A quelques semaines du mois sacré où les activités nocturnes fleurissent, de nombreux Marocains redoutent un couvre-feu total. Une décision qui dépend de la situation épidémiologique. « Nous sommes vraiment fatigués. », « Quand vont-ils nous faire respirer le soir ? », « Nous espérons prier et dîner chez nos proches pendant le Ramadan. », ce sont des phrases qui résument l'embarras de plusieurs de nos concitoyens, effarés à l'idée de ne pas pouvoir sortir la nuit durant le mois sacré. Une crainte alimentée par la tendance du Gouvernement à la prudence dans sa gestion de l'état d'urgence sanitaire, en prolongeant de façon répétitive les mesures restrictives, dont le couvre-feu. Comme d'habitude, l'équipe de Saâd Dine El Othmani n'a pas hésité, lundi 15 mars, de prolonger le couvre-feu à l'échelle nationale de deux semaines supplémentaires. Un scénario qui laisse présager qu'on ira vers un « couvre-feu ramadanesque », d'autant que plusieurs témoins proches du gouvernement et du ministère de l'Intérieur n'écartent pas cette possibilité. « L'état d'urgence sanitaire, avec toutes les mesures qui l'accompagnent, serait forcément maintenu aussi longtemps que durera la pandémie au Maroc », nous confie une source bien informée, avec confiance. D'autres sources proches du dossier nous ont expliqué que des réunions sont organisées de façon hebdomadaire entre les cadres du ministère de la Santé et ceux du ministère de l'Intérieur pour examiner le maintien des mesures restrictives en fonction de la situation épidémiologique. Sacrifier le Ramadan pour les vacances d'été Compte tenu de l'effet du Ramadan sur la vie sociale et spirituelle des Marocains surtout pendant la nuit, il serait difficile d'imaginer le mois sacré sans la prière des Tarawih, les visites familiales et les sorties nocturnes après une journée éprouvante. Ils sont nombreux à demander une exception pour le mois de Ramadan. Une revendication qui reste largement discutable aux yeux du comité scientifique, qui, seul, peut se prononcer sur une telle mesure atténuante. Intervenant, dimanche, sur le plateau de 2M, Azzedine Ibrahimi, directeur du laboratoire de biotechnologie de la Faculté de médecine à Rabat et membre du comité, a précisé que celui-ci ne tient compte que de l'évolution de la pandémie, expliquant que le contexte épidémiologique reste inquiétant avec la présence des nouveaux variants et le relâchement de la population observé ces derniers jours. Selon M. Ibrahimi, mieux vaut rester vigilant les prochains mois pour se libérer des mesures de restrictions, de quelque nature que ce soit, pendant l'été, d'autant que le risque d'une troisième vague est toujours probable bien que la courbe des cas positifs et des décès soit stable actuellement. Pas question de reproduire le scénario de l'Aïd El-Kbir Toutefois, ils sont nombreux à s'interroger sur l'utilité du couvre-feu. Azzedine Ibrahimi estime qu'il existe un lien incontestable entre la réduction de la mobilité, même le soir, et la circulation du SARS-COV-2. Ce dont convient le professeur Kamal Marhoum El Filali, Chef de service des maladies infectieuses et membre du comité de veille Covid-19 au CHU Ibn Rochd de Casablanca. Contacté par nos soins, il nous explique que les gens ne comprennent pas à quel point le couvre-feu peut s'avérer utile pour limiter la propagation du virus, ajoutant que ses effets sont palpables à long terme et non pas à court terme. « La levée du couvre-feu durant le Ramadan serait très dangereuse », a-t-il reconnu, ajoutant qu'il faut absolument préserver les acquis , de crainte de laisser les nouveaux variants circuler plus rapidement et compromettre ainsi tous les efforts entrepris jusqu'à présent pour juguler la pandémie. « Je crois donc qu'il est préférable de maintenir le couvre-feu pendant le Ramadan », nous a-t-il confié, rappelant qu'il reste un long chemin à parcourir pour achever la campagne de vaccination dont le rythme a baissé ces dernières semaines. Quid des petits commerces ? Le couvre-feu ramadanesque risque de donner un coup de grâce pour les petits commerces, les cafés et les restaurants, qui espèrent pouvoir ouvrir la nuit pour bénéficier du foisonnement de l'activité nocturne au mois sacré. Ces derniers ont horreur d'un prolongement « fatidique » du couvre-feu. Face au risque d'un arrêt total, plusieurs corporations de TPME, y compris celles