L'affaire la Samir est l'une des plus compliquées que l'histoire de l'industrie marocaine ait connue. En voici les derniers rebondissements et les clés essentielles pour mieux en comprendre les tenants et aboutissants. Depuis 1997, date de la privatisation de la Samir, la seule raffinerie marocaine a toujours soulevé des débats houleux et alimenté la polémique sur sa gestion, son mode de fonctionnement et son efficacité. 18 ans plus tard, en août 2015, la raffinerie a dû arrêter et les rebondissements se sont multipliés depuis le début des procédures judiciaires. Le plus fracassant aura été la condamnation de la Samir, le 26 juillet 2018, à 18 milliards de dirhams d'amendes et à d'autres peines pécuniaires liées à des délits de changes. Six jours avant cette condamnation, le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie a été créé à l'initiative de salariés de la raffinerie de Mohammedia et de membres d'un grand nombre de partis politiques, d'organisations syndicales et d'associations de la société civile. Cette initiative est soutenue par des personnalités nationales, des experts, des avocats et des parlementaires. Objectif déclaré : relancer la raffinerie nationale et sauver tout son écosystème. Contacté par nos soins, Houssine El Yamani, coordinateur national du Front nous a expliqué la démarche de ce front, ses revendications, son orientation, mais aussi le contenu et les décisions prises lors de la dernière réunion de son Conseil National qui s'est tenue samedi 15 septembre 2018 à Rabat. Une dette qui ne fait pas dans le raffinement Au dernier jugement rendu contre la Samir, la Société anonyme cumulait près de 40 milliards de dirhams de dettes, à laquelle il faudra ajouter 35 milliards de dirhams dans le cadre d'un prochain verdict, nous apprend notre interlocuteur, soit un total de 60 à 70 milliards de dirhams de dettes publiques. «Il faut que la Samir redémarre, il n'y a pas d'autres issues que la reprise d'activité et la cession de la raffinerie», insiste Houssine El Yamani. «D'ailleurs, ajoute-t-il, il y a des offres sérieuses de la part d'investisseurs potentiels qui n'attendent que le feu vert de l'Etat». Suite à l'arrêt de la Samir en 2015, on estime à 20.000 le total des emplois perdu, cela inclus les pertes enregistrées au sein de la Samir, mais aussi les sociétés sous-traitantes et les créanciers, détaille la même source. Les conséquences désastreuses sont aujourd'hui visibles dans pas moins de 480 petites et moyennes entreprises qui travaillaient avec la Samir. En somme, des dommages considérables ont été causés par l'arrêt d'activité en matières économique, financière, sociale et de développement. Déterminer les responsabilités Dans son dernier communiqué, le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie n'hésite pas à pointer du doigt, sans les nommer, «ceux qui exploitent cette situation pour augmenter de façon vertigineuse les prix des hydrocarbures et détruire le pouvoir d'achat des consommateurs et des citoyens». Aujourd'hui ce sont les distributeurs qui ont pris le pouvoir, affirme El Yamani. «Il faut que la raffinerie redémarre pour que la compétitivité soit au rendez-vous, sans concurrence entre la production locale et l'importation, le Maroc restera toujours victime de chantage», prévient-il. Et le gouvernement dans tout cela ? «L'Etat marocain et les différents gouvernements successifs sont, sans équivoque, directement responsables de l'arrêt de la production de la raffinerie de Mohammedia. Cette responsabilité est liée à la sombre privatisation de la Samir, à des négligences des pouvoirs publics dans leur fonction de surveillance et de contrôle et à une aggravation de la situation de l'entreprise du fait d'une gestion frauduleuse et désastreuse», résume le communiqué publié suite à la réunion du samedi 15 septembre 2018. «Tous les gouvernements qui ont participé à la privatisation et qui n'ont pas exercé le contrôle nécessaire pour l'application des engagements inscrits dans le contrat de la privatisation, sont concernés par cette faillite puisqu'ils se sont tus, en plus, lorsque Corral n'a pas respecté ses engagements», argumente El Yamani. Corral Holding Maroc, rappelons-le, est l'actionnaire majoritaire de la Samir. Le groupe suédo-saoudien détient en effet 67,27% de parts. La holding est elle-même détenue par l'industriel saoudien d'origine éthiopienne, le sulfureux Mohammed Al Amoudi. C'est donc Corral qui est accusée par le Front national de la sauvegarde de la raffinerie d'avoir manqué à ses engagements, notamment en termes de modernisation et le développement de la Samir. A titre d'exemple, les rapports et documents relatifs à la raffinerie ne sont pas numérisés, ce qui ne facilite pas la tâche à d'éventuels candidats qui voudraient entamer une procédure de liquidation. Une gestion interne exécrable, des dirigeants douteux et surtout l'Etat qui n'a jamais semblé vouloir prendre le taureau par les cornes. El Yamani va plus loin en interpelant Nizar Baraka. Pour lui, l'ex ministre de l'Economie et des Finances du gouvernement Benkirane doit dire aux Marocains pourquoi il n'a pas fait le nécessaire pour récupérer l'argent que devait la Samir à l'Etat. Prochaines étapes Suite à sa réunion du samedi 15 septembre 2018, le Conseil national du Front a décidé de mettre en exergue cinq points, autour desquels s'articulera son action. Il veut d'abord mettre un terme à ce qu'il qualifie de «manipulations actuelles» au niveau de la qualité et des prix des hydrocarbures et consolider les acquis que les industries du pétrole procurent au Maroc et aux Marocains. Il appelle aussi à la levée par l'Etat des entraves et difficultés empêchant la reprise d'activité, afin de limiter l'ampleur des pertes colossales, sauver la raffinerie de l'extinction et ouvrir de nouvelles perspectives à la poursuite du raffinage pétrolier au Maroc et au développement de cette industrie. Le Front estime que toutes les options restent ouvertes. Cela va de la gestion libre à la cession à des tiers, en passant par la conversion des dettes en participations au capital, la nationalisation ou le transfert à une société mixte composée d'un opérateur industriel, de l'Etat, des distributeurs pétroliers, des banques marocaines créancières, des investisseurs institutionnels et des salariés. Appel a été, en outre, lancé pour activer les procédures juridiques et les démarches judiciaires qui s'imposent. Dans ce cadre, le Front envisage de recourir aux voies judiciaires permettant de réclamer les dédommagements et les réparations des préjudices causés au pays et aux personnes. Sa seule force reste la mobilisation et c'est ce que ses membres ne cessent de faire, en intensifiant les actions de sensibilisation, de lobbying voire de pression, pour que les conditions favorables soient réunies en vue de permettre le redémarrage de l'activité de la raffinerie et de contrecarrer tout agissement voulant freiner cet élan.