Ismaël Emelien et David Amiel ont pensé et conçu la campagne d'emmanuel Macron. Après deux ans à l'Elysée, ils ont démissionné pour (officiellement) écrire un livre. Le manifeste des deux conseillers – « Le progrès ne tombe pas du ciel ! » – tente de définir le progressisme ou du moins le progressisme selon les macronistes. Les deux auteurs font partie de la garde rapprochée du chef de l'Etat. À 32 ans Ismaël Emelien était conseiller spécial du Président de la République. Il a activement participé à la création d'En Marche et à la campagne présidentielle. Véritable stratège et théoricien de la pensée macroniste, il rentre à l'Elysée par la grande porte. Mais avant cela, en 2014, il était déjà conseiller d'Emmanuel Macron en charge de la stratégie et de la communication au ministère de l'Economie. Ismaël Emelien décide de suivre son mentor et de quitter Bercy. Avec la victoire d'Emmanuel Macron, il réalise un rêve qu'il avait vu s'envoler. En 2006 alors âgé de 19 ans, l'étudiant de Science Po rejoint l'équipe de Dominique Strauss-Kahn, candidat à la primaire du Parti Socialiste. Une première expérience qui se solde par un échec : DSK perd au profit de Ségolène Royal. Nouveau coup dur en 2012, Ismaël Emelien fait partie de l'équipe secrète du patron du FMI (Fonds Monétaire International), jusqu'à l'affaire du Sofitel de New York. Homme de l'ombre, Ismaël Emelien s'est retrouvé en Une de la presse après des révélations sur son rôle dans l'affaire Benalla. Le conseiller spécial nous confie regretter la diffusion sur Twitter d'images confidentielles de vidéosurveillance des violences du 1er mai. Il assure en revanche et martèle ne pas avoir démissionné pour cette raison. Une affirmation que s'empresse de nous confirmer son collègue David Amiel qui, en souriant, nous lance « J'en suis le meilleur témoin, il n'est pas parti à cause de ça ! ». David Amiel est moins connu du grand public. À 26 ans il était le benjamin de la campagne d'En Marche! Normalien et passé par Princeton University, David Amiel coordonne le programme présidentiel aux côtés de l'économiste Jean Pisani-Ferry. Après l'élection présidentielle de 2017, David Amiel est nommé conseiller à l'Elysée, plus exactement bras droit du secrétaire général de la présidence. Il a également démissionné de son poste pour théoriser le macronisme avec Ismaël Emelien. Membres du premier cercle de la macronie, ils quittent leurs bureaux du 58 faubourg Saint-Honoré à la veille des élections européennes de mai dernier. Malgré une promotion médiatique intense, en librairie, leur ouvrage, ne rencontre pas le même succès que La République en marche (LaRem) dans les urnes. Le leitmotiv de LaRem pendant les élections européennes était d'agiter la menace populiste. Une réthorique reprise par David Amiel et Ismaël Emelien. Ils considèrent que c'est la fin du clivage gauche droite qui a longtemps gouverné aussi bien en France qu'en Europe. Emmanuel Macron avait fait de Matteo Salvini et Marine Le Pen les opposants des progressistes européens. Une vision manichéenne dénoncée par les partis historiques. C'est notamment la critique récurrente faite aux deux conseillers après la lecture du livre. Pourtant, les deux macronistes rejettent avec force cette accusation. Pour eux, gauche et droite sont responsables non seulement de leurs dislocations mais également de la montée des populistes. Gauche et droite n'auraient pas tenu leurs promesses respectives d'égalité et de liberté. David Amiel et Ismaël Emelien voient les progressistes comme les sauveurs d'une démocratie en panne. Avec LaRem, les marcheurs ambitionnent de remplir le vide idéologique laissé par les partis historiques. Mettre un frein à la progression des populistes est l'objectif affiché des deux anciens collaborateurs du Chef de l'Etat. Pour Ismaël Emelien et David Amiel, il est nécessaire de renouveler la vie politique et d'offrir de nouvelles perspectives aux citoyens. Néanmoins, les deux intimes du président le reconnaissent : l'opposition des populistes et des progressistes est dangereuse. Une démocratie en bonne santé est celle qui permet notamment l'alternance