C'est une loi de la Ve république en France. Peut-être est-elle universelle ? Enlisé dans les problèmes domestiques, le chef de l'Etat s'en extrait en mettant en scène sa politique étrangère. ADN gaulliste des institutions. Les Français ont mémoire d'un général qui ferraillait contre les grandes puissances et chantait la libération des peuples. Ils oublient ainsi l'essentiel de son héritage, la restauration des équilibres économiques et la modernisation d'un vieux pays à coups de grands projets de recherche et de développement (le spatial et Concorde, les autoroutes et les villes nouvelles, l'informatique, etc.). L'indice de niveau de vie ne fait jamais rêver les peuples. Alors qu'ils aiment à croire qu'ils jouent un rôle dans l'histoire, la marche du monde. Contrairement à ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy ne cherche pas à se distraire des problèmes domestiques en allant faire de la figuration aux côtés de ses homologues sur des photos à l'autre bout du monde. Ses visites à l'étranger sont calculées au plus court et les sommets internationaux tiennent de la corvée. Mais encalminé au plus bas dans les sondages, il misait sur sa présidence du G8 et du G20 pour restaurer son image. Une urgence à un an de la présidentielle. Patatras, la tempête qui souffle sur le monde arabe a mis par terre ces calculs un peu étroits. La réforme monétaire, d'autant plus urgente qu'elle semble infaisable, apparait désormais comme une lubie de technocrate. Le seul intérêt qu'ait suscité dans l'opinion le sommet du FMI à Paris le week-end dernier fut la starification d'un Dominique Strauss-Khan condamné à rester aussi énigmatique qu'un Sphinx. Pire, les maladresses accumulées depuis le début de la révolution en Tunisie font apparaitre la diplomatie française comme dépassée, aveuglée, compromise… Paris a «raté» la révolution tunisienne. La France est restée sur le quai. Comment expliquer que l'exécutif n'ait rien vu venir ? On a mis au débit de la diplomatie française l'aveuglement de Michelle Alliot-Marie familière d'une Tunisie balnéaire et totalement déconnectée du pays réel. C'est injuste : l'examen attentif des télégrammes diplomatiques montre que le quai d'Orsay connaissait par cœur les faiblesses de Ben Ali. Il aurait d'ailleurs fallu être sourd pour ne pas entendre à Tunis où c'était un sujet permanent de conversation, l'indignation que suscitait la kleptomanie de la famille Traboulsi. Si l'ambassade ignorait l'essentiel sur la santé ou la sécurité du Président tunisien, rien ne lui échappait des difficultés d'une jeunesse au chômage et des risques sociaux engendrés par la crise mondiale. Les rapports transmis au fil des années analysent le phénomène avec finesse. Pourquoi ces éléments dérangeants n'ont-ils pas été pris en compte par les dirigeants politiques ? Parce qu'ils ne voulaient pas savoir… Il ne s'agit pas de corruption ! Il faut faire preuve de beaucoup de naïveté pour imaginer les élites politiques et médiatiques dont on connait l'ingratitude foncière défendant un régime condamné parce qu'elles apprécient la piscine du golf ou le room service du palace 5 étoiles… C'est à la fois plus simple et plus grave : la France s'est laissée obnubiler par la stabilité de la Tunisie. Elle y trouvait la réponse aux problèmes qui la hantent : l'immigration et la sécurité. Ce manque d'imagination et d'empathie, cette lecture du monde en fonction des seuls intérêts immédiats, cette fausse modestie sont sévèrement sanctionnés. En Tunisie, le ministre des Affaires étrangères va rester longtemps persona non grata. Elle a gagné un carton rouge à l'heure où l'histoire relançait la partie. Ses collèges de l'Economie et des Affaires européennes se sont rendus mardi à sa place à Tunis pour raccommoder la vaisselle cassée. Ils l'ont fait avec l'humilité en étendard et le carnet de chèques à la main. Pour «accompagner» la Tunisie, il va falloir longtemps marcher sur des œufs. Le nouvel ambassadeur à peine débarqué l'a appris à ses dépens. Il s'est laissé piéger par de jeunes journalistes déterminées à faire preuve d'une liberté toute nouvelle. Son agacement manifeste est apparu comme une forme intolérable de mépris… Comble de malheur : le présomptueux ayant jadis travaillé à la Présidence, c'est à Nicolas Sarkozy en personne qu'on reproche une forme d'amateurisme et de désinvolture en politique étrangère. C'est vrai qu'en s'installant à l'Elysée, il a imaginé qu'il pouvait rompre avec le passé. Alors qu'il n'y pas de domaine où il soit plus difficile d'innover et de se singulariser. Il a multiplié les coups d'éclats diplomatiques dont la plupart se sont avérés des coups d'épée dans l'eau. Les grands projets (Copenhague, l'Union pour la Méditerranée, la réforme du système monétaire international, la relance européenne) semblent perdus dans les sables. L'opposition tient les comptes de chaque occasion ratée, de chaque faux pas, de tous les reniements. Ceux qui n'ont pas digéré le virage atlantiste dénoncent une politique au coup par coup, submergée en fin de compte par les puissants courants de la mondialisation. Un groupe de hauts fonctionnaires s'est même constitué pour dénoncer publiquement l'Elysée dans l'affaiblissement de la diplomatie, du jamais vu ! C'est la vengeance d'un quai d'Orsay qui se sent marginalisé par un président, jamais avare de son mépris pour les haut-fonctionnaires trop prudents. Nicolas Sarkozy a salué le «printemps des peuples arabes». Etrange expression pour un mouvement qui a commencé en janvier. Conventionnelle, ampoulée mais juste, si elle évoque le réveil de sociétés qui étaient endormies. Juste et historique, si elle renvoie aux révolutions qui de proche en proche balayèrent l'Europe en 1848. A l'époque, c'est en chantant la Marseillaise que Berlin, Vienne, Prague, Varsovie, se soulevèrent… Cela ne risquait pas d'arriver à Benghazi ou place Tahrir ! La France est restée sur le quai. Sa consolation, c'est que personne n'avait imaginé cette révolte hors-saison. Son espoir tient dans cette évidence : l'histoire est loin d'être finie. Elle va repasser les plats. Aussi radicale soit elle, aucune révolution ne modifie la géographie ! Une fois l'euphorie lyrique retombée, la prudence et la modestie qu'affecte désormais l'Elysée pourraient être davantage appréciées que les gesticulations américaines. Surtout si les lendemains de fête s'avèrent décevants.