La chaîne «Al-Jazira», qui se présente tout au long de son existence d'une douzaine d'années comme la détentrice après Dieu de la vérité absolue, persiste et signe dans son refus de reconnaître que dans sa relation des événements de Sidi Ifni, elle avait fait gravement fausse route, alors même que la démarche inverse lui aurait permis d'expier ses imprudences professionnelles aujourd'hui reconnues même par ses inconditionnels. Pour se disculper de cette comédie médiatique matérialisée par des morts imaginaires chiffrés au cadavre près, la chaîne qatari a rendu public un communiqué truffé de mensonges, qui l'enfonce dans une comédie tout court, relevant de la logique de l'escalade et du recours au bouc émissaire. Quand on sait que le bouc émissaire choisi n'est autre que la victime, en l'occurrence le Maroc, on comprend aisément que c'est en fumées abondantes que les responsables d'«Al-Jazira» avaient senti le brûlé, tant leur position était intenable. «Al-Jazira» affirme en effet dans son communiqué que les raisons de la faute résident dans le fait que : «les autorités marocaines avaient refusé de nous parler, de nous permettre de couvrir ces évènements et qu'elles n'avaient rendu publique aucune déclaration» (fin de citation). Il y a là assurément un coup de griffe polémique sur fond de mensonge et d'amalgame. Admettons que ce refus supposé des autorités marocaines était réel, est-ce une raison d'aller puiser dans l'approximatif, l'à peu près et les impressions fantaisistes pour parler de mort d'hommes avec une si grossière légèreté ?. Admettons que ces mêmes autorités n'avaient rendu public aucun communiqué, cela signifierait-il pour autant qu'il faille s'affranchir des règles du métier et des normes de la déontologie pour voguer dans l'immense désert du n'importe quoi ?. Ce sont là des questions auxquelles les responsables d'«Al-Jazira» auront du mal à trouver réponses convaincantes. En fait, la réalité du fil des événements est tout autre, et les responsables de la chaîne qatari - qui n'est pas reçue à Qatar, soit dit en passant - doivent à la vérité de reconnaître que leur bureau de Rabat avait bel et bien contacté les services compétents du Ministère de l'intérieur plus d'une heure et demi avant qu'il ne fasse la moindre mention sur les événements de Sidi Ifni. Lesdits services lui avaient signifié en toute clarté qu'il n'y avait pas de morts, ni dans cette ville, ni à son port qui était assiégé. Quelques instants plus tard, l'agence MAP avait diffusé un communiqué officiel ne faisant état que de blessés et d'interpellations. Obnubilé par le «scoop» à tout prix, le bureau d'«Al-Jazira « est passé outre, pour façonner les évènements à sa guise, leur choisir le contexte voulu et, sans pudeur, en dresser le bilan. Pareilles démarches aux antipodes des A.B.C. du métier ne peuvent à l'évidence que desservir cette chaîne qui s'abstient jusqu'à présent de percer son tonneau de «vérités» pour parler du Qatar qui lui offre gracieusement gîte et couvert. Curieuse conception de l'information qui s'arrête pour cette chaîne des «vérités» aux frontières de ce pays frère. D'autre part, la chaîne «Al-Jazira», étant dûment accréditée au Maroc, donc autorisée à y exercer, n'avait nul besoin de solliciter une quelconque autorisation de qui que ce soit pour se rendre à Sidi Ifni, comme d'autres chaînes étrangères l'avaient fait et y avaient réalisé les reportages qu'elles voulaient. «Al-Jazira» avait réalisé, par le passé, toute une série de reportages sur le Maroc, longeant le Royaume du Nord au Sud, d'Est en Ouest, sans que ses reporters aient besoin à un moment donné de l'assentiment d'une quelconque autorité. Nul ne peut s'empêcher, à la lecture du communiqué d'Al-Jazira, de se demander si ses auteurs établis à Doha étaient réellement informés de l'ensemble des données précitées ou si, au contraire, le bureau de Rabat ne leur en transmet que les bribes choisies au gré des circonstances ? Comment fonctionne, pour autant qu'elle existe, la coordination entre le bureau de Rabat et sa hiérarchie à Doha ? A sens unique ou par éléments d'informations au besoin vérifiés surtout quand il y a anguille sous roche comme c'est manifestement le cas. C'est d'autant plus important que certains milieux marocains s'étaient fondés imprudemment sur ce communiqué criant de contrevérités pour apporter leur soutien à la chaîne qatari. Ce n'est pas faire injure à «Al-Jazira» que de lui rappeler qu'en matière informationnelle, un mot de travers peut, dans des circonstances particulières, devenir un bâton de dynamite et que le travail d'un journaliste consiste en gros à opérer le nécessaire distinguo entre les faits vérifiés et les rumeurs colportées. Dieu sait que c'est facile à dire, difficile à faire. Mais quand on choisit ce métier, on le choisit avec ses impératifs et ses contraintes. Les micros et les caméras rameutés ne dispensent personne de se plier à la loi édictée, votée et promulguée pour être respectée par tous. La loi est en effet ce garde-fou qui empêche les gens, journalistes compris, de se pervertir dans la liberté reine. Il est vrai que le travail sous pression implique fatalement des erreurs. Mais de là à jouer les cascadeurs de l'information, à apostropher pour s'exhiber en catastrophistes, qui plus est sur un écran de télévision, à l'ère de l'écran que nous vivons, il y a un grand pas qu'il faut s'interdire de faire. A défaut donc d'articuler un argumentaire recevable, «Al-Jazira» du Qatar a choisi la fuite en arrière. C'est l'histoire du truand qui, assiégé de tous les côtés, confie son destin au hasard de la cavale.