politique. Par ailleurs, ils décrivent « une société de la frustration » où le mérite ne payerait pas. Ils préconisent de s'adresser aux individus et non plus aux classes sociales. Mais comment construire un projet commun si l'intérêt personnel prime? Ils assurent prôner l'inverse d'une société individualiste, mais c'est pourtant le risque majeur de ce qu'ils pontifient dans « Le progrès ne tombe pas du ciel ! ». Si le constat est factuel et donc réel, les solutions proposées divisent. Quant à la question de savoir si le Président mène une politique de droite, Ismaël Emelien a une réponse tranchée. L'ancien homme de gauche, devenu adepte du « en même temps » de Macron, est convaincu « Emmanuel Macron n'est pas du tout un président de droite ! ». Fidèles au Chef de l'Etat, ils ne donnent dans leur ouvrage aucunes anecdotes ou confidences sur leur deux ans à l'Elysée et défendent ardemment le Président de la République. Afin de mieux comprendre la pensée progressiste des deux anciens conseillers d'Emmanuel Macron, nous les avons rencontrés et interrogés pendant plus d'une heure à Paris. Article et entretien de notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï – @Noufissacharai L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Emmanuel Macron a-t-il lu votre livre avant sa publication ? Ismaël Emelien : Le Président a lu le livre et nous a autorisés à le publier, nous ne l'aurions pas fait sans son accord. Il n'a rien modifié. Mais le livre est une contribution personnelle qui n'engage que David et moi. David Amiel : Emmanuel Macron nous a vivement encouragés à le publier ! Ce livre s'inscrit dans la continuité de la campagne présidentielle et de ce que nous avons fait pendant nos deux ans à l'Elysée. Vous avez été à l'Elysée pendant près de 2 ans. Le Palais isole-t-il ? Avez-vous été en « burn-out » comme certains de vos collègues ? Ismaël Emelien : Non pas de « burn out»! David Amiel : Non, au contraire quand on est conseiller à l'Elysée, le cœur même de notre métier c'est de parler et d'échanger avec beaucoup de monde. Nous ne sommes pas déconnectés. Ismaël Emelien vous dites que vous n'avez pas démissionné à cause de l'affaire Benalla. Mais regrettez-vous la manière dont vous avez géré cette crise, qui a particulièrement touché Emmanuel Macron ? Ismaël Emelien : Je l'ai répété plusieurs fois, je ne suis pas parti à cause de l'affaire Benalla. C'était il y a 10 mois ! Mon départ n'a aucun rapport avec l'affaire Benalla. Maintenant, sachant ce que je sais aujourd'hui, oui je regrette ! A l'époque je n'avais pas les éléments nécessaires… David Amiel : J'en suis le meilleur témoin, il n'est pas parti à cause de ça ! (rires) Pourquoi avez-vous fait le choix de théoriser vos idées plutôt que de rester auprès d'Emmanuel Macron pour les mettre en pratique ? Ismaël Emelien : La première raison c'est qu'il y avait un besoin criant d'expliquer le progressisme parce que les gens nous le demandaient. Nos adversaires le caricaturent en programme pour les riches, pour les gagnants, pour les urbains et les habitants des grandes métropoles, et les autres considéraient que c'était du pragmatisme. Ce n'est ni l'un, ni l'autre. C'est un ensemble cohérent de valeurs, d'actions et de principes. Ce travail n'a pas été fait et devait être fait, d'où ce livre. La deuxième raison est que l'élément essentiel du succès du progressisme en France, et partout ailleurs, c'est le capital. Le laboratoire du progressisme contemporain c'est la mobilisation de la société tout entière. Tous les sujets nécessitent l'implication de chaque individu, car ce sont des changements culturels que nous devons produire. Le temps où le changement culturel venait d'en haut est révolu ! Nous avons échoué à faire vivre après l'élection le dynamisme que nous avions créé pendant la campagne et c'est pour cela que nous sommes partis. Concrètement, comment définissez-vous le progressisme ? Ismaël Emelien : Dans notre travail, au lieu d'avoir une approche thématique, nous proposons une approche transversale. Il y a trois principes fondateurs du progressisme : « maximiser les possibles des individus », « davantage