Alors qu'au Maroc, c'est un couvre-feu rigide et sans merci qui règne sur les nuits du Ramadan, nos voisins algériens s'abandonnent, chaque soirée, après ftour, à une vie nocturne exubérante où le Coronavirus est totalement oublié. Excellent reportage à Alger de nos confrères de TSA. Terrasses de café bondées, boutiques de vêtements prises d'assaut, balades en famille. Les rues d'Alger renouent avec l'ambiance des soirées du ramadan d'antan. Enfin, presque. Le couvre-feu fixé d'abord à 23 heures au début du ramadan puis élargit à minuit pousse les citoyens à profiter de chaque instant. Mais en cette période de pandémie où nous assistons à un rebond de la Covid-19, le relâchement est à son comble. Ni masque, ni distanciation physique. Dans les boutiques où des parents s'affairent à acheter les vêtements de l'Aïd de leur progéniture, c'est la promiscuité. Aucune jauge n'est imposée. Les commerçants ferment les yeux. Eux-mêmes ne portent pas de masque. Leur seule préoccupation : vendre le maximum d'articles pour compenser les pertes causées par la pandémie.
Embouteillages et klaxons de nuit
Jour 15 du ramadan 2021. A partir de 21 heures, Alger-centre commence sa soirée. Embouteillages, trottoirs débordants de monde, boutiques pleines comme un œuf, c'est la grande ruée. On se croirait en plein jour. Des familles entières sillonnent les magasins à la recherche de vêtements pour l'Aïd qui approche à grands pas. Dans l'une de ces boutiques, rue Didouche Mourad, une mère de famille montre une robe à sa fille âgée d'une dizaine d'année « Elle te plait ? Tu veux l'essayer ? » S'écrie-t-elle. La dame se tourne vers nous et nous lance : « L'année dernière nous n'avons pas pu fêter l'Aïd à cause du virus et du confinement. Alors je compte bien me rattraper en offrant de belles tenues à mes enfants, cette fois -ci ». Bas les masques Dans cette échoppe, personne ne porte un masque. Pourtant, sur la vitrine une affichette prévient « Bavette obligatoire ». Les enfants de tous âges sont également admis à l'intérieur, en dépit de l'écriteau à l'entrée « Interdit aux enfants de moins de 16 ans ». Ce laisser-aller, nous l'avons constaté partout lors de notre virée nocturne rue Didouche Mourad et rue Larbi Ben'Mhidi. Tout le monde a baissé la garde. L'insouciance règne, comme si le virus avait disparu. Les cafés sont bondés de monde. En intérieur ou en terrasse, les clients sirotent café, thé, sodas. Certaines terrasses sont joliment décorées. Les arbres sont ornés de guirlandes lumineuses. Les serveurs sont débordés par les commandes. A proximité de la Grande-Poste, les terrasses des cafés et fast-foods sont noires de monde. Des hommes, des femmes, des enfants. Certains doivent prendre leur mal en patience avant de voir une table se libérer.
En haut de la rue Didouche Mourad, nous avons fait un tour dans un nouveau café littéraire qui a ouvert il y a à peine cinq jours. Il s'appelle Al-Rûmi (clin d'œil à Djalal Eddine Rumi). De nombreux clients y sont attablés. Ils grillent des cigarettes, sirotent des cafés tout en papotant. « Nous allons bientôt organiser des rencontres littéraires et poétiques avec le public» nous informe l'une des serveuses. Inaugurée il y à peine quelque jour, 'Zoé le secret de la mode', une grande boutique de prêt-à-porter pour femmes et enfants est noire de monde. Ni gel hydroalcoolique proposé, ni prise de température à l'entrée. Enfants et adultes sillonnent les rayonnages sans respect de la distanciation physique. Les cabines d'essayage sont également bondées. A quelques pas de là, Classic Burger, un fast-food a déployé une terrasse sur le trottoir. Une partie des clients y est installée. L'autre est à l'intérieur. Là aussi, personne ne porte de masque. Aucun rappel à l'ordre des tenanciers, plus préoccupés par les recettes de la soirée que par l'application des mesures sanitaires. Ambiance de l'après-ftour
Au milieu des klaxons des voitures, les rues s'animent. Çà et là, à proximité de l'Université d'Alger, des vendeurs de jouets ont installé leur marchandise à même le sol. Les enfants, appâtés par les joujoux tirent sur les manches de leurs parents. « Je veux moi cette grenouille gonflable verte » supplie un petit garçon. Place Audin, à l'entrée du Tunnel des facultés, les bancs de la placette sont également occupés, par des hommes de tous âges. Ils discutent, fument des cigarettes et sirotent des cafés dans des gobelets en carton, en profitant de la fraîcheur printanière de cette 'sahra'.
Café, thé et parties de dominos
Sur l'esplanade de la Grande Poste, un jeune propose aux passants du thé à la menthe dans un thermos ainsi que des cornets de cacahuètes. Cette année, aucun chapiteau d'objets d'artisanat ou de commerce de bouche n'a été érigé à cet emplacement. Absence de spectacle de rue également. D'autres préfèrent s'adonner à des jeux en groupes. A l'entame de la rue du Docteur Saâdane, les bancs sont occupés par des jeunes qui disputent une partie de dominos. Aucune distanciation physique là non plus.
Dans les recoins de la ville, nous avons également remarqué la présence de mendiants. Tapis dans l'ombre des néons lumineux, ils se rappellent au bon souvenir des passants en tendant la main. Après un Ramadan 2020 à blanc, où l'Algérie était confinée, les citoyens semblent vouloir prendre leur revanche, en profitant de chaque soirée.
Visites familiales, déambulation en ville, lèche-vitrine, veillées nocturnes, tous mettent les bouchées doubles. De leur côté, les commerçants espèrent tirer profit de ce mois sacré en écoulant les stocks des vêtements de l'Aïd de l'année dernière. Dans un contexte difficile, où le virus n'a pas encore dit son dernier mot et ou les chiffres des contaminations repartent à la hausse, une certaine inconscience règne. Le protocole sanitaire et le port du masque ont été relégués. Si des mesures ne sont pas rapidement prises, nous risquons de revivre la même situation qu'en novembre dernier, avec une troisième vague plus virulente, vue la circulation des variants anglais et nigérians. En attendant l'accélération de la vaccination anti-covid, ne gâchons pas la fête !