I0 000 morts au moins, des milliers de disparus, 500 000 déplacés… Les mots manquent pour décrire le cauchemar des Japonais frappés par un séisme d'une magnitude inédite puis par le terrible tsunami qui a dévasté tout le nord-est du pays le 11 mars. Et avant même de réaliser que rien n'avait résisté à la monstrueuse vague du tsunami, un drame plus angoissant encore s'est abattu sur eux: la crainte d'une contamination radioactive après trois explosions successives dans la centrale nucléaire de Fukushima située à 250 km de Tokyo qui compte six réacteurs. Après l'endommagement de l'enceinte de confinement d'au moins deux des réacteurs, qui laissent échapper des particules radioactives, la situation semble incontrôlée. Cinq jours après le tsunami, la radioactivité est très importante et son taux est 300 fois supérieur à la normale dans la préfecture d'Ibaraki, voisine de celle de la centrale de Fukushima. Du coup, le personnel qui travaillait sur ce site a été évacué temporairement le 16 mars 2011 et le périmètre de sécurité qui l'entoure sensiblement élargi. Signe qui ne trompe pas: pour la première fois le 15 mars, des Japonais ont commencé à prendre d'assaut les trains pour fuir le nord-est du pays et Tokyo et se réfugier au sud. Le traumatisme de l'histoire La gravité de la situation fait ressurgir le spectre d'un nouveau Tchernobyl. La fusion du cœur d'un réacteur dans cette centrale d'Ukraine en 1986 avait créé un nuage radioactif qui avait entraîné 4000 morts, notamment par cancers de la thyroïde, selon l'AIEA, et bien plus selon des ONG. Si on n'en est heureusement pas là au Japon, ce pays vit néanmoins son plus grand désastre depuis la deuxième guerre mondiale. Et ce drame, déjà chargé du poids de l'histoire puisque la première bombe atomique fut lancée en 1945 sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki, est aussi terrible pour l'avenir. La bourse de Tokyo a plongé et la catastrophe risque de différer le redémarrage de l'économie nippone qui commençait à peine à sortir de l'une des crises économiques et financières les plus graves de son histoire. En attendant, l'incertitude sur l'évolution de la situation dans la centrale de Fukushima ajoute à la peur des Japonais. Les autorités ont fait appel aux Américains et à l'Agence internationale de l'énergie atomique pour les aider à maîtriser les choses. Mais si elles ne gagnent pas la course au refroidissement des autres réacteurs, la situation pourrait devenir dramatique pour des centaines de milliers de Japonais qui seraient exposés au risque d'une grave contamination. Le Premier ministre Naoto Kan a d'ailleurs demandé aux 200 000 personnes vivant dans la zone de 20 à 30 kilomètres autour de la centrale de rester confinées chez elles, tandis que l'Union Européenne n'hésite pas à qualifier l'accident «d'apocalypse»… Le prix de l'indépendance énergétique Cette alerte dans un pays qui, avec 57 réacteurs nucléaires dépend à 40% de la filière nucléaire pour produire l'électricité dont il a besoin, va relancer le débat sur le danger du nucléaire. Le Japon est avec la France - dont 75% de l'électricité consommée vient du nucléaire -, l'Allemagne et l'Angleterre l'un des champions de la filière nucléaire. Et pour cause: les Japonais n'ont ni pétrole ni gaz et doivent les importer. Soucieux que leur économie ne dépende pas des turbulences proche-orientales et d'assurer leur indépendance énergétique, ils se sont tournés vers la filière nucléaire pour produire leur électricité. Non sans s'entourer de normes de sécurité drastiques appliquées avec une discipline de fer. Si Tchernobyl fut provoqué par la vétusté et le mauvais entretien d'une centrale, ce n'est pas le cas de Fukushima. Experts et techniciens japonais sont ultra compétents et rigoureux et les systèmes de contrôle ultra-sophistiqués. Dans ce pays situé sur une des zones où l'activité sismique est la plus forte de la planète, les immeubles - et a fortiori les centrales nucléaires - sont construit pour résister aux tremblements de terre, même de grande magnitude. Cela explique que les séismes ne fassent généralement pas de victimes au Japon. Le problème, c'est que personne ne pouvait prévoir l'enchaînement d'accidents du 11 mars : un tremblement de terre de magnitude 8.9 suivi d'une série de répliques souvent fortes et un énorme tsunami, qui a paralysé les systèmes de refroidissement de trois des six réacteurs de Fukushima. Contre de telles forces de la nature, la technique humaine est impuissante. Mais les experts sont néanmoins unanimes à dénoncer le recours à l'industrie nucléaire dans une zone aussi sismique. Energies renouvelables Certes le nucléaire à des fins pacifiques permet d'assurer une indépendance énergétique et il est moins polluant que le charbon ou le pétrole. Certes, c'est une source d'énergie formidable quand cela fonctionne sans problème. Mais comme le moindre accident peut avoir des conséquences quasi apocalyptiques, c'est aussi une alternative dangereuse. D'ores et déjà, la crise japonaise a partout relancé le débat sur son bien fondé et sur le développement des énergies renouvelables. En Allemagne, la chancelière Angela Merkel a gelé une décision qui prolongeait de douze ans en moyenne la durée de vie de dix-sept centrales. Et elle annonce l'arrêt pour trois mois des sept plus vieux réacteurs du pays. Une attitude qui, soit dit en passant, n'est pas sans arrière pensée politique à deux semaines des élections prévues dans le Bade-Wurtemberg. La Suisse a décidé de suspendre toute construction de nouvelles centrales et de réviser les normes de sécurité des cinq en activité. L'Autriche a demandé que les 143 centrales nucléaires européennes soient révisées. Des tests de résistance devront permettre de vérifier avant la fin de l'année si elles résistent aux inondations, aux raz de marée, aux coupures d'électricité, aux attaques terroristes et aux tremblements de terre. Le député vert européen Daniel Cohn Bendit réclame quant à lui un grand débat suivi d'un référendum sur le sujet. Prônant de sortir du tout nucléaire et d'augmenter la part des énergies renouvelables, il insiste sur le nombre d'emplois créés par ce secteur en Allemagne. L'alerte japonaise devrait en tout cas faire réfléchir les pays exportateurs de centrales nucléaires à usage civil, à commencer par la France, sur un risque majeur: continuer à encourager et à vendre la technologie nucléaire à des pays dont les garanties démocratiques et les compétences technologiques sont infiniment moindres que celles du Japon ou de la France pour ne citer qu'eux.