Si l'on croit les gouvernements marocain et espagnol, les relations entre les deux Royaumes restent « étroites et constantes ». Il n'empêche qu'à ce jour, la Réunion de Haut Niveau reste au stade des préparatifs, alors que les petits signes de tensions s'accumulent. L'annonce du lancement d'une série de réunions virtuelles entre les ministres marocains et espagnols de l'Industrie, des Transports, de l'Education, de l'Environnement, de l'Agriculture et de la Culture, vient remettre au-devant la question de la Réunion de Haut Niveau (RHN) entre Rabat et Madrid dont la date reste à ce jour inconnue. Pour la diplomatie espagnole, la programmation de ces réunions représente une preuve « de relations étroites et constantes » entre le Maroc et l'Espagne. Si l'on croit l'agence Europa Press, les préparatifs pour la RHN seraient toujours en cours et la diplomatie espagnole demeure encore confiante sur la tenue du Sommet « le plus vite possible, en tenant compte des circonstances ». Prévue dans un premier temps pour le 17 décembre dernier, la Réunion de Haut Niveau a été ajournée dans un premier temps d'un commun accord entre les deux gouvernements pour février à cause de la situation sanitaire, avant que la Moncloa n'annonce de manière unilatérale le report à une date non spécifiée la RHN. Parallèlement, les évolutions qu'a connues le dossier du Sahara marocain, avec la reconnaissance des Etats Unis de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud et la crise migratoire qui touche les Iles des Canaries, ont donné lieu à des sorties plus que hasardeuses de parlementaires espagnols. Historiquement tumultueuses, les relations entre Rabat et Madrid traversent aujourd'hui une période de crise qui ne dit pas son nom. Loin des envolées guerrières qui ont caractérisé la période de José Maria Aznar (1996-2004), aujourd'hui il faut plutôt scruter les détails pour se rendre compte de la détérioration des relations entre Rabat et Madrid. Après la lune de miel entre les deux Royaumes qui a duré lors des gouvernements José Luis Rodriguez Zapatero (PSOE, de 2004 et 2011) et de Mariano Rajoy (PP, de 2011 et 2018), le retour aux affaires des socialistes cette fois à la tête d'une coalition « progressiste », englobant le parti d'extrême gauche Podemos, mettra un terme à cette période. « Les temps changent et les partis politiques évoluent également. Je pense que le PSOE et le gouvernement de Pedro Sanchez n'ont rien à avoir avec, par exemple, le PSOE et le gouvernement mené par José Luis Rodriguez Zapatero. Je pense qu'aujourd'hui, le Partido Popular (PP) d'Andalousie est beaucoup plus proche de Rabat que ne l'est le PSOE », avance Sonia Moreno, correspondante du quotidien El Español. Pour rappel, depuis la fin du franquisme, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) est perçu comme un partenaire fiable du Maroc. Mené dans les années 1980 par Felipe Gonzalez, le parti socialiste tranchait dans son positionnement vis-à-vis du Royaume avec les positions plus bellicistes de la droite. Une droite menée par José Maria Aznar qui a failli déclencher une guerre ouverte entre les deux Royaumes en 2002. L'arrivée de Mariano Rajoy aux affaires en 2011 signifie un point de bascule dans le positionnement du PP face au Maroc. Le Royaume devient ainsi un partenaire commercial et sécuritaire de premier ordre pour Madrid. Aujourd'hui, bien que les Exécutifs des deux côtés de la Méditerranée continuent d'encenser les bonnes relations entre Rabat et Madrid, les points de tensions continuent de s'accumuler entre les deux pays. La fermeture et la fin des activités de contrebande entre les villes occupées de Sebta et Melillia, la situation migratoire, notamment vers les Iles Canaries, les sorties médiatiques et parlementaires de membres d'Unidas Podemos (membre du gouvernement) sur la question du Sahara, ou encore la récente mini tournée africaine de Pedro Sanchez, dont le Maroc a été exclu, sont autant de points qui renseignent sur la tension entre les deux Royaumes. La crise vue de l'autre côté du Détroit 3 questions à Sonia Moreno, correspondante du quotidien El Español au Maroc
La récente mini-tournée africaine de Pedro Sanchez sans escale marocaine, et ce, sans qu'une nouvelle date pour la Réunion de Haut Niveau ne soit fixée, sont des éléments qui font penser à des tensions entre Rabat et Madrid. Peut-on parler d'une « crise froide » entre les deux Royaumes ? - La crise diplomatique entre nos deux pays dure depuis des mois, sans aucune avancée. Quand la date de décembre a été arrêtée pour la RHN, le président du gouvernement Sanchez espérait décrocher une entrevue avec le Roi Mohammed VI. La réunion a finalement été annulée parce que le programme du Sommet ne comportait pas d'audience royale. Depuis, aucune date n'a été confirmée pour la Réunion. Parallèlement, Madrid ne semble pas pour le moment céder à la pression des frontières fermées avec les villes de Sebta et Melilia, alors que Rabat, de son côté, n'a pas pu arracher un repositionnement du gouvernement Sanchez sur la question du Sahara. D'ailleurs, je ne pense pas que le départ de Pablo Iglésias du gouvernement puisse débloquer la situation. - Pensez-vous qu'une reprise de l'opération Marhaba, sans Sebta et Melilia, puisse se faire ? - Oui, tout à fait. Il existe aujourd'hui plusieurs routes maritimes liant la péninsule ibérique et le reste de l'Europe au Maroc. Preuve en est, l'Agence nationale des ports (ANP) a présenté, en 2020, 11 routes maritimes, notamment depuis Motril, Algésiras et Tarifa, vers Tanger Med et Tanger Ville. D'autres itinéraires pourraient être mis en place facilement sans utiliser des ports espagnols, connectant le Portugal, la France ou d'autres pays européens avec les ports marocains. - Comment voyez-vous le futur des relations entre Rabat et Madrid, alors que le Maroc est en plein repositionnement géopolitique ? - Cela fait plus d'un an que j'essaye d'attirer l'attention en Espagne sur l'alliance entre le Maroc et la Grande Bretagne post-Brexit. Un rapprochement qui risque de priver l'Espagne de plusieurs marchés dans différents secteurs, idem pour la reprise des relations avec Israël. Le Maroc maintient, par ailleurs, de bonnes relations avec la Russie et la Turquie. Sans oublier l'accord militaire signé entre le Maroc et les Etats Unis. A ce rythme, la France comme l'Espagne risquent de perdre leurs places de premier et second partenaires commerciaux du Maroc. Une perte d'influence qui risque d'être aggravée par la stratégie marocaine de négocier directement avec l'UE, laissant de côté ses interlocuteurs traditionnels, à savoir Paris et Madrid.