprentissage. Autrement dit, l'apprenant risque d'être en butte à une violence symbolique, résultant de l'atmosphère d'apprentissage ou encore du programme d'enseignement. Cette violence symbolique risque parfois de s'incarner dans le passage à un acte de violence physique à l'encontre du médiateur de ce programme. De plus, le professeur incarne l'adulte en classe. De ce fait, le refus de l'élève à se conformer aux règles prescrites par l'enseignant pourrait traduire une rébellion envers l'autorité de l'adulte qui s'apparente à l'autorité du père. Dans le sillage du non-respect du pacte pédagogique, l'instituteur pourrait éliminer l'élément perturbateur de la classe ou notifier l'équipe éducative, et là encore, la violence pourrait se manifester. Il faut crever l'abcès La société a tendance à tirer son épingle de la responsabilité d'éduquer. "Cette mission est confiée exclusivement au système éducatif, à savoir le ministère de l'Education et ses acteurs, notamment au enseignants auxquels les échecs des élèves sont imputés. Or, l'éducation est un projet sociétal", précise Pr. Touri Bouzekri, professeur en psychologie éducative à l'Université Hassan II de Casablanca. M. Touri indique par ailleurs que l'explication de ce phénomène est inextricablement liée à l'examen des rouages qui le constituent. Il procède à l'étalage d'un large éventail de facteurs éducatifs et souligne entre autres le problème de la massification au sein de l'école publique qui pourrait mener à l'incapacité de l'enseignant à contrôler les comportements de toute la classe. De surcroît, les failles en matière de prérequis risquent d'obstruer le processus d'enseignement-apprentissage vu le fossé colossal entre les prérequis et les objectifs pédagogiques. Attendu que l'enseignant fixe des objectifs qui nécessitent un bagage requis pour l'accomplissement de l'apprentissage, et qu'il ne serait toujours pas envisageable de faire un pas en arrière, quelques élèves peuvent se sentir étrangers à la classe et faire preuve de désengagement vis-à-vis de l'opération d'enseignement-apprentissage. Pour corollaire, la tricherie fait irruption, et c'est là où les conflits se déclenchent dans une situation où l'enseignant veille à contrer la fraude, et l'apprenant qui voudrait réussir son examen à tout prix. Il s'agit d'une situation déplorable et la nécessité est de plus en plus pressante pour enrayer cette spirale. Cette fin demeure, bien évidemment, dépendante du renforcement de l'arsenal juridique dédié à la protection du cadre éducatif contre les éventuelles transcendances des limites, et ce en mettant en place des dispositions strictes pour réprimer toute espèce d'actes de violence. Ikram Karym Repères Le NMD: des perspectives prometteuses Le nouveau modèle de développement sanctuarise une myriade de perspectives prometteuses afin d'assurer une renaissance effective du secteur de l'enseignement. Le capital humain, les contenus et les méthodes comme l'infrastructure scolaire sont désormais au centre d'intérêt de la réforme. S'agissant de l'enseignement supérieur, le NMD ambitionne à améliorer la qualité des formations académiques et professionnelles pour, d'une part, encourager les étudiants à poursuivre leurs études au Maroc au lieu de se tourner vers les universités étrangères, et d'autre part pour booster la capacité du royaume à recevoir des étudiants étrangers. Lentement mais sûrement, le Maroc fait preuve d'ambition et de rigueur pour s'ériger en hub régional en enseignement.
L'espace d'intimité favorise l'apprentissage Pr. Touri note qu'en abordant la violence au sein du milieu éducatif, il est indispensable de tenir compte des aspects sociaux qui conditionnent fortement le comportement des apprenants en classe. La recrudescence du divorce et de l'abandon des enfants influent sur le profil psychologique des apprenants et sur leurs représentations de l'institution scolaire, et par conséquent sur la performance et la conduite de l'apprenant. Lorsque les élèves sont issus de milieux défavorisés, les conditions d'habitat défavorables peuvent être à l'origine d'une absence d'espace d'intimité pour l'enfant / adolescent, notamment, pour étudier. De plus, l'instabilité des foyers et la fréquentation des délinquants peuvent également être parmi les facteurs susceptibles de pousser les apprenants à manifester une conduite violente envers l'école et les acteurs pédagogiques. L'info...Graphie Enseignement Lorsque l'amertume de la violence est vécue par l'apprenant La violence et le harcèlement au sein des institutions d'enseignement risquent d'être à l'origine des déperditions scolaires. Selon un rapport récemment rendu public par l'UNESCO, plus de 30 % des élèves dans le monde ont été victimes de harcèlement, ce qui a des conséquences néfastes sur le rendement scolaire ainsi que sur la santé physique et mentale et contribue considérablement à l'augmentation des taux de déscolarisation. En effet, la violence envers l'élève pourrait se manifester sous différents aspects, entre autres la violence psychologique telle que les moqueries, l'humiliation ou le rejet, ou encore des formes concrètes de violences, de harcèlement, d'intimidation sexuelle et de cyber-harcèlement. Le rapport indique que les auteurs des violences peuvent être les pairs, les enseignants ou un membre du personnel de l'école, mais "les données disponibles montrent que la violence perpétrée par les pairs est la plus courante". Faire l'expérience de la violence influe sur l'engagement de l'apprenant dans le milieu scolaire et génère un sentiment d'exclusion et pourrait culminer dans l'abandon de l'école.
