La société civile est scandalisée après l'obtention de l'acceptabilité environnementale par un projet de dragage du sable marin au large de la commune de Sahel. C'est une affaire qui n'en finit pas de faire des vagues. Le dragage de sable au large des côtes marocaines est une pratique qui scandalise la société civile et les milieux scientifiques, mais qui persiste au vu et au su de tous depuis plus de vingt ans. Le dernier rebondissement dans ce dossier a pris la forme d'une décision d'acceptabilité environnementale délivrée par le ministère de l'Energie, des Mines et de l'Environnement au projet de dragage du sable marin au large de la commune de Sahel, province de Larache. Après une levée de boucliers de la société civile environnementale, le ministère a précisé dans un communiqué que cette décision d'acceptabilité environnementale n'était pas équivalente à une autorisation d'exploitation en précisant que « le rôle du ministère se limite à évaluer les effets secondaires potentiels du projet sur l'environnement et les mesures et procédures à mettre en oeuvre pour les réduire ». Accepter l'inacceptable « Il ne s'agit pas de savoir qui va donner l'autorisation d'exploiter le sable de nos littoraux, mais pourquoi M. Aziz Rabbah a signé une acceptabilité environnementale pour une activité qu'il sait pertinemment avoir déjà porté un grand préjudice à l'environnement marin et à la pêche maritime » souligne Pr Aicha Benmohammadi, présidente de l'Association Marocaine pour la Protection du Littoral et le Développement Durable et directrice de l'Equipe Géosciences à l'université Ibn Tofail de Kenitra. « Pourquoi a-t-il passé sous silence plusieurs rapports scientifiques très alarmants notamment celui de 2017 réalisé sous responsabilité de Mme Nouzha Louafi son prédécesseur au Département de l'Environnement? » s'interroge la scientifique qui suit de près ce dossier depuis plus de 15 ans. Préjudices environnementaux Le rapport -mentionné par notre source- a en effet considéré que l'activité de dragage de sable marin comme une ligne rouge à ne pas transgresser. « Comment un Département qui se dit protecteur de l'environnement est passé en moins de 2 ans d'un ‘non catégorique' à un ‘oui sans conditions' ? » poursuit Pr Benmohammadi en précisant qu'au large de Larache, « les impacts du dragage sont reconnus catastrophiques par les professionnels de la pêche et les chercheurs. Cette activité est en opposition totale avec la préservation des ressources halieutiques et de leurs zones fonctionnelles qu'il s'agisse des zones de ponte, des éléments de la chaîne trophique ou des zones de migration ». Pr Benmohammadi précise par ailleurs que plusieurs espèces à haute valeur commerciale vivent au large de Larache dont le merlan, la crevette rose et l'anchois. Une réserve stratégique Au-delà des impacts sur la biodiversité et dans un contexte marqué par l'élévation du niveau de la mer et l'accroissement en nombre et en intensité des tempêtes océaniques, la directrice de l'Equipe Géosciences à l'université Ibn Tofail de Kenitra estime que « le sable des fonds marins devrait être plutôt perçu comme réserve stratégique pouvant compenser et atténuer les risques d'inondation et de salinisation des nappes phréatiques. Les quantités de sables draguées des estuaires et des cônes alluviaux devraient servir prioritairement à alimenter l'équilibre sédimentaire des secteurs côtiers souffrant de l'appauvrissement des apports sédimentaires». Comme partout dans le monde, le sable est utilisé au Maroc dans plusieurs domaines et notamment en tant que matériau de construction. Le Royaume en consomme actuellement environ 30 millions de mètres cubes par an avec une estimation projetée de 38 millions de mètres cubes en 2025. « Une remarque s'impose par l'évidence : aucune pénurie n'a été enregistrée dans ce domaine depuis que certains agitent la rareté de la ressource pour se frayer un créneau commercial et en tirer profit. Il semble même que la production de sable est beaucoup plus importante que ce qui est nécessaire. Il reste à savoir ce qui est fait du surplus et de son transit à travers un circuit commercial non maîtrisé » conclu Pr Benmohammadi.
