Grâce à "Haut et fort", le cinéma marocain sera, cette année, présent au plus prestigieux festival de cinéma du monde, après la sélection de ce long métrage dans la compétition officielle pour la Palme d'Or de la 74ème édition du Festival de Cannes. - Votre long-métrage "Haut et fort" participera à la compétition du Prix de la palme d'or du festival de Cannes, prévue du 6 au 17 juillet. Sur quels critères les sélectionneurs se basent-ils pour sélectionner les films participant à cette compétition ? - Ce sont des critères d'excellence, évidemment. Les sélectionneurs choisissent les propositions cinématographiques les plus fortes, les plus originales. A mon avis, ils sont plus sensibles au fond, aux propos et au langage cinématographique qu'à la technique. Autrement dit, ils s'intéressent plus à ce qu'un film apporte de nouveau au paysage cinématographique mondial. Dans cette compétition, seulement 23 films ont été sélectionnés parmi les 2.300 films proposés. - Justement, qu'est-ce qu'apporte "Haut et fort" au paysage cinématographique mondial ? - Il apporte mon point de vue et mon regard de cinéaste sur la jeunesse et sur les répressions qu'elle subit à travers un art que je considère comme très noble et un art urbain qui véhicule des valeurs qu'est le Hip-Hop. Ce que je montre dans le film est comment ces jeunes filles et garçons arrivent à parler d'eux, à s'exprimer et à raconter des choses sur ce qui les trouble, les fait rêver, les bouleverse dans la société. J'ai envie de dire, à travers "Haut et fort", que si les jeunes qui ont des talents sont accompagnés par quelqu'un qui leur transmet des valeurs positives, ils peuvent briller et réaliser leurs rêves. - Par ailleurs, votre projet "Film Industry", qui a vu le jour en 2005, a pris fin en 2010. Quel bilan en tirez-vous ? - C'est un projet qui a laissé beaucoup de traces. J'en tire un bilan forcément positif. Aujourd'hui, 90% des réalisateurs et même des scénaristes qui écrivent et qui réalisent pour la télévision marocaine, sont majoritairement issus de cette "Film Industry". C'était un révélateur de talents qui auraient peut-être mis 10 ou 15 ans de plus à éclore s'il n'y avait pas de "Film Industry". Ce projet a également montré beaucoup de comédiens talentueux, qu'on voit beaucoup au cinéma et à la télévision marocaine. Enfin, d'un point de vue économique, cela a fait gagner de l'argent à la télévision marocaine. Le projet n'était pas amené à durer dans le temps. L'idée était de prouver qu'au Maroc on est capable de revisiter notre Histoire à travers des films historiques, notre Histoire contemporaine, des comédies, des films musicaux, des films d'action... Le pari est réussi. - Pourrait-on voir une nouvelle version de ce projet d'envergure, notamment en cette période de crise ? - Je ne le pense pas puisque les choses fonctionnent différemment aujourd'hui au niveau de la production. Je pense que le Maroc peut être fier d'avoir beaucoup de talents qui font de belles choses. Il y en a d'autres qui vont éclore. Pour moi, "Film Industry" est un beau souvenir qui aura marqué la télévision marocaine. -Votre polémique long-métrage "Much Loved" a été diffusé sur Netflix. Que représente pour vous, en tant que réalisateur et producteur, cette plateforme de streaming ? - "Much Loved" a été diffusé sur Netflix aux Etats-Unis d'Amérique, en Angleterre, au Canada, en Inde, en Australie depuis 2015, et en France depuis 2020. Les plateformes, quelles qu'elles soient, représentent une nouvelle manière de montrer nos films. Je trouve cela formidable. Ces plateformes sont de nouveaux acteurs dans le cinéma. Ils offrent une certaine liberté. Personnellement, je suis très attaché à la salle de cinéma. Je vais continuer à montrer mes films dans les salles de cinéma, j'ai besoin de ce lien avec le public qui est très important pour moi.
Recueillis par Safaa KSAANI Repères Synopsis Le nouveau long-métrage du cinéaste Nabil Ayouch, qui dure 01h 41 minutes, a été écrit par lui-même, avec la collaboration de Maryam Touzani. C'est l'histoire d'Anas, ancien rappeur, engagé dans un centre culturel d'un quartier populaire de Casablanca. Encouragés par leur nouveau professeur, les jeunes vont tenter de se libérer du poids de certaines traditions pour vivre leur passion et s'exprimer à travers la culture Hip-Hop... "Les plateformes de streaming doivent compléter les salles de cinéma" Les plateformes de vidéo à la demande ont pris la place des salles obscures à la faveur de la pandémie de Covid-19. A court terme, ces décisions ont contrecarré les immenses pertes causées par la fermeture des salles à cause de la crise sanitaire. Pourtant, "c'est important qu'un film sorte en salle de cinéma", estime le cinéaste Nabil Ayouch. Pour lui, le streaming ne peut pas remplacer les salles de cinéma. "Il peut y avoir un mix des deux. Des films peuvent être vendus sur Netflix dans certains territoires où l'accès aux salles de cinéma est difficile, et sortir en salles de cinéma dans d'autres territoires où ces salles sont facilement accessibles. Je suis pour des solutions hybrides de ce genre", nous détaille-t-il. Pandémie : De nouvelles formes de festivals En 2020, l'avenir à court terme des festivals de cinéma s'est joué en ligne. Vingt manifestations de premier plan, notamment Cannes, Venise, Berlin ou Toronto, ont participé à un événement virtuel qui a offert gratuitement des films sur YouTube. Pour mémoire, prévu à l'origine du 12 au 23 mai 2020, le Festival de Cannes avait envisagé un report à la fin juin, mais les autorités françaises ont depuis interdit tous les rassemblements jusqu'à la mi-juillet. Portrait Le cinéphile découvreur de talents
Né le 1er avril 1969 à Paris, Nabil Ayouch passe une partie de sa jeunesse à Sarcelles. Très tôt, son père marocain, marié à une enseignante française, s'absente périodiquement, pour créer à Casablanca une agence de publicité qui deviendra l'une des plus prospères du Royaume. Après trois années de cours de théâtre à Paris (1987-1990), il effectue ses débuts comme auteur-metteur en scène, et se lance dans la publicité en tant que concepteur-rédacteur. Saisi par la passion, il décide ensuite de s'orienter vers la réalisation, ce qui lui permet d'amorcer une réconciliation avec sa seconde culture marocaine. Il navigue alors d'un bord à l'autre de la Méditerranée. Estimant que les défis à relever se situent au Maroc et non en Europe, Nabil Ayouch crée alors sa propre maison de production à Casablanca (Ali N'Productions) afin de découvrir de nouveaux talents locaux. Entre 2005 et 2010, il produit des dizaines de films dans le cadre de la "Film Industry". "L'objectif de ce projet était de permettre à de nouveaux comédiens talentueux d'émerger et de voler de leurs propres ailes aujourd'hui. L'objectif de cette initiative a été atteint", se félicite Nabil Ayouch. En 2015, son film « Much Loved », qui retrace l'itinéraire nocturne de quatre prostituées, et qui a suscité le débat au Maroc, a été sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes (sélection parallèle non compétitive). Par ailleurs, il compte à son palmarès 5 Prix sur 33 nominations dans des festivals de renommée.