Budapest, Athènes, Londres, Berlin… La tournée en Europe du Premier ministre chinois Wen Jiabao - la seconde en quelques mois - ressemble à celle du grand chevalier blanc. En pleine crise grecque et alors que l'économie européenne traverse une période difficile qui fait planer de nombreuses incertitudes sur l'avenir de l'euro, la Chine joue les sauveurs. Tout au long de la semaine, les dirigeants chinois ont réaffirmé leur «confiance» en la monnaie unique dont «ils ne doutent pas de l'avenir» et répété que la zone euro constitue l'une des principales zones d'investissement de la Chine. Il faut dire que ses réserves en devises, les plus importantes du monde - 3 000 milliards de dollars - lui permettent quelques largesses ! Concrètement, les Chinois se sont dits prêts à soutenir financièrement les pays européens en difficulté ou menacés par la faillite en raison du très fort déficit de leurs finances publiques (Grèce, Hongrie, Espagne, Portugal, Irlande). Finançant déjà l'Etat américain, Pékin promet désormais d'un côté d'acheter de la dette souveraine européenne, de l'autre d'investir dans l'industrie, la chimie, les transports et les infrastructures de l'UE. Largesses dictées par la peur Dès janvier dernier, Pékin avait fait part de son intention d'acheter 6 milliards d'euros de dette espagnole - plus que la dette totale du Portugal et de la Grèce ! Une manne qui constitue une formidable bouffée d'oxygène pour les finances des pays du Vieux continent. D'autant que la Chine s'engage aussi à ouvrir son marché interne aux produits européens. A en croire les chiffres annoncés, les Chinois sont (enfin) disposés à commencer à équilibrer - un peu ! - le commerce international : 5, 36 milliards d'euros de contrats commerciaux pour l'Espagne dans la banque, l'agroalimentaire et surtout l'énergie (Sinopec, le géant chinois de la pétrochimie voudrait acheter une part des actifs que le géant espagnol Repsol détient au Brésil) et 1,5 milliard pour la Grande Bretagne pour ne citer que ces pays… Quant au Portugal, il sera d'autant moins en reste que les Chinois sont très intéressés par les liens très étroits que Lisbonne entretient avec l'Afrique et l'Amérique latine, deux continents riches en matières premières. Pourquoi une telle générosité ? La Chine entend d'abord montrer qu'elle est un Etat responsable préoccupé par la stabilité et la prospérité de l'économie mondiale et qu'elle n'hésite pas à intervenir quand celles-ci sont menacées. Le Premier ministre Wen Jiabao veut en outre présenter la Chine comme un partenaire à long terme de l'Union européenne. Mais ces raisons politiques «honorables» cachent bien sûr d'autres intérêts sonnants et trébuchants. Les largesses chinoises sont aussi dictées par… la peur ! Car la Chine est très dépendante du bon fonctionnement de l'économie mondiale et particulièrement de la vitalité des marchés américains et européens qui représentent au total deux tiers de la consommation de la planète. Conquérir des marchés Autant dire qu'une panne sévère et durable de la consommation en Europe - client numéro un du made in China - aurait des conséquences gravissimes sur les exportations chinoises ! D'ores et déjà, le ralentissement des économies américaine et européennes a un impact négatif sur la croissance chinoise : en mai dernier, les ventes de produits chinois aux Etats-Unis sont tombées à leur plus bas niveau depuis fin 2009, tandis que le taux de croissance des entreprises industrielles chinoises a été le plus faible depuis neuf mois ! Une crise généralisée des économies européennes aurait donc des retombées catastrophiques en Chine. D'autant que, préoccupé par la dévaluation du dollar qui représentait plus de deux tiers de ses réserves en devises, Pékin les a diversifiées. Du coup, plus d'un quart de ces réserves sont aujourd'hui en euros et les Chinois ont tout intérêt à soutenir la monnaie européenne car son krach éventuel leur ferait engloutir une fortune ! Ne pas perdre d'argent n'est cependant pas leur seul objectif. Pékin entend aussi profiter de la fragilité européenne pour conquérir des marchés. Plusieurs entreprises chinoises vont acheter des groupes européens et participer à des travaux d'infrastructure en Europe (elles travaillent déjà sur un tronçon de l'autoroute entre Varsovie et Berlin et lorgnent sur les projets destinés à relier l'Allemagne à la Turquie ou à la Macédoine). En Grèce, Pékin devrait notamment créer un fonds de 3,6 milliards d'euros pour aider les armateurs à acheter des navires chinois qui iraient chercher des marchandises… chinoises. Et le Pirée deviendrait ainsi la porte d'entrée du made in China en Europe. Accéder à la technologie européenne Cette volonté des Chinois de conquérir des parts de marchés en Europe en créant des têtes de ponts et d'avoir accès à la technologie européenne - notamment dans l'énergie et les technologies vertes allemandes - n'est pas seule en cause. Beaucoup de milieux d'affaires dénoncent un double jeu de Pékin. Son refus de réévaluer sa monnaie, le yuan, est un obstacle aux exportations des pays de la zone euro et donc pour leur balance des paiements, ce qui au final pèse directement sur leur dette ! Une chose est sûre : en devenant l'un des banquiers de l'Europe, la Chine espère trois retombées essentielles. D'une part que les Européens fassent moins pression pour obtenir une réévaluation du yuan. D'autre part que ces derniers se montrent moins regardants à la fois sur le climat et sur les droits de l'homme. C'est particulièrement vrai pour l'Allemagne qui sait que l'augmentation de ses exportations - + 38% en 2010 ! - vers la Chine (machines-outils et grosses berlines notamment) est le moteur de sa spectaculaire reprise économique. Or, malgré cela, Angela Merkel n'a pas manqué de réclamer un procès «transparent» pour l'artiste chinois Ai Weiwei au cours de sa rencontre avec Wen Jiabao. Et, s'apercevant que l'oreillette du Premier ministre chinois était tombée au moment de cette requête, la chancelière allemande a pris soin de la réitérer !