de possible quand on agit ensemble » et « commencer par le bas ». Nous sommes plus intéressés par la lutte contre les injustices que contre les inégalités. Nous ne considérons pas le progressisme comme un individualisme où chacun est livré à lui-même. Au contraire, pour lutter contre les différents problèmes, il faut retrouver une manière d'agir ensemble, aussi bien au niveau local qu'au niveau européen. Nous avons également tiré une leçon de ces deux ans à l'Elysée : nous devons absolument réfléchir sur la méthode utilisée. Le contenu ou le concept seuls ne suffisent pas. La méthode doit être l'inverse de ce que nous faisons depuis un demi-siècle et c'est le titre du livre « Le Progrès ne tombe pas du ciel ! ». Tous les individus doivent être concernés et mobilisés pour participer au projet collectif. Et quelle définition donneriez-vous au « macronisme »? David Amiel : Pour nous, le « macronisme» est sans aucun doute un progressisme. La doctrine que nous développons dans le livre n'est pas spécifique à la France. En partant de nos deux ans à l'Elysée, nous avons voulu définir des principes qui peuvent être valables dans un très grand nombre de nations. Notre but est justement que cette doctrine dépasse les frontières de la France pour inspirer d'autres pays. Pensez-vous détenir le monopole du progressisme ? De quel parti européen êtes-vous le plus proche idéologiquement ? Ismaël Emelien : Il y avait des progressistes avant nous et dans tous les camps. Mais c'est la première fois que nous avons un camp 100% progressiste. Ce travail de basculement qui correspond à l'union de tous les progressistes dans un seul parti n'a pas encore eu lieu dans beaucoup de pays. Ce n'est pas à nous de dire qui est progressiste en Europe, mais notre sentiment c'est qu'il n'y a pas un camp qui soit progressiste de manière homogène. Avez-vous présenté les conclusions de votre livre à l'étranger ? Ismaël Emelien : Le concept que nous développons dans le livre, à savoir « la société de la frustration », est valable partout. « La société de la frustration », c'est l'écart entre les aspirations des gens et ce qu'ils vivent. Cet écart n'est pas expliqué par les mérites respectifs de l'individu, mais bien davantage par des contraintes extérieures, notamment la discrimination. L'autre constat que nous faisons est que le clivage gauche-droite, qui a structuré la vie politique dans de nombreux pays, est en train de changer. Nous sommes en train de substituer un nouveau clivage à cet ancien clivage. Le clivage gauche-droite a été vidé de son contenu. Sur les questions économiques, la gauche a fini par accepter l'économie de marché et la droite l'Etat providence. Sur les questions des droits individuels, cela concerne des sujets intenses à chaque fois comme la PMA ou le « mariage pour tous », mais cela concerne des gens peu nombreux. Le moteur de clivage entre la gauche et la droite tourne donc à un régime très réduit. De plus, ni la gauche ni la droite n'ont su penser les grands sujets d'aujourd'hui. Qui connait la position de la gauche et de la droite sur la transition environnementale ? Sur la transition numérique ou sur les inégalités territoriales ? Face à ce clivage, les populistes d'extrême gauche ou d'extrême droite, connaissent une dynamique dans plusieurs pays dans le monde. La proposition populiste, nous la connaissons depuis 15-25 ans. À l'inverse, la position que nous portons est assez neuve. Donc pour répondre à votre question, nous présentons les conclusions de la campagne de 2017 en France et à l'étranger. David et moi sommes par ailleurs prêts à donner des« coups de mains » à des personnes qui à l'étranger souhaitent s'inspirer de ces constats et de cette expérience. Les progressistes selon vous parlent aux individus et non pas à des classes sociales. Mais à force d'individualiser la société n'allons-nous pas rendre impossible la construction d'un projet commun ? David Amiel : C'est exactement la question à laquelle nous essayons de répondre dans le livre. Le paradoxe, c'est que lorsqu' une société perd son projet commun, elle accorde moins de liberté aux individus. La