Oussama ABAOUSS 3 questions au Pr Aïcha Benmohammadi, géologue « La rente ne devrait pas prévaloir sur l'intérêt général »
Présidente de l'Association marocaine pour la protection du littoral et le Développement Durable et directrice de l'Equipe Géosciences à l'université Ibn Tofail de Kenitra, Pr Aicha Benmohammadi a répondu à nos questions. - Quelle est actuellement la situation de l'activité de dragage de sable au large des côtes marocaines ? - Au large de Kenitra, particulièrement, comme dans d'autres zones, le dragage d'exploitation a été interdit, car l'exigence du ministère de l'équipement, en charge du secteur, du respect des dispositions de la loi 27-13 n'a pas été satisfaite à ce jour. C'est ce qui explique cette guéguerre médiatique lancée à ce propos alors qu'il s'agit d'une activité industrielle dont les impacts sont importants sur l'intégrité du littoral, les ressources halieutiques et tout l'écosystème marin. - Y'a-t-il des données sur les volumes de sables prélevés à ce jour dans le cadre de cette activité ? - L'administration adjudicatrice des marchés du dragage d'entretien ou celle qui gère la gouvernance de l'équipement portuaire ne disposent pas des outils nécessaires au suivi et au contrôle du dragage. L'exploitant est « juge et partie », il prélève la quantité qu'il veut, là où il veut et déclare ce qui l'arrange sans se soucier aucunement des conséquences dévastatrices et non-civiques de son action. La rente ne devrait pas ainsi prévaloir sur l'intérêt général. - Si cette activité est dévastatrice pour le milieu et la morphologie du littoral, comment expliquez-vous qu'elle puisse obtenir « l'acceptabilité environnementale » ? - C'est une très bonne question qu'il faut poser à Monsieur Aziz Rabbah ministre de l'Energie, des Mines et de l'Environnement. Son empressement à octroyer l'acceptabilité environnementale à cet opérateur laisse planer de grands doutes sur les vraies raisons qui ont motivé une telle décision.
Recueillis par O. A. Encadré Acceptabilité environnementale : La procédure légale a été respectée, selon le Département de l'Environnement Le Département de l'Environnement a affirmé dans un communiqué, que le projet de dragage des sables au large de la commune de Sahel « s'inscrit dans le cadre des projets encadrés par la loi 03.12 sur l'étude d'impact environnemental, la loi 81.12 relative au littoral et la loi 27.13 relative à l'exploitation des carrières ». Le communiqué précise qu'une enquête publique a été menée par l'autorité locale « pour recueillir les avis des différents acteurs locaux notamment les habitants et les associations ». Le communiqué souligne que « l'étude d'impact sur l'environnement ainsi que le rapport de l'enquête publique, ont été présentés au Comité National des Etudes d'Impact sur l'Environnement, composé de tous les Départements ministériels concernés ». Ce dernier a tenu trois réunions pour examiner ce dossier, le 22/01/2019, le 26/02/2019 et le 27/07/2020. « Au cours de ce processus, le porteur du projet a été invité à réaliser des études complémentaires pour répondre aux questions soulevées par les membres de la commission et par l'enquête publique » précise le communiqué, notant que le rapport de cette enquête a montré que parmi les dix associations qui ont inscrit leurs observations, sept ont souligné « l'impact positif du projet ». Lors de sa dernière réunion du 27 juillet, « le comité a approuvé les conclusions de l'étude d'impact et le cahier de charge comportant toutes les mesures d'atténuation, de correction ou de suppression des impacts attendus, et a décidé à la majorité de ses membres d'accorder l'acceptabilité environnementale au projet ». Repères L'érosion de la plage de Mehdia La plage de Mehdia a connu ces dernières années un recul spectaculaire de son trait de côte. Avant le démarrage de l'activité de dragage dans la plage sous-marine et dans l'estuaire du Sebou, la plage de Mehdia reculait à un taux inférieur à 1 m/an. Le prolongement de la digue Sud du Sebou en 2002 et le commencement des travaux de dragage ont tout deux accélérés l'érosion vers un taux de 4 m/an. À noter que le sable dragué dans cette région est commercialisé malgré la dynamique d'érosion constatée par les scientifiques. Dragage et sédiment polluant En plus de détruire la vie et biodiversité marine et de menacer la morphologie du littoral, les activités de dragage du sable maritime peuvent provoquer une pollution dangereuse des eaux maritimes. « Ces extractions provoquent des remobilisations de tous les polluants (métaux lourds nocifs) issus des bassins-versants en amont, et qui se sont accumulés depuis plusieurs décennies. Il s'agit d'une énorme pollution qui est ainsi réactivée et qui a des conséquences très graves » explique Dr Aicha Benmohammadi.