Passer le flambeau lorsqu'il s'agit d'entreprise s'avère problématique dans notre pays. Question de culture mais également d'organisation et de préparation, la transmission des entreprises au Maroc reste «un sujet souterrain» comme le qualifie Zakaria Fahim, managing partner au cabinet d'expertise BDO. Ce dernier a initié, en partenariat avec l'ANPME et C&O Marketing, une étude baromètre sur le sujet. «L'objectif de cette étude, dont la première édition a eu lieu en 2009, est d'apporter un éclairage sur la transmission d'entreprise et de susciter une réflexion pour la mise en place d'actions à même d'encourager et de faciliter le processus», annoncent les initiateurs de cette étude qui a été appuyée par des investigations sur le terrain. Ceci auprès de plus de 100 entreprises (dont 50% familiales) et d'un benchmark réalisé auprès de 20 experts à l'international et de sept experts marocains. Culture de transmission Différents points de vue qui aboutissent tous à un constat plutôt inquiétant. «Le gros danger réside dans le fait que l'entrepreneur oublie de préparer sa retraite. La transmission se fait alors dans la précipitation et sous la pression, que ce soit pour le patron ou pour le repreneur», analyse Fahim. D'après lui, ils seront plus de 80% de repreneurs à se faire transmettre la responsabilité sous la pression. Mort, maladie… les causes diffèrent mais le résultat est le même: les repreneurs sont appelés à la rescousse à la dernière minute et du coup «ils sont pour la plupart doublement mal préparés à leurs nouvelles fonctions», explique Zakaria Fahim. D'ailleurs, parmi les conclusions phares des deux éditions du baromètre, figure en première place le fait qu'il n'existe pas encore de véritable culture de la transmission d'entreprise, celle-ci étant insuffisamment appréhendée. «Ceci à un tel point que les patrons préfèrent transmettre leurs activités à des proches, même si ces derniers ne sont pas habilités à les diriger», note-t-on dans le guide édité avec l'appui du ministère de l'Economie et des finances. Les répercussions Une solution bricolée qui peut avoir des répercussions fatales sur l'avenir et la pérennité de l'entreprise en question, mettent en garde les initiateurs du baromètre. Avec un tissu économique essentiellement composé de PME, notre pays dispose d'un marché potentiel d'entreprises transmissibles, mais qui reste toutefois mal exploité voire «anarchique». Une situation qui, au-delà de la pérennité du cycle de vie de l'entreprise elle-même, peut toucher à d'autres composantes, plus particulièrement à ses ressources humaines, au maintien du dynamisme productif et la consolidation du développement du tissu économique en général. «D'où l'importance de revoir et d'améliorer les rouages de fonctionnement du processus de transmission», insistent les initiateurs du baromètre. L'accompagnement Si les conditions de la transmission des entreprises sont majoritairement «non favorables», d'après Fahim, c'est essentiellement par manque d'accompagnement professionnel pluridisciplinaire. Pour porter conseil, orienter, accompagner, aider à prendre les décisions… les experts comptables, banquiers, coachs professionnels, avocats et autres experts juridiques sont autant de personnes susceptibles d'apporter un soutien psychologique et professionnel (aux cédants et même aux repreneurs) dans cette manœuvre «qui n'est pas chose facile et qui doit se préparer sur deux à trois ans», reconnaît Fahim. Comparant les résultats de 2011 à ceux de 2009, l'expert remarque d'ailleurs qu'il y a une légère ouverture des entrepreneurs par rapport à la question de la transmission. Du côté des repreneurs, même constat. N'étant pas prêts à reconduire les mêmes modèles de gouvernance que leurs prédécesseurs (qu'ils soient parents ou autres), la nouvelle génération des patrons s'émancipe et opère des choix qui ne sont pas toujours dans la lignée des idées des anciens patrons. «Il faut noter que pour assurer une certaine fluidité à la transmission, le patron cédant doit faire preuve d'intelligence et d'humilité. Choisir le bon élément et savoir céder le fruit de longues années de travail demande beaucoup de volonté», explique Zakaria Fahim, avant d'ajouter que bien avant le moment crucial de la transmission effective, une autre doit se faire tout au long de la vie de l'entreprise. Explication : d'après les résultats du baromètre, les patrons marocains ont tendance à se constituer et se considérer comme le seul capital de l'entreprise. Cumulant les responsabilités, ils finissent par tout monopoliser. Ce qui menace l'équilibre et la stabilité de leurs affaires le jour de leur départ, qu'il soit forcé ou volontaire. Pour y remédier, les experts évoquent le développement, via formation et information, de la culture de délégation, la décentralisation de la décision, la variation des compétences et l'adoption d'un modèle de gestion plus moderne et plus assoupli, «en rupture avec les schémas archaïques», insiste Fahim. Une préparation préalable est ainsi indispensable pour assurer une transmission dans les règles de l'art, que cela se fasse par cession, héritage ou vente.