Un homme politique n'est pas mort tant qu'il n'est pas froid. Règle d'airain, qui s'applique aussi et même surtout en période de convulsions. Qui aurait pu imaginer que Beji Caïd Essebsi revienne un jour au pouvoir ? Quel Tunisien aurait imaginé à la fin de l'an dernier que ce vieux monsieur soit enfin nommé Premier ministre ? Couronnement d'une carrière interrompue, il y a près de vingt ans. Le nouveau chef du gouvernement tunisien a 84 ans. Il n'est pas de la génération Twitter. Il n'a pas de page facebook et il n'est même pas dit qu'il sache s'en servir. Quand il dirigeait la Sécurité Nationale, il y a un demi-siècle, les machines à écrire étaient mécaniques et les fiches de police étaient le plus souvent rédigées à la main. Quand Zine Ben Ali l'a écarté du gouvernement, dans les années 80, la révolution de l'ordinateur personnel commençait tout juste. En fait Beji Caïd Essebsi a pris sa retraite de ministre à peu près à la naissance de Mohamed Bouazizi, martyr et symbole de la révolution tunisienne... Un mois et demi après la chute de Zine Ben Ali, la Tunisie emportée par sa jeunesse mise donc sur un octogénaire pour mener à bien la transition, calmer la rue impatiente et relancer l'activité dans un pays qui a les nerfs à vif. Mohamed Ghannouchi a jeté l'éponge, après de nouvelles manifestations ayant tourné à l'émeute. Tous les ministres auront bientôt démissionnés à leur tour. Reste l'ancien ministre d'Habib Bourguiba. A lui d'éteindre la lumière quand le président par intérim achèvera son mandat dans quinze jours ? On va vite savoir si le vieux sage de la politique tunisienne saura mieux répondre à la surenchère des démagogues et à la montée des périls à la frontière libyenne où affluent les réfugiés. Un homme politique n'est pas mort tant qu'il n'est pas froid, la règle s'applique aussi en France où Alain Juppé a retrouvé son beau bureau au Quai d'Orsay. C'est un survivant qui redevient ministre des Affaires étrangères. La dernière fois remonte à 1993. Il y a 18 ans. Le président s'appelait François Mitterrand. Entre-temps Alain Juppé a mis la France en grève et il est devenu l'homme politique le plus vilipendé du pays. Sa carrière a ensuite été torpillée par les juges qui enquêtaient sur les affaires de la mairie de Paris, il s'est alors exilé au Canada pour y tenter une vie d'enseignant bucolique qui a tourné court. Indifférent à ces aléas de carrière et relativisant leur importance toute relative, le monde continuait de tourner. Des guerres (au Kosovo, en Irak, en Côte d'Ivoire…) qui ont modifié les modèles stratégiques, l'élargissement de l'Europe passée de 12 à 27, le choc du 11.09 aux conséquences calamiteuses, la mondialisation qui impose la Chine et redessine la planète, enfin la tempête arabe… Aujourd'hui, Alain Juppé savoure sa revanche et la gauche comme la droite saluent ses qualités d'homme d'Etat. C'est une leçon que peut méditer Michèle Alliot-Marie. De quoi lui rendre espoir. Après tout, dans 18 ans, MAM aura 84 ans, c'est-à-dire précisément l'âge du Premier ministre tunisien.