promesse de l'autonomie individuelle que nous appelons la « maximisation des possibles » devrait permettre à chacun de choisir les paramètres les plus importants de sa vie (sa profession, son lieu d'habitation, ses choix familiaux, ses loisirs…). Ces libertés individuelles auxquelles nous aspirons n'étaient pas évidentes il y a 50 ans. Ce n'était pas la promesse du marxisme, mais c'est celle de la démocratie libérale. C'est une promesse admise par tous les partis politiques et par toutes les personnes de la société. En revanche, aujourd'hui cette promesse ne donne « ses dividendes » qu'à quelques-uns : si vous habitez dans le centre de Paris avec le bon diplôme, le bon prénom et les bonnes opportunités professionnelles, vous avez un nombre de possibilités incomparables. Mais la partie la plus importante de la population n'a pas ces possibilités, ce qui crée de la frustration. Nous n'avons plus de projets communs, ni européenne pour peser au niveau international et maîtriser les grands défis qui broient les individus. Il y a aussi la question des périphéries privées d'emplois et de perspectives. Nous devons savoir quels outils mettre à disposition des individus pour qu'ils reprennent en main leur environnement. Il faut retrouver le goût d'un projet collectif qui nous dépasse. Dans les années 2000, les politiques ont négligé par exemple l'importance d'avoir une culture commune et cela pose la question de l'école, de la laïcité et de l'immigration. C'est à l'école que la culture commune se forge. Il faut mettre l'accent sur la transmission d'un héritage commun, d'une culture française, d'une culture européenne par l'éducation; c'est quelque chose de crucial car elle a été désertée par la gauche au nom de l'égalité et par la droite par indifférence. Vous dénoncez l'échec du concept de « l'égalité des chances » auquel vous préférez celui de la « maximisation des possibles ». concrètement, au-delà des mots, quelle est la différence ? David Amiel : L'égalité des chances, nous ne savons pas si c'est une égalité par le haut ou par le bas. L'école doit évidemment servir une forme d'égalité des chances, il faut qu'elle permette aux gens de réussir en fonction de leurs mérites et de leurs talents et non pas en fonction de la classe sociale dans laquelle ils sont nés. La gauche a tellement été obnubilée par la question de l'égalité des chances, qu'elle a préféré égaliser par le bas, car c'était plus facile. L'offensive menée contre le latin, au prétexte qu'il serait discriminant socialement, ou l'offensive menée contre les classes bilangues au prétexte que les gens qui apprendraient des langues seraient issus des classes favorisées est une égalisation par le bas qui me semble absurde. Ismaël Emelien : Nous avons d'ailleurs fermé plus de classes de latin ou de classes bilangues dans les académies périphériques qu'à Paris. Le constat est objectif, cela fait très longtemps que nous parlons d'égalité des chances et pourtant elles n'ont jamais été aussi faibles. C'est la preuve que nous nous sommes beaucoup gargarisés du concept et que nous n'avons rien fait ! Pour vous l'un des principes du progressisme est donc de « commencer par le bas ». avec la crise des Gilets Jaunes nous avons compris que l'un des plus grands reproches fait à la politique d'Emmanuel Macron est de prendre des décisions de manière verticale. Pourquoi cette crise n'a-t-elle pas été anticipée et pourquoi a-t-elle été aussi mal gérée ? Ismaël Emelien : Un mouvement social n'est jamais « anticipable ». Nous savons depuis bien avant l'élection qu'il y a une colère. Il ne faut jamais oublier qu'au premier tour de l'élection présidentielle 45% des gens ont voté pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. La colère ne va pas disparaître en quelques mois et elle n'est pas née avec Emmanuel Macron, même si elle a pu être renforcée sur certains points. Nous savions qu'il y avait une colère, mais personne ne savait comment elle allait se manifester. Politiquement, nous ne savons pas anticiper une crise. Ensuite est-ce que cela a été mal géré ? Il n'y a pas de réponse définitive. Pendant l'automne, le moment où