INE Carnet de route pour une réforme fructueuse
L'Instance Nationale d'Evaluation du système d'éducation , de formation et de recherche scientifique (INE) a lancé un programme national d'évaluation des acquis des élèves de la 6ème année primaire et 3ème année secondaire collégiale – PNEA 2019 dont le rapport a été publié en fin du mois écoulé. Le climat scolaire a constitué un axe crucial dans l'étude élaborée. Il réfère à une série de paramètres qui conditionnent la perception des acteurs éducatifs et leurs interactions ainsi que leur impact sur le rendement de l'école. L'étude cible cinq aspects. En ce qui concerne le volet du climat relationnel, l'étude touche plusieurs dimensions qui incluent les interactions des différents acteurs au sein de l'institution scolaire : élèves, enseignants et personnel administratif et montre leurs effets immédiats sur le psychologique, mental et social, vécu scolaire et les scores des élèves mais également sur leur développement. S'agissant du relationnel enseignants-administration, il détermine fortement la capacité de l'enseignant à gérer la classe. L'étude a démontré également que la qualité des relations entre l'enseignant et les apprenants aussi bien que celles entre l'élève et ses pairs impactent positivement les acquis des élèves du primaire tandis que l'impact de ces deux dimensions demeure timides pour les collégiens. Au climat relationnel, s'ajoutent le climat de sécurité et le climat de justice qui déterminent fortement les perceptions des élèves du milieu éducatif et impactent leur rendement.
3 questions à Bouzekri Touri "Il faudrait mettre les jalons d'une vision réaliste afin de remédier au démantèlement social entre enseignant et apprenant"
Bouzekri Touri, professeur en psychologie éducative à l'Université Hassan II de Casablanca a répondu à nos questions sur les facteurs qui entrent en jeu dans la question de la violence en classe. -Quelles sont les transformations sociales et idéologiques qui expliquent la recrudescence du phénomène de la violence à l'encontre des enseignants ? -D'emblée, il conviendrait de signaler l'impact des discours pessimistes hostiles à l'enseignement qui se sont répandus dernièrement comme une traînée de poudre, en le liant à l'idée d'horizons peu prometteurs, voire opaques, ce qui déstabilise la concentration sur la scolarisation et génère une incapacité à adhérer à la discipline de l'école. De plus, le trafic de drogues et la consommation des séries délinquantes, dépeignant un monde anarchique, dénué de règles, accentuent à leur tour la prise de l'ampleur de l'indiscipline. -Pensez-vous que les réseaux sociaux ont un rapport avec la prise de l'ampleur du phénomène ? -Déjà il existe généralement un grand décalage d'âge entre les enseignants et leurs apprenants, et internet élargit davantage cet écart car les jeunes communiquent dans un monde méconnu par les adultes, un monde où l'idéal est désormais accessible en un clic. De plus, les plateformes virtuelles ont entraîné une invasion de l'information inutile et délinquante ce qui accentue le déphasage avec l'institution éducative. -Quelles perspectives pour contrecarrer le phénomène ? -Il faudrait mettre les jalons d'une vision réaliste afin de remédier au démantèlement social entre enseignant et apprenant. En outre, la nécessité est désormais pressante pour implémenter dans les institutions scolaires une cellule de spécialistes en psychologie scolaire pour identifier les éventuels troubles comportementaux et assurer le suivi des cas problématiques détectés. Quant à la gestion de l'autorité en classe, le manque de contrôle aussi bien que l'excès d'autorité posent problème, le dosage de l'autorité pourrait constituer un gage d'une classe stable, avec notamment une implication sérieuse de la part de l'administration et de l'environnement de l'école à proportion égale.