Dans le kaléidoscope de l'info continue, l'Europe semble livrée aux enragés. Trois exemples en quelques jours de cette fureur que la crise semble aiguiser. A Londres, la vénérable Rolls couleur framboise du Prince Charles et de la Duchesse de Cornouailles se trouve enlisée dans les embouteillages. Le trafic est bloqué par la queue de la manifestation contre la hausse des droits universitaires qui a dégénéré. Des gamins surexcités à l'accent étranger reconnaissent l'héritier de la couronne. Ils n'en reviennent pas qu'il soit à portée de main, moins protégé qu'une vedette éphémère de reality show. Ils le hèlent sans façons, le poursuivent, le moquent et finissent par briser une vitre et badigeonner la limousine de peinture blanche. Les Britanniques restent incrédules devant ce crime de lèse majesté. L'histoire se souviendra que le couple princier est rentré à son palais en panier à salades. Shocking ! Les Italiens eux n'en reviennent pas du sac de Rome. Alors que toute la classe politique se livrait à un des psychodrames dont elle a le secret avec le vote de confiance auquel Silvio Berlusconi a survécu, des dizaines de milliers d'étudiants arpentaient le centre historique en dénonçant là aussi, un projet de réforme des universités. A l'intérieur, musique de chambre. Au dehors, musique militaire avec des scènes de guérilla urbaine. Les Black block sont de retour. Les casseurs ultra déterminés ont incendiés les blindés de la police, pillé les boutiques élégantes du Corso et laissé 90 blessés sur le pavé. Les Italiens qui redoutent d'être attaqués par les marchés et de ne plus pouvoir payer leur dette pharaonique, découvrent sidérés la violence de l'assaut. L'impact de ces images atténue la médiocre victoire Silvio Berlusconi, reconduit d'un cheveu et faute d'alternative. En Grèce, septième grève générale de l'année. La Grèce en grève, presque un synonyme. Mais toujours aussi peu de manifestants dans les rues. Le fatalisme domine. Les syndicats peuvent mettre le pays à l'arrêt mais sont incapables de faire descendre les Grecs dans la rue. La banderole de tête du cortège se contente de proclamer : «ça suffit, on ne supporte plus !» Les experts peuvent toujours expliquer que «ça» ne fait que commencer, que les 110 milliards d'euros déversés par l'Union Européenne et le FMI ont permis d'éviter le pire… Un député de droite, ancien ministre, est reconnu à la sortie d'un café. Il manque de se faire lyncher. Des petits groupes d'ultra-gauche attaquent tous les symboles de l'autorité : la police, le siège des banques, les syndicats. Les étudiants sont débordés, la police aussi. Un membre du cabinet de G. Papandréou se demande à haute voix devant des journalistes combien de temps le gouvernement pourra tenir. Londres, Rome, Athènes. L'impatience d'une Europe qui ne se résigne pas à accepter la crise qui la frappe. L'Union européenne reste le continent le plus riche avec 22% du PIB mondial. Quand la Chine en représente moins de 10%. Cette richesse a financé une solidarité sans équivalent dans le monde. A l'heure où l'émergence d'un nouvel ordre menace les positions acquises, les vieilles sociétés semblent encore incapables de faire face aux frustrations qu'engendre cette mutation. Tétanisée face au spectacle de cette violence en laquelle elle ne se reconnait pas. La violence, grande consolatrice faute d'idéal qui rassemble.