le mouvement démarre, peu de gens participent mais beaucoup le soutiennent. Le jour où ils étaient le plus nombreux, ils étaient 400.000, cela n'est même pas dans le top 10 des mobilisations les plus importantes depuis 10 ans en France ! En revanche, il y a eu jusqu'à 70% des Français qui ont soutenu ce mouvement, ce qui montre que cela dépassait la question de la taxe carbone. Mais, ce n'est pas une erreur de diagnostic du Président ou de la majorité. Les Gilets Jaunes n'étaient ni de gauche, ni de droite et ne voulaient pas être récupérés politiquement ou syndicalement, ce qui rappelle En Marche ! Mais indépendamment des considérations politiques, sur le fond, les raisons de la mobilisation étaient en droite ligne avec ce que nous avions dit pendant la campagne. La gauche aurait aimé que les Gilets Jaunes réclament plus de redistribution ou de minima sociaux, mais eux voulaient moins d'impôts et plus de travail. La droite aurait aimé que les Gilets Jaunes réclament la fin du mariage pour tous ou une réduction de l'immigration, mais eux voulaient une mobilité sociale par le travail ou par la voiture. Le cœur de la mobilisation était que le travail devait payer et objectivement c'est le cœur de la campagne d'Emmanuel Macron. Nous avions donc compris cela, mais si au bout d'un an et demi de mandat, ils se mobilisent c'est que quelque chose ne s'est pas bien passé. Plusieurs erreurs ont été commises : une erreur de timing d'abord. Nous avons tout de suite fait et en une fois, les réformes qui étaient favorables au capital et nous avons mené en même temps celles liées au travail. Les réformes du travail sont plus massives et plus chères que celles liées au capital. Mais la perception a été que nous avons tout de suite agi pour le capital et que nous remettions à plus tard la question du tra- vail. En décembre, le Président n'a pas fait de nouvelles annonces, tout cela était prévu pour le reste du quinquennat mais cela a été accéléré pour une mise en place dès janvier 2019. La deuxième erreur, c'est que nous avions prévu une série de mesures pour compenser la taxe carbone mais qu'il y a eu un problème d'exécution. Beaucoup de gens n'ont pas bénéficié de mesures auxquelles ils avaient droit, comme la prime à la conversion des véhicules, la chaudière à 1€ pour ceux qui utilisaient le fuel, la hausse de la prime d'activité…Pour nous, c'est un problème majeur car nous avons une administration qui n'est plus adaptée pour délivrer les politiques publiques. David Amiel : Ce n'est pas une erreur de diagnostic, c'est une erreur de mise en œuvre. Le problème ne vient pas d'ailleurs des fonctionnaires qui sont très dévoués, mais de l'administration et de son fonctionnement. Nous avons une administration très hiérarchique. Les personnes qui sont en premières lignes en contact avec les Français sont souvent négligés (l'enseignant, l'infirmière, les personnes aux guichets…). Ces fonctionnaires avalent des paquets de circulaires, toutes plus incompréhensibles les unes que les autres et même quand ils font bien leur travail ils ne sont ni récompensés, ni promus. L'organisation extrêmement pyramidale de l'administration française créée beaucoup d'inerties. Il y a aussi un problème de responsabilité politico-administrative c'est-à-dire que personne n'est en charge du résultat ! Il y a des gens qui préparent la loi, des gens qui préparent les textes mais personne ne cherche à produire ou à vérifier le résultat. Personne n'est comptable de l'application des politiques publiques et personne ne s'assure que les individus concernés en bénéficient. Il faut donc réorganiser les ministères. Il faut que les ministres soient plus des « chefs de projet » et moins des « chefs d'administration ». Le dernier point, c'est que la gauche par exemple s'appuyait sur les syndicats pour transformer le pays et la droite s'appuyait sur les notables pour transformer la société et nous les progressistes, nous n'avons pas bénéficié du même soutien. Nous préférons nous appuyer directement sur les citoyens, en leur donnant les moyens d'agir dans leur vie quotidienne. Est-ce que vous comprenez les reproches qui