Plus de 45% des demandes d'accès à l'information ignorées, 90% des plaintes ne trouvent pas de réponses, des ministères qui n'ont pas pris la peine de répondre à aucune demande d'accès à des informations... un bilan critique une année après la mise en place effective de la loi 31-13. La mise en place de la loi n° 31-13 sur l'accès à l'information en 2018, et son implémentation au cours des deux dernières années, fournit un cadre pour l'accès aux informations détenues par les institutions d'Etat. Il n'y a pas de doute que cette loi a permis de définir l'engagement de l'Etat marocain envers ses citoyens, comme elle a accordé au Royaume une reconnaissance à l'échelle internationale pour ces efforts en termes de transparence et d'accessibilité. Toutefois, beaucoup de citoyens, d'associations et d'institutions déplorent aujourd'hui un manque de réactivité de la part des institutions publiques envers leurs demandes. 90% des plaintes ignorées Les citoyens et institutions marocains sont loin de disposer pleinement de leur droit d'accès à l'information. C'est ce qu'a révélé un rapport fuité, préparé par le ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration, qui fait le point sur les résultats des mesures prises, ainsi que des efforts déployés pour activer le droit à l'information au niveau des secteurs ministériels et des institutions. En effet, au cours de la première année d'entrée en vigueur de la loi, 2316 demandes ont été adressées aux administrations publiques via le portail électronique, et 45% des demandes déposées ont été « ignorées », après l'expiration des délais légaux, alors que la loi fixe des délais clairs pour répondre aux demandes, les accepter ou les rejeter avec justification, ou pour demander une prolongation du délai de réponse. D'ailleurs, le rapport révèle que 90% des plaintes concernant l'accès à l'information n'ont pas eu de retour (42 dossiers traités sur 415), ce qui constitue une violation de la loi. Pour un renforcement de l'indépendance des commissions L'indépendance des organes et commissions de l'accès à l'information représente l'une des solutions et un élément essentiel de la mise en oeuvre de ce droit névralgique pour notre société. En effet, ces commissions jouent un rôle essentiel dans la vulgarisation, la formation, le suivi et l'évaluation de la mise en oeuvre de ce droit. Il est donc essentiel d'assurer leur indépendance physique et financière et de leur permettre de fonctionner avec du personnel qualifié qui portera la mission auprès du gouvernement, des institutions, de la société civile, des médias et du citoyen en général. C'est ce qu'a souligné M. Omar Sergouchni, président de la Commission du Droit d'Accès à l'Information, lors d'une journée de commémoration de la journée universelle du droit d'accès à l'information organisée par l'UNESCO et la CDAI mardi. « La Commission souligne le lien étroit entre l'exercice de ce droit et la promotion de l'ouverture à la démocratie participative, le développement d'une société de connaissance et de citoyenneté, où pourront s'épanouir les valeurs telles que la transparence, l'intégrité, la bonne gouvernance, la reddition des comptes, le renforcement de l'Etat de vérité et de droit, la participation au contrôle de l'administration publique », avait souligné le chef de la CDAI. Dans un monde interconnecté qui fait face à des changements aussi rapides qu'imprévisibles, comme nous le vivons depuis près de deux ans, la mise en place de systèmes d'accès à l'information justes, équitables et participatifs au Maroc est cruciale à la justice, la paix, le développement et la sécurité pour tous. Hiba CHAKER
3 questions à Saïd Khomri, Professeur et chef du département de droit public à la FSJES de Mohammedia « La bonne exécution du droit d'accès à l'information sera plus réalisable dans le cadre du nouveau gouvernement »
Parmi les choses les plus épinglées par les citoyens et les professionnels figure le droit d'accès à l'information. Quel bilan faites-vous 2 ans après la mise en place de la loi 31-13 ? En tant qu'académicien, je dirai qu'il n'y a pas assez d'études scientifiques ou officielles sur le bilan des avancées qu'a permis la mise en place de la loi 31-13. Toutefois, j'estime que cette loi a annoncé le début d'un élan positif et contribue à la consolidation de la confiance entre l'administration et ses usagers, ainsi qu'au développement de la prise de conscience juridique et administrative chez les citoyens. Cependant, la façon dont la loi n° 31-13 a été définie, ainsi que son implémentation courante, sont en train de soulever des questions importantes sur sa portée. Multiples sont les limites d'accès à l'information mentionnées dans le texte de la loi. Il est temps de donner un nouveau souffle à la loi 31-13. Est-ce que la mise en place d'instances spécialisées permettrait un meilleur accès à l'information, des cours de justice spécialisés dans le traitement d'accès à l'info par exemple? Certes, plusieurs associations et ONG revendiquent la création d'instances spécialisées pour optimiser la mise en place et le suivi de l'application de la loi 31-13. Toutefois, je ne pense pas que c'est la bonne solution. La solution est l'amélioration du système judiciaire au Maroc et de son indépendance à travers la formation continue du personnel sur les bases des droits de l'Homme, en général, et surtout sur le droit d'accès à l'information. Le Maroc s'apprête à passer à une nouvelle étape avec le Nouveau Modèle de Développement (NMD) et un nouveau gouvernement. Cela pourrait-il nous faire passer à un réel et effectif droit d'accès à l'information ? Le NMD a souligné l'exigence des citoyens quant à l'efficacité de l'administration, à travers une simplification des procédures. Une plus grande écoute et proximité du citoyen et des opérateurs privés et une amélioration de la transparence et de l'accès généralisé aux données et à l'information sont de rigueur. Le nouveau gouvernement sera composé par les 3 partis classés premiers au scrutin du 8 septembre, à savoir le RNI, le PAM et l'Istiqlal, ce sont des partis qui ont des programmes qui convergent et permettent de lancer une vision gouvernementale homogène. Ainsi, la bonne exécution du droit d'accès à l'information me semble plus réalisable dans le cadre d'un gouvernement cohérent.