Durant le printemps et à l'occasion d'un confinement aussi subite que prolongé, les marocains ont découverts tout ce que le digital pouvait apporter en matière de productivité pour les entreprises, de facilitation des services aux citoyens et de développement d'un certain nombre de secteurs comme l'éducation, le commerce ou la santé en ligne. Mais par la même occasion, les marocains ont également pris conscience du retard pris par le pays en matière de digitalisation et du fossé qui le sépare des pays les plus avancés Dès le mois de mai 2020, mais aussi en septembre, l'Alliance des Economistes Istiqlaliens s'était interrogeait sur la stratégie à mettre en œuvre pour exploiter pleinement le potentiel qu'offre le digital et de se mettre au diapason de pays comme l'Estonie. L'AEI a ainsi proposé une stratégie claire et chiffrée pour amorcer la transformation digitale de notre économie, de notre administration et des services aux citoyens, notamment l'éducation et la santé. Dans ce cadre, elle avait proposé 12 mesures concrètes :
* Former les ressources humaines et préparer les utilisateurs * Adapter le cadre législatif et institutionnel * Renforcer les infrastructures digitales et télécom * Créer l'identité digitale du citoyen * Digitaliser les services publics * Mettre en place des guichets uniques e-Gov * Accélérer la réforme pédagogique des systèmes scolaire et universitaire * Inviter les universités à s'investir dans le digital et le e-Learning * Développer un écosystème digital centré sur le citoyen * Vulgariser le commerce électronique * Fiabiliser la transaction commerciale électronique * Encourager la télémédecine
Six mois plus tard, et à la veille du vote d'un PLF 2021 crucial pour sortir le pays de l'ornière de la crise du covid-19 et de ses conséquences, où en est-on ?
Si nous ne pouvons que souligner la prise de conscience du gouvernement de l'importance du digital dans le quotidien du citoyen et de l'entreprise les mesures prônées par le Projet de Loi de Finances 2021 (développement des compétences numériques requises, stimulation de la transformation numérique des entreprises, renforcement des installations digitales et télécoms, accélération des projets E-Gov, soutien du développement de l'écosystème Startup, mise en place d'une bonne régulation), il n'en demeure pas moins que ces mesures restent dépourvues - pour l'instant - de données chiffrés et de mécanismes d'exécution précis permettant de répondre aux enjeux de la transformation numérique devenue urgente.
L'AEI réitère donc son appel à mieux préparer l'avenir du Maroc digital à travers une stratégie volontariste et chiffrée, déclinée en un certain nombre d'actions ciblées et urgentes :
1) Accélérer la digitalisation des foyers, des entreprises et des services publics. Le plan national du haut débit, doit rester dans les priorités du gouvernement en 2021. Pour mettre en œuvre ce premier volet de la stratégie digitale nationale, le PLF 2021 doit intégrer le financement des actions suivantes: * Lancer le programme d'équipement généralisé des foyers et entreprises en internet haut débit. Le secteur bancaire et les opérateurs télécom peuvent accompagner les citoyens et les entreprises dans leurs projets de digitalisation par des mécanismes de financement et la mise à disposition de solutions accessibles ; * Mettre en place un écosystème favorable au développement des entreprises du numérique. Celui-ci passe en priorité par des infrastructures à la hauteur des attentes. Nous prônons un minimum de 50 à 100 Mbit/s de connexion internet dans tout le Royaume et l'accélération de l'ouverture du marché pour l'investissement des opérateurs nationaux dans la 5G. * Accompagner les entreprises dans leur digitalisation et en assurer le financement. Le PLF 2021 devrait prévoir des mesures concrètes pour la promotion de l'investissement dans les startups technologiques, telles que des exonérations fiscales pour les prises de participation ou l'augmentation de capital dans ces startups * Investir dans l'inclusion financière des citoyens, le développement de la mobil-money et la réduction du cash. Ceci peut être fait en mettant en place des Crédit d'Impôt sur le Chiffre d'Affaire réalisé à travers ce moyen digital.
2) Adapter l'organisation de l'Etat aux enjeux du digital. L'effort budgétaire doit essentiellement chercher à : * Créer l'identité digitale du citoyen. Le Registre Social Unifié (RSU) doit être le premier output de cette digitalisation ; * Digitaliser les services publics aux niveaux de l'Etat et des collectivités territoriales, ainsi que les flux de données entre les différentes administrations (Open Data) ; * Mettre en place des guichets uniques e-Gov, agissant comme interface entre le citoyen et les e-services de l'Etat.
3) Moderniser l'éducation et faire du digital un levier de réduction des inégalités territoriales en priorisant les actions suivantes : * Accélérer la réforme pédagogique des systèmes scolaire et universitaire en s'appuyant sur le digital; * Intégrer l'enseignement du numérique (cours d'informatique et de codage) dans les programmes d'éducation, dès le primaire, pour accélérer la transition numérique de l'école ; * Former et accompagner les enseignants dans leur prise en main de l'outil numérique ; * Doter chaque classe d'une connexion internet ; * Financer un large programme de formation et de reconversion des jeunes diplômés à la programmation pour se préparer aux besoins actuels et futurs du marché de l'emploi.
4) Encourager la télémédecine pour améliorer l'accessibilité des soins de bases, contribuer à la digitalisation du secteur et réduire les déserts médicaux en prenant les principales dispositions suivantes : * Assurer un meilleur suivi de la santé des citoyens depuis leur naissance en adoptant systématiquement le carnet de santé numérique unifié, généraliser son application, et implémenter le dossier médical partagé. * Opérationnaliser le remboursement des actes de téléconsultations par les assureurs publics et privés (CNOPS, CNSS, CMIM...). * Encourager l'initiative privée de création de plateformes de téléconsultation médicale et inciter les établissements publics à conclure des PPP. * Agréer des points de télémédecine dans les zones reculées * Promouvoir des plateaux chirurgicaux ultra robotisés et connectés, assistés par l'intelligence artificielle et des spécialistes établis loin du CHU.
Gageons que la version finale du PLF 2021, qui serait proposée au vote sera à la hauteur des défis à relever et permettra aux acteurs économiques d'exploiter pleinement le potentiel de développement et les opportunités offertes par le digital. Nous appelons de nos vœux à un plan quinquennal pour un Maroc 4.0
Mehdi SEBTI Membre du bureau exécutif de l'Alliance des Economistes Istiqlaliens