Une croissance économique timide, un marché du travail chiche en opportunités et un taux de pauvreté qui bat son plein...tels sont les points saillants du rapport semestriel de la Banque Mondiale sur l'économie du Maroc, lequel exprime pourtant un certain optimisme quant aux projets de réformes en cours. Malgré les efforts fournis pour atténuer les effets immédiats de la pandémie sur les ménages et les entreprises et en dépit des diverses politiques mises en place pour corriger des inégalités de longue date et surmonter certains obstacles structurels qui ont limité par le passé la performance de l'économie nationale, le rapport semestriel de la Banque Mondiale présenté, mercredi, par l'économiste principal à la Banque Mondiale, Javier Diaz Cassou, démontre de manière limpide l'échec des mille et une réformes engagées par le Royaume depuis plus de deux décennies. Néanmoins, avec la création du Fonds Mohammed VI pour l'investissement, la refonte du cadre de protection sociale pour dynamiser le capital humain et la restructuration du vaste réseau d'entreprises publiques marocaines, le Royaume pourrait prendre, selon la Banque Mondiale, une trajectoire de croissance plus forte et plus équitable. Le rapport précise que les réformes précitées pourraient augmenter le potentiel de croissance de l'économie, premièrement, «en augmentant la contestabilité du marché, en renforçant la concurrence et en rationalisant le rôle des entreprises publiques dans l'économie, un nombre croissant d'entreprises privées pourrait accéder aux marchés, croître et créer des emplois ». Reprenant presque les mêmes éléments de langage, figurant dans le rapport du nouveau modèle de développement, les économistes de la Banque affirment qu'un secteur privé plus dynamique pourrait faire un meilleur usage du large stock de capital physique accumulé au cours des dernières décennies, augmentant ainsi les gains en termes de croissance des infrastructures existantes, dont la performance a été jusqu'à présent décevante. Ils estiment finalement qu'en boostant le rythme de formation du capital humain, un plus grand nombre de Marocains pourraient réaliser leur potentiel de productivité, « ce qui contribuerait à relever le niveau de vie et à accélérer la croissance économique », précise-t-on. Une saison agricole forte, une croissance irrégulière Le rapport de l'Institution indique que l'activité économique ne devrait pas retrouver son niveau d'avant la pandémie avant 2022, et la perte de production cumulée finale associée à la crise du Covid-19 sera importante. Bien que l'activité ait repris au second semestre, l'année 2020 s'est clôturée avec la plus grande récession économique jamais enregistrée, précise-t-on. Dans ce sillage, la même source prévoit un rebond de 4,6% de la croissance du PIB réel en 2021, soutenue par la bonne performance du secteur agricole et par une reprise partielle des secteurs secondaire et tertiaire. «Dans ce scénario de base, la production agricole dépasse les tendances historiques ; la campagne vaccinale progresse comme prévu ; la politique monétaire reste accommodante ; le processus d'assainissement budgétaire est progressif, avec une réduction modérée du déficit dès 2021», explique le rapport. La reprise des secteurs de l'industrie manufacturière et des services devrait être progressive (croissance de la valeur ajoutée de 3,4 et 3,1 % respectivement), initialement limitée par le ralentissement des partenaires commerciaux du Maroc en début d ́année et par un retour prolongé du tourisme international, ajoute la BM notant qu'après «deux années consécutives de sécheresse, les données préliminaires suggèrent que la saison agricole 2020/21 sera forte ». Cela dit, l'activité économique ne devrait pas retrouver son niveau d'avant la pandémie avant 2022, et la perte de production cumulée finale associée à la crise sanitaire sera importante. «Ce n'est qu'en 2022 que le PIB réel devrait retrouver son niveau de 2019 », estime le rapport, qui souligne que ses projections restent cependant soumises à une forte incertitude et la balance des risques reste orientée à la baisse. Epinglant les retards qu'accuse le Maroc en matière de lutte contre les inégalités et la diminution de la pauvreté, les économistes de l'Institution estiment qu'en 2021, la pauvreté devrait diminuer mais ne pas revenir au niveau d'avant la crise. «Grâce à l'expansion économique prévue pour 2021, la pauvreté devrait diminuer de 0,5 point de pourcentage et atteindre 6,6 % », indique-t-on. À son tour, le pourcentage de la population «vulnérable» à la pauvreté devrait diminuer lentement en 2021 pour atteindre environ 28,4 %, contre 29,6 % en 2020. Ces tendances devraient se poursuivre en 2022 et 2023, mais les indicateurs de pauvreté et de vulnérabilité pourraient ne pas revenir à la situation d'avant la crise de Covid-19 avant 2023. En outre, le rapport note que la pandémie a également exacerbé les vulnérabilités macro-financières du Maroc. Parmi les risques qui deviennent plus apparents à ce stade de la crise figurent un ratio dette/PIB déjà élevé qui pourrait encore augmenter si certains des engagements conditionnels (garanties de crédit aux entreprises) qui ont été accumulés comme l'un des piliers de la stratégie de relance se matérialisent. Il y a également un environnement de financement international qui pourrait devenir plus difficile pour les économies émergentes et en développement dans un contexte de hausse des rendements des bons du Trésor américain. L'augmentation continue du stock de créances en souffrance pourrait s'intensifier si la reprise économique ne s'accélère pas ou si les garanties de crédit publiques qui ont été mises en place commencent à être réduites, relève la Banque. Toujours dans le cadre des défis, le rapport informe que le Maroc a un niveau d'endettement comparativement élevé mais un portefeuille bien équilibré et que l'augmentation du stock de passifs éventuels constitue une source supplémentaire de risque budgétaire. Il souligne aussi que la couverture des besoins de financement budgétaire du Maroc pourrait devenir plus difficile dans un contexte de hausse des rendements mondiaux.
