Les sourds et malentendants au Maroc vivent une situation d'exclusion sociale honteuse. Allal Amraoui, député istiqlalien à la Chambre des Représentants, a mis en relief les difficultés auxquelles ces personnes font face au quotidien. L'absence de dispositions gouvernementales en faveur des enfants sourds et malentendants pour encourager leur accès à la scolarité a été un point marquant relevé par Allal Amraoui, député du groupe istiqlalien « Pour l'Unité et l'Egalitarisme », lundi 21 décembre, lors de la séance plénière des questions orales à la Chambre des Représentants. L'intervention, qu'il a qualifiée de « moment de prise de conscience au sein du parlement », a été l'occasion pour le député istiqlalien de dénoncer l'ampleur de cette situation d'« exclusion sociale » qui ne concerne pas moins de 300.000 citoyens marocains. Une occasion dont il a profité pour énumérer tous les aspects de la vie sociale, ainsi que les droits civiques dont les personnes sourdes et malentendantes sont privées. Un accès quasi-impossible aux services sociaux La communauté des personnes atteintes de surdité vitun calvaire au quotidien. L'accès de cette catégorie de citoyens aux différents services et établissements sociaux, notamment aux écoles, aux établissements sanitaires, aux tribunaux ou aux médias se heurte « à un obstacle de communication significatif », nous explique Abdelaziz Arssi, président de l'association Forum marocain des sourds, ajoutant que le problème fondamental est le nombre très faible des interprètes, qui est de vingt « freelancers » uniquement dans le Royaume. Des interprètes qui ont acquis cette compétence par la pratique et non en suivant une formation dédiée à la langue des signes. D'ailleurs, il n'existe aucun programme gouvernemental qui vise à former des interprètes de cette langue, indique Abdelaziz Arssi. De ce fait, le peu d'enfants sourds et malentendants scolarisés dans des écoles affiliées au ministère de l'Education Nationale se retrouvent dans des classes où ils sont pris en charge avec les méthodes d'enseignement classiques inadéquates à leur situation et où aucune attention particulière ne leur est accordée. Une négligence honteuse du gouvernement La situation en question devait être remédiée grâce au Programme des Nations Unies pour le Développement « qui a concédé une somme de 7 millions de dirhams au ministère de la Solidarité, du Développement social, de l'Egalité et de la Famille, pour un projet de normalisation de la langue des signes marocaine et de formation d'interprètes, suite à un accord signé en 2016 », nous apprend le président de l'association Forum marocain des sourds. Néanmoins, ce projet qui comble une énorme défaillance sociale fut complètement abandonné par la ministre actuelle, Jamila El Moussali, souligne-t-il. Interrogé sur l'évolution de la situation des sourds et malentendants au Maroc pendant la période de la pandémie de Covid, Abdelaziz Arssi a déclaré qu'ils ont été « complètement délaissés par le ministère de la Santé publique » car ils étaient écartés des campagnes de sensibilisation. « Il est vrai que les associations ont fourni un effort significatif pour combler ce vide », a-t-il avancé. « Ce n'était pas pour autant suffisant et ce n'est qu'après la lettre d'indignation adressée à la Fédération Mondiale des Sourds que le Premier ministre a invité un interprète pour sa déclaration », a expliqué Abdelaziz Arssi. Nabil LAAROUSSI 3 questions à Allal Amraoui « Il faut mettre en place des programmes afin de former suffisamment d'interprètes » Allal Amraoui, chirurgien et député istiqlalien nous donne une évaluation de la situation des sourds au Maroc et nous expose des solutions éventuelles au phénomène d'exclusion sociale dont ils souffrent. - Quelle est l'ampleur de cette exclusion sociale dont souffrent les sourds et malentendants au Maroc ? - Ils sont plus de 300.000 sourds et malentendants au Maroc, dont 30.000 sont des enfants de 5 à 15 ans. Seulement 1.000 parmi ces enfants sont scolarisés dans des établissements affiliés au Ministère de l'Education Nationale, alors que l'éducation de 3.000 autres est prise en charge par des associations, dans des conditions qui ne sont souvent pas optimales, vu le manque de moyens des familles. Les 26.000 restants ne reçoivent donc aucune forme d'éducation encadrée. En addition aux difficultés d'accès aux services sociaux, qui font d'ailleurs partie de leurs droits fondamentaux, ces enfants sont face à beaucoup de dangers qui découlent de l'obstacle communicationnel duquel ils souffrent et donc de l'incompréhension de plusieurs concepts fondamentales à la vie sociale. A titre d'exemple, ils sont, à cause de cette incompréhension, exposés au danger de l'extrémisme religieuxet sont d'ailleurs, comme toute catégorie marginalisée de la société, des cibles potentiellement vulnérables pour les groupes terroristes. - Quelles sont les mesures à entreprendre pour remédier à ce problème ? - Il est essentiel de commencer par établir une langue de signes marocaine de référence, basée d'une part sur la langue de signes internationale, et qui prend compte d'autre part des spécifiés nationales. Il faut en outre mettre en place des programmes afin de former suffisamment d'interprètes pour combler le grand vide qui entoure la question actuellement. Ces interprètes doivent être présentes dans toutes les structures et établissements sociaux, notamment dans les médias, pour que ces personnes profitent de leur droit à l'information et puissent rester connectés à l'actualité. - Quid de la situation des sourds et malentendants à l'étranger ? - La première différence à remarquer est que toutes les chaînes de télévision européennes et américaines emploient des interprètes pour traduire la majorité des programmes. Aux écoles, chaque pays a trouvé une manière d'aborder le problème, pour ne pas délaisser ces personnes qui font partie inclusive de la société. En outre dans ces pays on trouve des personnes ressources capables de communiquer avec cette communauté aux tribunaux et aux hôpitaux. D'ailleurs, en tant que responsable de la santé dans ma région, j'avais intégrer un cours du langage des signes dans la formation des infirmiers, car je trouve qu'il est primordial d'avoir des personnes qui peuvent communiquer avec cette catégorie de citoyens dans chaque structure. Recueillis par N. L. Repères L'appel du CSCA en faveur des personnes sourdes et malentendantes A l'issue de sa réunion plénière tenue récemment, le CSCA a appelé les sociétés nationales de l'audiovisuel public à intensifier leurs efforts pour améliorer l'accessibilité des programmes télévisuels aux personnes sourdes et malentendantes. Faisant suite aux délibérations du Conseil concernant de nombreuses plaintes reçues à ce propos, cet appel se fonde à la fois sur les garanties constitutionnelles en matière de préservation des droits des personnes en situation d' handicap et sur la mission de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle concernant le respect du droit des citoyennes et citoyens à l'information, ajoute le communiqué. Une mesure impérative à l'effectivité des Droits Humains Le CSCA considère que la promotion de l'accessibilité des programmes télévisuels aux personnes sourdes et malentendantes, dans les conditions arrêtées dans les cahiers des charges, est un impératif inhérent à l'effectivité des Droits Humains et qui appelle à une opérationnalisation dans des délais précis, fait savoir la même source, précisant que cette accessibilité consacre également l'égalité des droits et des chances entre les citoyens. Les plaintes reçues à ce propos par la HACA de la part de citoyens et d'associations de la société civile illustrent parfaitement cette demande d'égalité citoyenne.