Abdellah El Amrani, journaliste et écrivain, patron du magazine La Vérité, nous livre un récit où il dresse un portrait succinct et conséquent de son ami de plusieurs décennies. Des noms sismiques s'y glissent. Avant d'être journaliste, Boubker Monkachi était un politique. Il est tombé très jeune dans la marmite politique concoctée par Mehdi Ben Barka en personne. Puisque le célébrissime homme de gauche marocain n'était autre que le correspondant à Rabat du petit Boubker venu en 1956 de son Ouazzane natal poursuivre ses études en élève interne au collège Moulay Youssef. Son frère aîné Ssi Thami, un lauréat d'Al Karawiyine et militant visible de l'Istiqlal, sollicitant assistance à son ami Mehdi Ben Barka pour satisfaire à cette exigence administrative, va être surpris de voir le président du conseil consultatif de l'époque se porter volontaire en personne à cette mission familiale. C'est à partir de cet épisode que vont se tisser des liens indéfectibles entre les deux hommes. C'est pourquoi l'assiduité d'une relation avec Mahjoub Ben Seddik ne commencera qu'après la disparition en octobre 65 à Paris de l'illustre Mehdi. Et ce fut par le truchement de My Abdallah Ibrahim de l'UNFP que Boubker fréquentait le siège de l'UMT où l'illustre marrakchi occupa un bureau après avoir quitté la présidence du conseil des ministres. Mohamed Fechtali, un des fondateurs de l'UMT m'avait confié en 1974, lorsque j'étais chargé de la traduction de l'éditorial d'Abdallah Ibrahim dans l'hebdomadaire arabophone Al Ittihad Al Watani Lil 9ouwat Acha3biya, que My Abdallah demandait régulièrement après Boubker pour lui tenir compagnie dans son bureau à la bourse travailliste. «Il apprécie de converser avec le jeune Boubker», concluait-il. Lettre ouverte à Sartre Lycéen, je suivais déjà Boubker dans l'hebdomadaire Libération que dirigeait un certain Professeur Mohamed Lahbabi. Son article publié en 1965 dans ce journal et intitulé «Lettre ouverte à Jean-Paul Sartre» était devenu pour moi un texte que je conservais comme une relique et lisais religieusement. Je n'oublie pas que c'est dans sa bibliothèque familiale, c'est à dire la mienne, que j'ai découvert Sartre, Camus, Simone de Beauvoir, Hemingway et tant d'autres. Boubker Monkachi était lecteur et collectionneur. Il a cherché, fouiné, déniché dans les archives, les marchés aux puces ou plus récemment sur Internet des documents consacrés à l'histoire des pensées et des civilisations. C'est lui qui me fit lire en 84 «Le livre des morts Tibétains». En 2010 alors que je recevais en sa présence un journaliste algérien dans la rédaction de mon hebdomadaire La Vérité, qui avait élu domicile dans la villa lui appartenant et jouxtant la sienne, la discussion s'anima au sujet de l'avenir du Maghreb. Le journaliste algérien évoqua soudainement le nom du leader kabyle Aït Ahmed. Du coup, Boubker se leva et s'éclipsa quelques minutes pour revenir avec quelques livres d'Aït Ahmed tous dédicacés élogieusement à l'attention de Boubker. Membre fondateur du SNPM Monkachi aimait répéter la fameuse phrase du général de Gaulle, à qui l'on attribue la remontrance lancée aux personnels du CNRS qui réclamaient des subventions : «Des chercheurs qui cherchent, j'en trouve. Mais des chercheurs qui trouvent, j'en cherche.» Boubker, lui, cherchait et trouvait ! Ses mémoires sont sûrement entreposées dans différents endroits de son domicile. Il m'en parlait rarement mais sa quête à en savoir davantage sur certains détails trahissait ses intentions éditoriales. Malheureusement, je n'ai jamais osé lui parler ouvertement de la question pour avoir le coeur net. Aujourd'hui, ma contribution à l'hommage rendu à notre cher disparu est bien modeste. Son parcours professionnel a été suffisamment évoqué et je souhaite davantage d'occasions pour parler de ses apports stratégiques à l'institutionnalisation de notre métier par la cofondation du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) aux côtés d'Abdelkrim Ghallab, Ali Yata et Omar Benjelloun. De même qu'il importe de jeter un éclairage sur ses fidélités en amitié notamment celle qui l'a lié au grand dramaturge Abdessamad El Kenfaoui et pour lequel il s'est débattu aux côtés de son épouse pour assurer au créateur le rayonnement qu'il mérite. 24 heures avant sa dernière hospitalisation, Boubker se plaignait à moi au téléphone de la solitude qui est devenue la sienne depuis le départ, il y a moins d'un an, de Ninette, la femme de sa vie. Abdallah EL AMRANI