La roue de la fortune télévisuelle est en train de tourner. Le modèle économique des chaînes de télévision hertzienne est remis en cause. Que ce soit par le projet, énoncé par le président de la République, Nicolas Sarkozy, le 8 janvier, de supprimer la publicité sur les chaînes du service public, par l'inexorable progression d'audience de la télévision numérique terrestre (TNT) dans les foyers français ou par la montée en puissance très rapide de l'Internet à haut débit. Sous ces coups de boutoir successifs, TF1, M6 et France Télévisions tentent de se réinventer. Ce sera, en ce qui concerne les télévisions publiques, le travail de la commission nommée mardi 19 février et présidée par Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale. La suppression totale de la publicité sur France Télévisions signifie la disparition de 800 millions d'euros des caisses du service public, soit plus d'un tiers de son financement. A ce manque à gagner s'ajoute le coût des programmes supplémentaires à mettre à l'antenne en lieu et place des plages publicitaires ; France Télévisions l'estime à 400 millions. Où trouver ce complément financier ? A la commission de répondre. NORMALISATION Ces interrogations n'épargnent pas les autres grandes chaînes hertziennes. TF1 a beaucoup perdu de sa superbe. Mesurée, il y a encore un an, à 30,7 % de part d'audience, la chaîne privée doit se contenter ces dernières semaines de 27 % à 28 %. Au mieux ! Avant TF1, France 2 et France 3 avaient déjà piqué du nez. Tout comme Arte et France 5. Puis ce fut au tour de M6 et de la Une. Le responsable de ce naufrage collectif a un nom : TNT. Lancée à la fin mars 2005, elle a, en moins de trois ans, complètement remodelé le paysage audiovisuel français. Et ce n'est pas fini ! Collectivement, les douze télévisions - autres que les chaînes hertziennes accessibles par la TNT - se sont imposées à la deuxième position en termes d'audience derrière TF1. Depuis mars 2005, elles ont successivement doublé M6, France 3 et enfin France 2. En pratique, l'émergence de la TNT accélère la normalisation du paysage audiovisuel français. TF1, ultradominatrice en audience depuis sa privatisation en 1987, redescend de son piédestal. Avec plus de 30 % de part d'audience, la chaîne privée était un cas unique en Occident. Certains, au sein de la chaîne privée, prévoient que la Une pourrait capter seulement 25 % de part d'audience d'ici trois à cinq ans. En outre, toutes les chaînes historiques, TF1, France 2, France 3, M6 et France 5/Arte devront vivre dans un univers uniquement numérique. A cet horizon, la diffusion hertzienne analogique sera arrêtée pour laisser place à la seule TNT. Désormais, les grandes chaînes ont pour but de préserver leur puissance pour continuer à attirer les annonceurs. Ceux-ci s'inquiètent d'une augmentation du coût du média liée mécaniquement à la baisse des audiences. En outre, la comparaison avec le prix très abordable des spots de la TNT rend la justification du tarif des chaînes analogiques plus complexe. Déjà en 2007, pour la première fois, les recettes publicitaires de TF1 ont marqué le pas. Il est vrai que les annonceurs modifient la répartition de leurs investissements publicitaires et tiennent compte désormais de la place grandissante d'Internet dans la consommation des médias. Le développement très rapide du haut débit en France - plus de la moitié des Français (53 %) en bénéficient aujourd'hui - a accéléré le basculement. Preuve de cette montée en puissance, Orange, champion du téléphone et de l'Internet à haut débit, s'aventure sur le terrain des télévisions. L'opérateur de téléphonie vient au même moment de coproduire son premier film de cinéma (PS I Love You) et d'acheter, pour plus de 200 millions d'euros par an, trois des lots majeurs mis en vente lors de l'appel d'offres sur les droits de retransmission du championnat de France de football de Ligue 1. Orange a acquis en exclusivité l'un des deux matches décalés par journée de championnat pour les quatre prochaines saisons. Pourtant, le média télévisuel pourrait sortir renforcé de cette période de mutation. La directive européenne "services de médias audiovisuels sans frontières", qui devrait être transposée en France en 2008, prévoit une augmentation du volume publicitaire sur les antennes. Les chaînes privées pourraient bien profiter de cet assouplissement et bénéficier ainsi d'un relais de croissance au détriment des autres médias comme la presse et la radio. De plus, les télévisions développent des ressources avec la vente de produits dérivés ou l'investissement dans des activités complémentaires. Elles espèrent aussi mieux maîtriser le coût de leurs grilles de programme en renégociant les accords qui lient les chaînes à la production audiovisuelle.