Le point sur le changement attendu à la tête de la Commission de l'UA et sur les attentes suscitées par le retour du Maroc au sein de cette organisation continentale. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Que pourrait-on attendre du changement prévu à la tête de la Commission de l'Union africaine ? Germain-Hervé Mbia Yebega : Le dernier sommet de l'Union Africaine tenu à Kigali au Rwanda en 2016, n'avait pu porter à la tête de la Commission de cette institution, un président, pour un certain nombre de raisons. Je voudrais m'attarder, ici, sur celle qui me semble être la plus grave : la mise en cause du profil des candidats à ces hautes fonctions ! Quand vous parcourez la Charte de l'UA ; quand vous prenez en compte les urgences et enjeux dans le continent, en matière de paix, sécurité et développement notamment ; quand vous analysez le contenu de la déclaration du cinquantenaire de 2013 à Addis-Abeba, vous constatez l'effarante déconnexion du gouvernement de l'institution, avec les réalités de vie quotidienne des Africains. Par-delà le mythe des origines que constitue, d'une certaine manière l'organisation continentale, il lui faut exister, occuper pleinement sa place, par un effort de surpassement d'elle-même. C'est un chantier dans lequel l'UA, et avant elle l'OUA, essaie de se résoudre. Avec les difficultés que l'on découvre continuellement : les pesanteurs administratives ; les carences du budget de fonctionnement ; l'extrême politisation des décisions stratégiques et leur faible opérationnalité, etc. Le 28ème sommet de l'organisation qui se tiendra à Addis-Abeba à la fin de ce mois, devrait élire, de manière suffisamment consensuelle, un président de la Commission, doté de réels moyens de travail, pour réaliser les objectifs de la feuille de route qui lui sera assignée, au terme de la réception du rapport de la commission des réformes dirigée par le Président Paul Kagamé. Mais, des projections aux actes, il se passera sans doute beaucoup de temps. Le temps d'une grande incompréhension, et de l'exacerbation de la crise de confiance qui existe entre l'UA et la majorité des Africains. Quelle lecture faites-vous de la demande de réintégration de l'UA présentée par le Maroc ? Le royaume du Maroc a ratifié la charte de l'UA. Faut-il le rappeler, il est un des membres fondateurs, en 1963, de l'Organisation de l'Unité Africaine, ancêtre de l'UA. Il s'en était retiré au milieu des années 1980, lors de l'admission de la RASD. L'existence de ce contentieux historique avec l'organisation, ne devrait empêcher le retour du Maroc dans la grande arène institutionnelle continentale. Tout le bénéfice d'une diplomatie de présence et de participation, pour le Maroc, consisterait à occuper l'espace de débat et de prise de décision, afin de capitaliser au mieux, les intérêts que le royaume promeut dans le continent. Ces intérêts sont à la fois diplomatiques, géoéconomiques et géostratégiques. La proximité de relations entre le royaume du Maroc et les autres Etats Africains est ancienne, et s'est diversifiée au fil du temps. Un double intérêt donc, tant pour le Maroc, que pour l'ensemble des Etats qui lui sont alliés, voire même, pour toute l'institution. Le Maroc a besoin d'une présence consolidée au sein de l'UA, qui s'accommodera fort bien de ce retour. C'est dans l'enceinte même de l'organisation que le royaume pourra, au mieux, faire entendre sa voix et œuvrer de son influence pour faire valoir ses prétentions. Je voudrais, enfin, situer cette évolution favorable de la diplomatie marocaine, dans les dynamiques des organisations sous-régionales auxquelles appartient le Maroc : la déliquescence de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) ; la perte de vitesse, d'un certain nombre de projets d'insertion euro-méditerranéens. L'Afrique (et l'Afrique au sud du Sahara en particulier), est, par principe et nécessité, lieu de prédilection des projections du Maroc, quelles soient politiques, sécuritaires, économiques et culturelles. Quel rôle pourrait jouer le Maroc dans le sens de la transformation de l'UA en Union des peuples ? Le rôle particulier qu'a à jouer le Maroc dans le sens de la transformation de l'UA en Union des peuples, doit être défini par la vision qu'en a le royaume lui-même, à l'aune des enjeux et contraintes situationnelles à trois niveaux : le niveau national et local ; le niveau sous-régional ; le niveau continental. Les préoccupations fondamentales des Africains tiennent à des problématiques de gouvernance, de paix et de développement. Ce sont là, les bases de la construction d'un projet communautaire crédible et rassembleur. Le Maroc a à apporter sa contribution, en symbiose avec l'ensemble des autres pays Africains. Son retour au sein de l'organisation continentale comporte, à cet égard, un sens particulier. * Germain-Hervé Mbia Yebega est chercheur à la Fondation Paul AngoEla (Yaoundé), et à l'Institut Afrique Monde (Paris). Il est également enseignant-invité à l'Ecole Normale Supérieure de Maroua (Cameroun).