ont été faits à la personnalité d'emmanuel Macron et à son entourage, jugés parfois prétentieux et déconnectés ? Ismaël Emelien : Le Président n'est pas prétentieux, nous le connaissons très bien. Objectivement, à chaque fois qu'il y a eu des phrases polémiques, c'est parce qu'il est allé au contact de la population. Les présidents mettent d'habitude des barrières à 200 mètres et passent en faisant semblant de ne pas écouter. Emmanuel Macron s'arrête et discute et cela crée des risques de malentendus. Après oui, cela a généré des problèmes. Ce n'était pas le but, mais le prix à payer pour justement rester en contact. Pour ne pas être déconnecté de la population, il faut maintenir cette proximité et ne pas donner d'importance à ces polémiques. Vous considérez que la gauche a trahi l'égalité et que la droite a trahi la liberté. Si les partis sont effectivement affaiblis, le clivage gauche-droite existe toujours dans l'esprit des gens. craignez-vous que LareM (La république en Marche) ne soit qu'une parenthèse dans la vie politique ? Ismaël Emelien : Beaucoup de personnes se définissent encore de gauche ou de droite, mais elles sont moins nombreuses. Ces partis sont moins audibles, car ils ne parlent pas des sujets d'aujourd'hui : la frustration, l'environnement, les inégalités territoriales… ce qui explique la situation électorale dans laquelle ils sont. David Amiel : Le clivage politique change mondialement : aux Etats-Unis, le Parti Républicain n'est plus le même avec Donald Trump. L'Italie est gouvernée par une coalition qui n'est ni de gauche ni de droite. Cette transition nous en prenons acte, mais nous ne l'avons pas créée. L'existence des partis populistes en France comme en Europe précède largement l'élection d'Emmanuel Macron. L'affrontement entre progressistes et populistes est dangereux. Cette opposition ne peut pas nous satisfaire, car dans une démocratie saine les oppositions ont vocation à devenir alternance. Per- sonne ne voudrait que l'alternance prenne un jour le visage de Marine Le Pen ou de Marion Maréchal Le Pen. Il est impératif de comprendre la part de colère légitime exprimée dans ces votes par les classes populaires et d'y répondre au mieux. Notre but est notamment d'assécher les motifs du vote populiste. Nous devons revenir au plus vite à un clivage plus sain et plus constructif. Le meilleur moyen de répondre aux populistes est de proposer un projet positif. Ismaël emelien : Nous ne décidons pas que de qui est au second tour de l'élection pré- sidentielle. Nous avons d'ailleurs écrit un livre pour le progressisme et non pas contre le populisme. Il y a eu « l'appel des 72 maires » du centre et de la droite pour rejoindre Larem. Emmanuelle Mignon, ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, déclare qu'Emmanuel Macron est le « meilleur président de droite qu'on ait eu depuis un certain temps ». Êtes-vous d'accord ? Ismaël Emelien : Je ne suis pas d'accord, Emmanuel Macron n'est pas du tout un président de droite ! Ce que nous essayons de faire depuis la campagne et indépendamment des tactiques électorales c'est d'établir un diagnostic et proposer des solutions. Si les gens pensent que c'est de gauche ou de droite peu importe tant qu'ils comprennent. Certains disent qu'il est de droite, mais d'autres mesures comme le dédoublement des classes ou la possibilité de négocier dans son entreprise, sont des mesures de gauche. Néanmoins, nous constatons un élargissement de la base de la majorité et les résultats électoraux viennent montrer que la transformation que nous vivons n'est pas une parenthèse. Pendant cette période de recomposition, il faut définir une nouvelle manière de se positionner, de fonctionner. Pour vous, « l'impuissance des politiques explique en grande partie la montée du populisme ». en europe les populistes rendent Bruxelles responsable de leur inaction. ont-ils en partie raison ? Ismaël Emelien : Sur le plan européen, oui, ils ont en partie raison. Le cœur de la campagne d'En Marche pour les Européennes était de proposer de sortir du blocage européen. Il faut arrêter avec la règle de l'unanimité, où tous les Etats