Contrairement à ce qui a été annoncé, les cafés et restaurants ne comptent pas reprendre leur activité cette semaine. Ils sont unanimes : pas de réouverture tant que leurs problèmes ne sont pas résolus. Mounia Kabiri Kettani Leur peine est triple. Ils sont en arrêt d'activité depuis près de deux mois et demi, sont contraints de payer les loyers et charges fixes, et obligés de s'acquitter des impôts et taxes. Les patrons de cafés et de restaurants sont dans la tourmente. Ils ont envoyé un bouquet de courriers au gouvernement, à leur ministère de tutelle et au comité de veille économique. Ils attendent toujours des réponses. Mais l'annonce du chef de gouvernement Saâd Eddine El Othmani lors d'une rencontre en ligne avec d'autres chefs de partis concernant une éventuelle reprise après Aid El Fitr, avec la mise en place d'un guide sanitaire, a fait sortir les professionnels du secteur de leurs gonds. «Nous n'allons pas rouvrir, tant qu'on n'a pas écouté nos doléances », martèle le président de l'association nationale des propriétaires de cafés et restaurants (ANPCR), Noureddine Harrak qui ajoute que «la décision de fermeture est tombée déjà comme un couperet. Elle a été décrétée à 11H du matin pour prise d'effet à 18H. Sans prévenir », rappelle-t-il. Du coup,plusieurs professionnels se sont retrouvés avec des stocks très importants de produits périssables. « Aujourd'hui, on répète la même erreur. Et on décide encore de manière unilatérale la reprise sans rencontre avec les pouvoirs publics, ni visibilité sur une éventuelle relance », déplore Harrak. Revoir le système Selon le présent de l'association des propriétaires de cafés et restaurants d'Oujda, Ahmed El Mossaid, le secteur souffre depuis de longues années d'un ensemble de contraintes qui entravent sa continuité et son développement. Le coronavirus a aggravé la situation. Pour lui, comme pour les autres professionnels, c'est l'occasion de mettre tout le système à plat et trouver des solutions viables et sérieuses pour un véritable redémarrage. Dans le détail, le président de l'association de la section Casablanca-Settat, Mohamed Haoumi, explique que le secteur est non seulement confronté à de lourdes charges fiscales (14 taxes et impôts), mais aussi à l'importance de l'informel et la concurrence déloyale de la part de cafés et restaurants mobiles exemptés d'impôts. De plus, dit-il, « durant les dernières années, on assiste à la multiplication de points de vente avec une réduction des revenus». Autre hic non des moindres, l'absence d'une loi pour organiser le secteur qui compte près de 200.000 cafés et restaurants au niveau national et emploie plus de 1,5 million de salariés. L'effet Covid La décision de fermeture le 16 mars dernier décrétée comme mesure de lutte contre la propagation du covid-19 a eu des impacts conséquents sur l'activité. D'après Noureddine El Harrak, avec la baisse du rideau, plus de 50% de professionnels se sont retrouvés sans source de revenus. Plus de 10.000 acteurs n'ont plus de quoi subvenir à leurs besoins et vivent grâce à l'endettement. Seuls 30% des salariés du secteur sont déclarés à la CNSS et ont pu bénéficier de l'indemnité forfaitaire prévue par le CVE. Selon El Harrak la responsabilité incombe à l'Etat. « Vu les le poids des charges qu'impose l'Etat au secteur, certains sont contraints de contourner la loi et ne déclarent pas la totalité des travailleurs », regrette t-il. Concrètement, « plus de 60% des cafés sont situés dans des quartiers populaires et emploient au minimum 6 employés (3 personnes le matin et 3 autres l'après midi). Ils réalisent des recettes journalières qui ne dépassent pas 600 voire 700 DH, et ils sont obligés de payer leurs salariés et verser 800 DH par personne à la CNSS. « Donc finalement, le revenu global sera égal ou inférieur à celui des charges sociales de la CNSS et les salaires. Ceci pousse certains à travailler dans l'illégalité », ajoute El Harrak qui a déjà adressé une plainte dans ce sens au ministère du travail. Sans résultats, regrette-t-il. Cri de détresse « On ne veut plus mentir. Et si on refuse de reprendre l'activité aujourd'hui, c'est justement parce qu'on veut la mise en place d'un cadre approprié qui encourage les acteurs du secteur à sortir de l'informel, à travailler conformément à la législation, à assurer leurs obligations vis-à vis de leurs salariés, des services de l'impôt… », insiste le président de l'ANPCR. Or, « dans les conditions actuelles, il nous serait impossible de le faire ». Côté impôts et taxes, les professionnels déplorent l'imposition sur la base du chiffre d‘affaires que l'exercice soit bénéficiaire ou déficitaire. Ils demandent ainsi une révision globale du système actuel et, pour cette année, une exonération totale des charges fiscales pendant au moins six mois. Cette mesure leur permettra, comme l'explique Ahmed El Mossaid, de payer les créances qui s'accumulent depuis le début du confinement, notamment les loyers, les factures d'eau, d'électricité, d'internet, de téléphone, dettes envers les fournisseurs… «Dès la levée du rideau, tous les créanciers viendront demander leurs droits. Même si on demande des reports de délais de paiements, il nous sera difficile de régler nos obligations à temps, d'autant plus que le redémarrage sera très lent et progressif avec des recettes qui ne dépasseraient pas les 10% au début pour monter par la suite à 30% dans deux ou trois mois. Donc, finalement, aucune visibilité sur la période à venir », affirme El Harrak. Conditions de déconfinement Pour le déconfinement, tous les secteurs ont prévu des guides sanitaires pour respecter les mesures de précaution nécessaires. Pour le secteur des cafés et restaurants rien de concret pour le moment, à part cette annonce d'El Othmani. Mais les professionnels ont déjà une idée sur ce qui se prépare. En dehors des gestes barrières entre clients eux-mêmes et entre clients et personnel, de l'espacement des tables ou une installation de barrières de plexiglas pour pouvoir séparer des tables trop proches, Mohamed Haoumi, évoque une désinfection régulière des locaux, la mise en place d'un tapis pour la désinfection des chaussures à l'entrée, le remplacement des robinetsdes toilettes par des équipements infra rouge… «Ce sont des investissements supplémentaires dont la majorité coûtent chers et qu'on ne peut pas supporter pour le moment », reconnait Haoumi. Même son de cloche chez Ahmed El Mossaid qui ne cache pas son inquiétude : « Si on ouvre avec un guide sanitaire, on ira droit vers la banqueroute. On ne pourra jamais être rentable dans ces conditions », prévient-il. L'une des solutions envisageables serait la reprise uniquement des activités de vente à emporter et de livraison. Là encore, « tout le monde ne va pas pouvoir improviser la vente à emporter ou livraison comme ça, du jour au lendemain», assure El Mossaid. Mais alors, quand pourront-ils reprendre leur activité ? Aucune date n'est avancée pour le moment. Mais une chose est sûre, selon Noureddine El Harrak,la reprise se fera «dès la mise en place d'un plan qui impliquerait toutes les parties prenantes ».