Le resserrement des liquidités auquel est confronté le secteur privé pourrait encore entraîner des défauts de paiement généralisés et éroder les fonds propres des banques», alerte la Banque Mondiale. Une croissance économique «pauvre en emplois» Bien que les mesures d'urgence adoptées par les autorités se soient avérées très efficaces pour amortir les effets de la pandémie sur les segments les plus défavorisés de la population marocaine, leur nature temporaire implique qu'une approche plus structurelle sera nécessaire pour garantir que les bénéfices de la reprise soient équitablement partagés, suggère les auteurs du document. À cette fin, la réforme en cours du cadre de protection sociale que les autorités mettent en avant est une étape importante, précise la même source. Néanmoins, pour accroître la prospérité partagée, la BM affirme que l'économie marocaine doit également générer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité que dans le passé récent, notant que malgré sa croissance soutenue au cours des dernières décennies, l'économie marocaine n'a pas réussi à générer suffisamment d'emplois pour absorber l'augmentation de la population en âge de travailler. Par ailleurs, le rapport indique que le défi de l'emploi au Maroc peut être envisagé sous deux angles différents : l'un lié à la pénurie d'emplois nécessaires pour satisfaire l'offre de main-d'oeuvre, et l'autre concernant la mauvaise qualité des emplois créés. «Les éléments qui contribuent à ces défis sont la forte croissance démographique, la faible intensité d'emplois créés par l'activité économique, la lenteur de l'amélioration de l'efficacité de l'utilisation des facteurs de production et la lenteur du changement structurel de l'économie», précise-t-on. Sur l'aspect démographique, Javier Diaz Cassou, l'économiste de l'Institution, a souligné que le Maroc « ne profite pas » de la nature de sa démographie qui est une fenêtre d'opportunité et une «force» qui malheureusement «ne contribue pas à la croissance ». Ainsi, la Banque Mondiale note que le Maroc doit relever un ensemble de défis spécifiques pour que le marché du travail contribue au développement et à la croissance économique, tout en générant des opportunités pour tous. Dans ce sillage, elle précise que quatre défis clés ont été identifiés comme des éléments cruciaux pour améliorer la performance du marché du travail marocain. Il s'agit de l'accélération de la transformation structurelle pour créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans des secteurs à plus forte productivité. Il faut également encourager la formalisation et améliorer la qualité des emplois et augmenter la participation des femmes à la population active (PFPA) et faciliter l'accès des femmes à de meilleurs emplois. Le rapport souligne également l'impératif de soutenir les jeunes dans leur transition de l'éducation au marché du travail et réduire le grand nombre de jeunes en chômage.
S.J. La Banque Mondiale se félicite du NMD
Le nouveau modèle de développement, qui vient d ́être publié, présente des éléments fondamentaux qui pourraient mener à une croissance économique plus favorable à l'emploi, a affirmé la Banque Mondiale dans son rapport. «Ce modèle de développement centré sur l'emploi comprendrait probablement un regain d'intérêt pour le développement humain et le renforcement des compétences pertinentes de la jeune population, une augmentation significative de la participation des femmes au marché du travail, une dynamisation du secteur privé en stimulant la concurrence et la compétitivité, un effort concerté pour utiliser les technologies financières et numériques afin d'atteindre un plus grand nombre de ménages et d'entreprises, ainsi qu'une révision des institutions du marché du travail existantes pour faciliter l'intégration et les transitions professionnelles», conclut-elle.