des cafés et des restaurants, ne cessent de demander un soutien de l'Etat ou des mesures de compensation. La Confédération marocaine des TPE-PME a appelé le gouvernement à mettre en place des mesures d'accompagnement des petits commerçants, tout en proposant de pousser le couvre-feu à 23h au lieu de 21h. De leur côté, les cafetiers et les restaurateurs ont haussé le ton, menaçant de recourir à une grève générale, si l'Exécutif prolonge le couvre-feu sans mesures d'indemnisation. Encadré La campagne de vaccination stagne Après un démarrage prometteur, force est de constater que le rythme de la campagne de vaccination a visiblement baissé ces derniers jours, faute d'un stock de vaccins suffisant pour injecter à la fois les premières et les deuxièmes doses. Jusqu'à présent, 4.264.168 personnes sont vaccinées, dont 2.423.380 ont eu leur deuxième dose. Alors que nous étions habitués à percevoir plus de 400.000 personnes recevant quotidiennement leur première dose, leur nombre a drastiquement chuté ces deniers jours pour atteindre 6090 personnes le vendredi et 5043 le samedi. Cette chute s'explique par la hausse des rendez-vous des deuxièmes doses. Plus de 76.379 personnes ont reçu leur deuxième injection le samedi, après que 105.595 personnes l'ont fait vendredi dernier. Par ailleurs, Il serait probable que la cadence de la campagne continue sa tendance baissière, compte tenu des problèmes d'approvisionnement que rencontre actuellement le Royaume. Face à une concurrence internationale intense, il faut s'attendre à des retards de livraison du vaccin AstraZeneca, dont le laboratoire producteur, « Serume Institute of India », a annoncé des retards pour le Brésil, l'Arabie Saoudite et le Maroc, selon l'Agence Reuters. De son côté, le ministère de la Santé reste serein, des sources nous ont expliqué que de prochains arrivages sont attendus en avril, à moins qu'il y ait des changements de dernière minute. En guise de précaution, le Maroc a passé une commande d'un million de doses du vaccin russe Spoutnik-V, après l'avoir autorisé officiellement. Même si la date de livraison reste indéfinie, il est prévu que la quantité demandée soit acheminée en plusieurs lots, de façon sporadique, nous explique des sources proches du dossier. Trois questions à Tayeb Hamdi « Il est souhaitable de persévérer dans l'effort de prévention pour pouvoir vivre tranquillement les vacances d'été sans restriction » Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, a répondu à nos questions sur l'évolution de la situation épidémiologique au Maroc et la probabilité du maintien des mesures restrictives et du couvre-feu durant le Ramadan. - Plusieurs personnes demandent de lever le couvre-feu durant le mois de Ramadan à titre exceptionnel, pouvons-nous nous permettre ce luxe d'un point de vue épidémiologique ? - À mon avis, le contexte sanitaire ne permet pas ce genre de mesures, sachant que le risque d'une troisième vague est toujours là. Il suffit de constater ce qui se passe actuellement en Europe, dont plusieurs pays ont reconfiné leurs populations. Nous n'en sommes pas du tout loin, si on prend en considération les hausses des cas des nouveaux variants au Maroc, alors que les capacités de dépistage sont de plus en plus faibles. J'ajoute que nous n'avons pas encore achevé la vaccination des personnes à risques. Donc, le contexte n'est pas aussi accommodant qu'on le croit et la prudence reste de mise. - Donc, nous ne pouvons pas nous passer du couvre-feu pendant le mois sacré ? - Franchement, il n'y a aucun intérêt à abandonner les mesures de restriction même durant le Ramadan, sachant que, de toute façon, l'activité économique ne sera pas aussi profondément affectée qu'on le pense. Seules les rencontres familiales seraient sacrifiées. - Faut-il donc sacrifier le mois de Ramadan pour se débarrasser de la pandémie avant l'avènement de l'été ? - Je vous rappelle que la mobilité et les rassemblements sont toujours des vecteurs de transmission du Covid-19, ce qui peut compliquer les choses pendant le Ramadan si nous nous accrochons à la logique du laisser-passer. Si les choses se compliquent, on risque de vivre le même calvaire de l'Aïd El-Kbir. Il est plus judicieux de faire plus de sacrifices pendant le Ramadan pour s'assurer que nous puissions retrouver notre liberté pendant l'été, si la campagne de vaccination avance comme prévu.