Pour atteindre une souveraineté numérique, les membres de l'Observatoire Marocain de la Souveraineté Numérique (OMSN) estiment qu'il est temps d'agir. Eclairage et réponses - Samedi dernier, l'Observatoire Marocain de la Souveraineté Numérique (OMSN), premier thinktank marocain dédié à la souveraineté numérique, a vu le jour : est-ce l'émergence de nouveaux concepts de travail qui vous a encouragé à le lancer ? - L'idée a émergé en pleine crise sanitaire, qui a chamboulé notre pratique du digital. On était obligés d'adopter de nouveaux modes de travail, notamment le télétravail, les cours à distance, et la dématérialisation des services publics pour éviter les rapprochements physiques. Selon de nombreux experts, grâce au Covid, les sociétés ont pu gagner de 5 à 10 ans de transformation numérique. En étant un groupe d'experts du digital et des nouvelles technologies, nous avons estimé qu'il est temps d'ouvrir une réflexion et un débat national sur la souveraineté numérique. Nous avons pensé à créer un think-thank, un groupe de réflexion et non pas une association classique qui soit là juste pour sensibiliser, en vue de mener des études, publier des rapports de tendance, promouvoir la pratique digitale au Maroc, sur le plan régional, continental et international. Dans ce cadre, l'OMSN a vu le jour. Son principal objectif est de vulgariser le concept de la souveraineté numérique. Aujourd'hui, on en parle à l'échelle mondiale. Selon plusieurs experts européens du digital, 80% des données européennes sont stockées et gérées hors Europe, par des entreprises chinoises ou américaines. La question de la souveraineté numérique n'est pas une question nationale ou régionale, mais plutôt mondiale. C'est toute la souveraineté des Etats qui est mise en jeu. Dans ce sillage, nous souhaitons créer un modèle marocain de la souveraineté numérique qu'on peut exporter avec fierté dans les prochaines années. Notre vocation est de rendre le Maroc comme étant une référence et un hub régional en termes de souveraineté numérique. - L'OMSN est une initiative émanant d'une prise de conscience de l'importance d'encourager l'indépendance technologique et numérique du Royaume. Où en est-on actuellement ? - Dans le cadre de l'Observatoire, nous lancerons un baromètre de souveraineté numérique de notre pays, en mettant sous analyse le degré de maturité digitale, l'appropriation digitale par les différents secteurs d'activité... Tout cela fera l'objet d'une étude pour répondre avec plus de détails à votre question. Pour vous donner un écho rapide par rapport à là où on est aujourd'hui sur le plan de l'indépendance numérique, c'est tout le cauchemar de tous les Etats, pas uniquement du Maroc, qui dépendent de structures américaines et chinoises qui définissent des paramètres, changent des algorithmes à tout moment, suppriment des contenus... sans se fier aux règles des Etats. On n'est pas de même taille que ces structures là pour pouvoir arrêter l'usage de ces plateformes. On demande à ce qu'il y ait un usage réfléchi.
Notre vocation est de rendre le Maroc une référence et un hub régional en termes de souveraineté numérique - Concrètement, de quels atouts le Maroc dispose pour un vrai décollage numérique ? - Le Maroc en a beaucoup. Sur le plan institutionnel, le Maroc est plus que prêt et a tout ce qu'il faut, en disposant de l'Agence de Développement du Digital (ADD) et de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP). La création d'un département du numérique, qui faisait partie du ministère de l'Industrie, et qui est désormais rattaché au chef du gouvernement, dans le cadre d'un ministère délégué, est un bon signe. Ce qui est pour nous un signal très positif que le digital sera une priorité stratégique de ce gouvernement. Sur le plan académique, il y a beaucoup de chercheurs qui travaillent sur la thématique de la transformation digitale et la gestion des données. Il y a également un Data Center à l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Benguérir. En termes d'outillage numérique, je pense que le Maroc a fait beaucoup de progrès en facilitant l'accès aux nouvelles technologies. Tous ces atouts font qu'on peut faire un décollage numérique. - La création du ministère chargé de la Transition numérique et de la Réforme administrative est-elle un vent d'optimisme sur la souveraineté numérique du Maroc ? - Effectivement, c'est un bon signe, dans la mesure où c'est rattaché au chef du gouvernement. Donc c'est un portefeuille qui sera en interdépendance avec l'ensemble des secteurs d'activité. A mon sens, le fait de le rattacher au chef du gouvernement est le signe que c'est un département qui va travailler en permanente interaction avec l'ensemble des secteurs d'activité : économique, social, culturel, sportif... - Donc, tous les éléments et ingrédients sont là, y compris la volonté politique. Quel est le déclic qui manque pour décoller ? - Effectivement, la volonté politique n'est plus une entrave. Or, ce qui manque aujourd'hui est la création d'une synergie avec l'ensemble de l'écosystème digital et numérique au Maroc en essayant de déterminer qui fait quoi pour éviter le chevauchement des fonctions et créer une certaine harmonie. Au sein de l'Observatoire, nous serons dans une démarche collaborative avec l'ensemble des acteurs de l'écosystème pour que l'on puisse sortir avec une feuille de route de stratégie nationale concertée, pour qu'on puisse optimiser en termes d'efforts et réussir ensemble ce décollage numérique. Pour moi, c'est une question de synergie et de trouver le maestro qu'il faut pour harmoniser ce « concert digital ». - Par ailleurs, dans le rapport du Nouveau Modèle de Développement (NMD), s'il y a un volet moins débattu que les autres, c'est bien le numérique. Quelle lecture en faites-vous ? - Je ne suis pas d'accord sur le fait que le NMD n'avait pas débattu suffisamment du numérique. Il y a déjà beaucoup d'acquis en termes de développement digital au Maroc. La Commission a évoqué le numérique pour dire que c'est un vecteur stratégique. Je pense que la meilleure traduction de la consigne de la Commission est le fait d'avoir aujourd'hui un ministère chargé du numérique. La consigne a été bien prise en considération. Propos recueillis par Safaa KSAANI