En marge de la 64ème conférence de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), Rajaâ Cherkaoui El Moursli partage son expérience dans le domaine nucléaire. - Quel est l'intérêt ou quelle est l'importance de mettre l'accent sur la parité dans le domaine nucléaire ? - La parité dans le domaine des sciences est en discussion depuis un certain nombre d'années. C'est une question importante parce qu'en privilégiant les hommes, nous négligeons 50% de nos capacités. Les femmes ont les mêmes capacités que les hommes, et beaucoup sont très douées. Pour cette raison, plusieurs organismes dans le monde essaient de soutenir les femmes. L'AIEA veut aider la gente féminine dans le domaine des sciences nucléaires, et être un appui pour elles. Dernièrement, elle a lancé des bourses pour les jeunes filles afin qu'elles puissent intégrer des laboratoires internationaux de leur choix. Une initiative qui traduit son désir d'avoir une parité dans ce sens, et affirme la présence des femmes dans des « domaines d'hommes ». - Quelles sont les contraintes qu'ont connues les femmes dans ce domaine ? - Dès leur jeune âge, par le subconscient, la culture ou l'environnement, les filles n'étaient pas prédisposées aux matières scientifiques. Aujourd'hui, cette situation a changé au Maroc. Nous sommes très en avance, même par rapport à des pays très développés. Cela est également dû au rôle da la famille et des mamans, qui encouragent leurs filles à faire de leur mieux. - Pourquoi est-il important de partager son expérience avec le grand public ? - Quand nous offrons de bons modèles aux jeunes filles, elles s'en inspirent et cela pourrait fortement les marquer. Pour ma part, je suis membre de l'Académie Hassan II des sciences et techniques, et dans le cadre et le statut de cette académie, nous donnons des conférences dans des écoles et des lycées, pour parler de différents domaines. Ensuite, j'ai rencontré des étudiantes à l'université qui m'ont confié qu'elles ont choisi la physique ou un autre domaine parce qu'elles se sont inspirées de mon histoire. Pour moi, c'est un indicateur qui signifie qu'elles vont également influencer d'autres filles à leur tour. - Comment peut-on encourager les femmes à être plus émancipées ? Dans notre société, quand nous voyons les résultats scolaires, les filles sont souvent parmi les premiers. Cependant, on remarque une pénurie des femmes dans les postes de décisions ou dans la recherche. Et ce n'est pas particulier au Maroc. Nous nous posons alors la question : où sont passées ces femmes brillantes ? En effet, dès leur jeune âge, les mamans montrent à ces filles qu'il est important de faire ses études et d'être indépendante. En revanche, elles leur inculquent également l'idée qu'il faut se marier et bâtir un foyer. Ce qui pousse ces jeunes filles à avoir pour unique objectif de se consacrer à leur foyer. Chose qui pourrait les mener à douter de leurs compétences. Il est temps d'agir autrement. - Qu'est-ce qui distingue la participation de la femme dans le nucléaire au Maroc ? - Nous sommes bien placés sur le plan national. Il est vrai que les femmes ne sont pas nombreuses, nous représentons 20 ou 30% au maximum, mais elles sont présentes partout. Nous retrouvons des femmes ingénieurs, des professeurs et beaucoup ont même lancé leurs propres entreprises. Ce que nous ciblons maintenant, au Maroc et partout dans le monde, c'est d'éviter à ces jeunes femmes, qui s'intéressent à ce domaine, de se laisser influencer par les stéréotypes. Nous souhaitons les pousser à aller jusqu'au bout. - Selon vous, qu'est-ce qui pourrait aider la femme à percer dans notre société ? Il est aujourd'hui nécessaire de changer les mentalités. Il ne faut pas oublier que nous avons un paramètre primordial au Maroc, qui est celui de la famille. En effet, elle est là pour soutenir et aider la femme à réaliser ses ambitions. Au début de ma carrière par exemple, ma famille était là pour moi et mon mari comprenait que j'aimais ce que je faisais et qu'on ne pouvait pas m'arrêter.
Recueillis par Hajar LEBABI Portrait : Son blason ? Ligne droite vers la réussite Paneliste à la 64e conférence de l'AIEA, tenue ce mercredi, Rajaâ Cherkaoui El Moursli est docteur en physique nucléaire à l'Université Joseph Fourier à Grenoble. En 1996, elle a été à la tête du Laboratoire de physique nucléaire (LNP). Une telle réussite l'a amenée à développer plusieurs projets liés aux applications nucléaires. D'où la création du premier Master en physique médicale en 2007. Elle enchaîne alors les publications scientifiques. Co-auteur de centaines de publications internationales, d'une centaine de communications internationales et nationales et referee de plusieurs revues scientifiques, Rajaâ a œuvré pour la participation du Maroc à la collaboration internationale ATLAS au CERN à Genève en 1996. Il s'agit d'une collaboration mondiale comprenant plus de 3000 scientifiques et ingénieurs de 38 pays. Le Maroc en est devenu membre en 1996. C'était le seul pays arabe et jusqu'en 2009 le seul pays africain. En 2015, Mme Cherkaoui a reçu le Prix l'OréalUNESCO pour « Les femmes et la science» en tant que lauréate représentant l'Afrique et les Etats arabes. Comme elle a été nommée membre résident à l'Académie Hassan II des Sciences et Technologies du Maroc et membre actif de l'Académie africaine des sciences (AAS). La même année, elle devient membre du jury des bourses régionales l'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science au Maghreb. Elle a également été élue femme de l'année au Maroc par le magazine « Illy Des Libertés 2015 ». En 2019, elle a été élue vice-présidente chargée de l'examen et de l'administration des politiques au sein du Réseau des académies scientifiques africaines. H. L. Repères Une fontaine marocaine inaugurée à l'AIEA Une fontaine marocaine qui se tient depuis 23 ans dans les couloirs du siège de l'Agence internationale de l'énergie atomique à Vienne a été inaugurée, mardi 22 septembre, dans les couloirs du siège de l'Agence à Vienne. La fontaine a été soumise à un processus de restauration, qui coïncide avec la présidence marocaine de la 64ème Conférence générale de l'AIEA. Qu'est-ce que la Conférence générale de l'AIEA ? La Conférence générale, composée de représentants des Etats membres de l'AIEA, se réunit en session annuelle ordinaire, généralement en septembre, pour examiner et approuver le budget de l'AIEA et pour se prononcer sur d'autres questions soulevées par le Conseil des gouverneurs, le Directeur général et les Etats membres. Cette année, la conférence se tiendra à distance. La parité au cœur du nucléaire Dans l'édition de cette année, une discussion sera ouverte avec les panélistes sur l'importance de l'égalité de représentation des femmes dans le secteur nucléaire, et sur la remise en question du statu quo pour construire un avenir meilleur pour tous. Le public virtuel est encouragé à envoyer des questions pour interagir directement avec les panélistes. L'événement sera également un forum permettant aux participants d'apprendre davantage sur les travaux novateurs de l'Agence sur l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes.