On les nomme Dark kitchen, Cloud Kitchen ou encore Ghost Kitchen. Ces nouveaux types d'établissements sont en plein essor. Totalement dédiées à la livraison de plats à domicile, ces cuisines professionnelles sont en passe de devenir un nouveau modèle économique dans le milieu de la restauration. À première vue, difficile de les remarquer. Le plus souvent dissimulées derrière des vitres opaques ou dans des bâtiments sans véritable ouverture sur l'extérieur, les « Dark kitchens » n'ont rien à envier à leurs homologues américains, dont elles s'inspirent volontiers. Grâce à la crise sanitaire, au confinement et à la fermeture des restaurants, ces cuisines fantômes, apparues au Maroc au cours de ces deux dernières années, vivent aujourd'hui leur âge d'or. « Il s'agit d'un nouveau type de restaurant 2.0 uniquement dédié à la livraison en direct ou via des plateformes de livraison. C'est un restaurant virtuel sans accueil client », explique Sophia Benmoussa, fondatrice du Dark Kitchen Casablanca. Une cuisine, une tablette pour recevoir les commandes et un nom de marque, voilà les seuls ingrédients, ou presque, nécessaires au lancement d'une Dark Kitchen. La demande du client et la livraison sont déléguées aux plateformes comme Glovo et JumiaFood, qui proposent d'accompagner leurs restaurants partenaires dans la logistique, mais aussi dans la définition de leurs offres grâce à l'analyse des données clients du secteur d'implantation. Depuis le début de la pandémie, les mentalités ont bien changé, puisque les « cuisines fantômes » ont poussé comme des champignons, profitant d'abord de l'arrivée et du développement à grande échelle des plateformes de livraison, puis de la crise sanitaire contraignant tout un pays à s'enfermer chez soi. « Notre principale force réside dans le fait que le business model soit pensé et conçu uniquement pour la livraison à domicile », explique Hicham, fondateur d'une Dark Kitchen spécialisée dans les « Lunch Boxes ». « On garde la cuisine professionnelle, la brigade, le savoir-faire culinaire, le sens du service, mais on zappe la salle de restaurant et les tables. La partie livraison s'opère via les plateformes de livraison, afin que l'on puisse se concentrer uniquement sur notre véritable cœur de métier : la restauration à la maison », ajoute-t-il. Un concept qui ne plaît pas à tout le monde « Depuis une année, les différentes initiatives de la profession, via les outils digitaux, ont montré que la livraison ne doit plus être envisagée comme un 'plus' pour les restaurateurs mais, au contraire, comme une nouvelle façon de travailler, permettant de rebondir plus facilement face à l'adversité et à la versatilité du marché », poursuit Hicham. Cela n'est pas de l'avis de tous dans le monde de la restauration. Particulièrement touchés par la crise sanitaire, confrontés à des problèmes de trésorerie et forcés de s'adapter et de rebondir sans cesse, nombre de restaurateurs et chefs voient aujourd'hui d'un mauvais œil l'émergence des Dark Kitchens. « C'est l'algorithme qui décide » La dépendance vis-à-vis des plateformes de livraison reste problématique pour les Dark Kitchens. Les commissions prélevées, notamment, de l'ordre de 25 à 30% par commande, rendent le modèle plus difficilement rentable qu'un restaurant classique bien implanté. Ensuite, le fonctionnement des algorithmes reste très opaque. Quelle recette appliquer pour faire remonter son concept dans le top des recherches effectuées par les utilisateurs ? « L'algorithme est friand de certaines données comme le temps de livraison, la note de satisfaction du client... Toutefois, je vous mentirais si je vous disais que nous l'avions complètement craqué aujourd'hui. Pour l'instant, c'est l'algorithme qui décide », avoue Hicham. Meryem ELBARHRASSI Repères La diversité au menu Les Dark kitchens permettent d'avoir plusieurs cordes à son arc. En effet, les propriétaires peuvent développer plusieurs marques et donc de proposer des salades, des pizzas ou des burgers. Le tout, à partir de la même cuisine. Une stratégie efficace pour booster les ventes et toucher une clientèle suffisamment large. « Il suffit d'appeler un seul numéro pour commander plusieurs spécialités et cuisines en même temps. Un concept qui met tout le monde d'accord », souligne Sophia Benmoussa, fondatrice du Dark Kitchen Casablanca. Les particuliers s'y mettent Pour limiter les frais, certains restaurateurs ont donc développé leur propre plateforme de livraison. Un bon filon économique qui tente aussi les particuliers comme Houda. Il y a encore quelques mois, elle était salariée d'une grande entreprise de téléphonie. Aujourd'hui, même sans diplôme, elle dirige de chez elle son restaurant 100% marocain en ligne. Et comme elle sait que le bouche-à-oreille est important, dès qu'elle le peut, la jeune femme assure elle-même ses livraisons, ce qui lui permet d'échapper aux commissions des plateformes et de rencontrer directement ses clients. Avec 30 commandes par semaine, elle ne peut pas encore se verser un salaire, mais cela lui permet de payer tous les frais. Houda espère malgré tout vivre prochainement de son restaurant en ligne. Trois questions à Sophia Benmoussa et Mehdi Belbacha, fondateurs de la « Dark Kitchen Casablanca » « Nous sommes heureux d'avoir lancé la tendance en créant la première Dark Kitchen, et d'inspirer d'autres entrepreneurs » Vous ne pourrez pas aller y manger ni même y retirer votre commande, les « Dark Kitchens » préparent uniquement des plats à livrer, un nouveau modèle en plein boom depuis le début de la crise sanitaire. Sophia Benmoussa et Mehdi Belbacha, fondateurs de la « Dark Kitchen Casablanca » nous disent tout. - Vous avez déposé la marque « Dark Kitchen Casablanca » il y a 8 mois. Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivés à la mise en place de ce concept ?
- Nous avions déjà un concept en livraison uniquement (Thaï Garden express) avant confinement et étions aussi traiteur. Avec cette crise sanitaire, notre activité traiteur s'est arrêtée. Alors, nous avons eu cette idée de faire plaisir à tous pour pouvoir commander plusieurs cuisines en appelant un seul numéro.
- Quels sont les avantages de ce nouveau concept ?
- L'intérêt de ces cuisines fantômes réside dans la réduction des coûts : sans relation client, la masse salariale est de facto réduite. Par ailleurs les locaux sont installés dans des zones où les loyers sont faibles. Enfin, le client a le choix de commander un peu de chacune de nos cuisines en appelant un seul numéro 0522 200 333 (Thai, Viet, Burgers, Healthy ou Jap).
- Beaucoup de restaurateurs ont un avis assez tranché sur le modèle "Dark Kitchen", comment l'expliquez-vous ? Le modèle va exploser et intéresser de plus en plus d'entrepreneurs ?
- Au contraire, beaucoup de restaurateurs essaient de suivre nos pas. Les nouvelles tendances de consommation se tournent vers la livraison. Nous sommes heureux d'avoir lancé la tendance en créant la première Dark Kitchen, et d'inspirer d'autres entrepreneurs. La livraison de repas à domicile dans le monde a enregistré une croissance de 27% en 2020 selon Statista. C'est clairement un nouveau marché à capter.