membres doivent être d'accord pour prendre une décision. Si certains pays veulent avancer plus vite, ils doivent pouvoir le faire, peu importe ce que les autres Etats membres en pensent. Il faut une Europe à plusieurs vitesses avec autant de vitesses que de sujets ! Sur le plan national, les Etats sont-ils impuissants ? Nous ne le pensons pas. Ils ne sont pas rendus impuissants par la mondialisation ou par un atavisme politique. En revanche, les instruments que nous utilisons sont émoussés ou obsolètes. C'est pour cela qu'il faut créer de nouveaux instruments politiques. Ils ont raison sur le constat, mais nous ne pensons pas que cela soit une fatalité, nous pouvons sortir de cette situation. Vous considérez que le traitement de la question migratoire « par le politique n'est pas à la hauteur ». La France a refusé d'accueillir l'aquarius alors que la corse a proposé d'ouvrir un de ses ports. Le bateau de l'association « SoS Méditerranée » a donc dû se rendre en espagne alors qu'il était plus proche des côtes françaises. Le ministre de l'intérieur a été très critiqué après avoir comparé les onG aux passeurs. Que pensez-vous de la politique migratoire d'emmanuel Macron ? est-elle à la hauteur de la cause ? David Amiel : Il faut bien comprendre qu'au-delà de la crise migratoire, il va falloir penser les migrations. Un pays ne peut pas avoir ses portes complètement ouvertes ou fermées. Nous avons besoin de frontières et de filtres. D'une part, il y a le droit d'asile et la France le respecte mieux aujourd'hui. Le gouvernement est sorti de l'hypocrisie de gauche qui faisait semblant d'accueillir, et de l'hypocrisie de droite qui faisait semblant d'expulser ceux qui n'ont pas le droit à l'asile. Le gouvernement a renforcé les moyens d'accueil, mais il reste encore des choses à faire. Pour l'Aquarius, quel est le bilan ? Les gens ont été acceptés en Europe, y compris en France. De l'autre côté, nous n'avons pas sacrifié ce qui est essentiel pour l'Europe et pour les migrants, c'est-à-dire l'idée d'une réponse européenne à cette crise, ce que nous aurions sacrifié si nous avions cédé au diktat de Matteo Salvini. C'était une crise aiguë. Le gouvernement français en est sorti par le haut. Et dans cette crise nous devions tenir les deux bouts. Vous évoquez l'importance pour un gouvernement de prendre des décisions en fonc- tion des générations présentes et futures. Pourtant, malgré l'urgence de la situation emmanuel Macron ne fait pas de l'écologie sa priorité nationale ou internationale. L'écologie devrait justement être ni de droite ni de gauche et rassembler. Pourquoi n'est-ce pas le cas et pourquoi n'est-elle pas une priorité du quinquennat Macron ? Ismaël Emelien : C'est le gouvernement qui a le plus fait pour l'écologie ! Nous avons annoncé la fermeture de plusieurs centrales, nous avons interdit le Glyphosate, nous avons protégé les domaines naturels… Nous faisons plus qu'avant, mais cela est-il suffisant ? La réponse est non. La difficulté, c'est que la demande sociale est forte mais nous l'avons vu avec la taxe carbone, le soutien au moment de passer à l'acte s'affaiblit. Ce sont des sujets structurels, donc il y a forcément des moments de friction. En France et pas seulement, il faut rendre les objectifs «appropriables». Il faut les découper en autant de petits objectifs possibles, pour les rendre compréhensibles et atteignables. David Amiel : Nous avons aussi interdit, pour la première fois, l'exploitation et l'exploration d'hydrocarbures. Pour vous, la discrimination positive va à l'encontre du progressisme. Vous propo- sez à la place des campagnes massives de « testing » et expliquez que la discrimination ne serait pas voulue. ce sont notamment les campagnes de testing, déjà réalisées, qui ont mis en évidence une discrimination raciale et sociale à l'embauche. Une fois que la discrimination est prouvée que fait-on ? CQFD ? Ismaël emelien : Le problème de la discrimination est largement sous-estimé dans le monde politique. Nous pensons que c'est un sujet qui concerne une majorité de Français, soit en raison de leurs origines, soit de leurs apparences physiques, soit