Une semaine après son arrestation, Ratko Mladic comparait devant les juges du Tribunal pénal international. Première audience d'un procès qui va durer des années et qui n'intéresse plus que les survivants de cette guerre des Balkans. La première victime d'une guerre, c'est toujours la vérité. Le TPI ne la ressuscitera pas : il prétend seulement faire la lumière sur quelques faits d'armes particulièrement sanglants et présenter l'addition aux responsables. C'est déjà très ambitieux. Il ne s'agit pas tant de faire passer la justice que de faire taire le scandale que représente le maintien en liberté de salauds qui ont endossé avec fierté les crimes commis, qu'ils les aient ou non ordonnés. La vérité d'une guerre civile n'est pas une affaire d'historiens. C'est celle des Serbes, des Bosniaques, des Croates qui savent que les criminels de guerre sont parmi eux, qui les connaissent, leur pardonnent parfois et le plus souvent préfèrent les oublier. Deux faits troublants dans cette affaire. D'abord, l'indifférence que suscite le sort d'un ennemi public numéro 1 après quelques années de cavale. L'arrestation de Ratko Mladic n'a pas mobilisé plus de manifestants en Serbie que celle de Ben Laden au Pakistan. Elle n'a pas non plus été fêtée dans les capitales qui ont oublié qu'au temps où il avait pouvoir de vie et de mort sur les arpents de montagne que tenaient ses miliciens, Ratko Mladic défiait le monde entier et prenait plaisir à humilier les Européens, les Américains, les Nations Unies. Qui se souvient des casques bleus pris en otages et du massacre des milliers de civils qui croyaient à la protection des Nations Unies ? Seize ans ont passé depuis la fin de la guerre. Les familles des victimes restent enfermées dans leur deuil, les Serbes en quarantaine et la vie politique empoisonnée par ce passé. Mais au-delà des Balkans, ces années ont émoussé l'indignation des opinions publiques comme elles ont limé les dents des fugitifs. Au bout de la route, La Haye, ses procédures contestables, sa prison aseptisée, son apothéose bureaucratique : somme toute, un enfer confortable. Le dénouement de l'histoire est le dernier chapitre de la guerre des Balkans. Elle n'intéresse plus les médias, obnubilés par d'autres drames. Un clou chasse l'autre. Un clown sinistre chasse l'autre. C'est la loi de l'info. De quoi expliquer le peu d'acharnement mis par des journaux à enquêter sur les récits édifiants présenté par les autorités. Bien que le cadavre de Ben Laden ait été escamoté et que les porte-parole de Washington aient multiplié les versions contradictoires, les médias ont fini par adopter la version officielle. Même ses adversaires républicains créditent Barack Obama d'avoir géré ce dossier avec maestria. En dehors des spécialistes de la zone, qui cherche encore à obtenir des réponses sur le rôle des services Pakistanais ? De même, difficile de croire que Ratko Mladic ait passé ces dernières années chez son cousin, à Lazarevo. Les révélations soigneusement distillées aux journaux de Croatie et de Bosnie qui rapportent que le fugitif a négocié sa reddition sont beaucoup plus vraisemblables. Elles expliquent le traitement de faveur dont il a profité, en étant autorisé à se rendre au cimetière pour se recueillir une dernière fois sur la tombe de sa famille et qu'il se soit montré aussi coopératif avec les autorités. Les grands fauves de l'actualité internationale finissent dans une cage ou dans une tombe. Les médias aiment cette mise en scène d'une forme de justice. Ils voient le monde comme un western. Les esprits forts s'indignent et voient qu'il y a deux poids, deux mesures. L'essentiel est ailleurs. Dans un monde sans cesse plus petit et plus dur, l'impunité recule. Le Tribunal pénal pour les Balkans comme la Cour pénale internationale ont le mérite d'exister et de rappeler aux amis de Kadhafi ou de Bachar el Assad que l'impunité n'est plus automatique. Qu'ils sont en route pour La Haye. C'est leur terre promise.