de leurs lieux d'habitation. La discrimination est donc un sujet massif qui n'a pas l'écho médiatico-politique qu'il mériterait d'avoir. En revanche, la discrimination positive ne fonctionne pas, les pays qui l'appliquent comme les Etats-Unis connaissent aussi des discriminations. Ismaël Emelien, vous avez fait Science Po où une forme de discrimination positive basée sur le lieu d'habitation existe. cela fonctionne, non ? Ismaël Emelien : La voie d'accès crée une discrimination à l'intérieur. C'est très dur pour les gens venant des ZEP (Zones d'Education Prioritaires) de réussir la première année, car ils ont un retard conséquent. À Science Po, c'est une discrimination positive en fonction du lieu d'habitation et non pas en fonction de la couleur de la peau ou de la religion. Quand c'est un problème territorial ce n'est pas pareil, car nous pouvons décider de changer d'endroit. Nous pensons que l'inspection du travail doit faire du « testing » sa priorité et tous les résultats doivent être rendus publics. Ce qui fonctionne c'est de faire confiance à la pression sociale. Aucune entreprise ne choisit d'être discriminante. L'idée est de permettre aux banquiers, aux entreprises, aux clients, aux actionnaires, aux fournisseurs de savoir que leurs entreprises pratiquent une discrimination à l'embauche pour y remédier. David Amiel : Il y a évidemment des gens racistes, mais l'essentiel de la discrimination en France est le fruit de politiques insidieuses dont les gens n'ont pas forcément conscience. Ce sont des habitudes, des réflexes. Les progressistes ne sont pas, selon vous, pour l'interdiction des signes religieux dans les universités car cela reviendrait à « limiter sans aucun fondement le droit de pratiquer son culte » et vous prenez la même position pour les mères portant le voile et qui souhaitent accompagner leurs enfants aux sorties scolaires. Le Sénat majoritairement à droite, vient de voter l'interdiction pour les mères voilées de participer à ces sorties. Le «hijab de course» avait divisé notamment au sein des députés Larem. Les progressistes ne sont donc pas toujours d'accord ? comment analysez-vous le rapport de la France au voile ? David Amiel : Il y a une approche spécifique de la question religieuse au-delà du voile en France que nous assumons et que nous revendiquons. Ce n'est pas parce que la France est un peu particulière sur ces sujets qu'elle a forcément tort. Je pense que la version française de la laïcité permet précisément de préserver ce qui est le plus important: « la maximisation des possibles » donc la liberté individuelle et le projet commun. Les tentations identitaires et religieuses sont de plus en plus importantes, nous sommes donc très attachés à la laïcité française. Dans le cas du « hijab de Décathlon » c'est complexe et nous ne sommes pas d'accord. Moi je suis contre « le hijab de course ». Je considère qu'il y a d'autres moyens de se couvrir si nous voulons faire du sport qu'avec « le hijab de course » ! Je ne pense pas qu'avoir progressivement dans les commerces un rayon par religion soit la meilleure façon de créer du commun. Ismaël Emelien : Moi je suis pour « le hijab de course ». Je pense qu'il augmente la liberté potentielle de certaines femmes. Elles pourront faire du sport alors que si c'est interdit elles ne pourront pas. Vendre des armes à l'arabie Saoudite qui bombarde le Yémen, est-ce progressiste ? Ismaël Emelien : Ça dépend de quelles armes et pour quelles utilisations. L'exportation d'armes est soumise à des règles internationales. Il y a actuellement des armes françaises utilisées contre la population au Yémen… Ismaël Emelien : Ni David, ni moi, ne sommes des spécialistes des relations internationales et encore moins d'armement. David Amiel : Nous ne conseillons pas le Président sur des sujets militaires. Ismaël Emelien, vous avez participé à la campagne de nicolas Maduro au Venezuela quand vous avez travaillé chez Havas. Que pensez-vous de la reconnaissance par la France, de Juan Guaido comme Président par intérim ? Ismaël Emelien : Les conseils que nous donnons au Président appartiennent à la sphère privée.