L'assassinat dans l'Est de la France d'un patron décapité par un de ses employés qu'il avait vertement tancé la veille pour avoir endommagé une machine coûteuse, a laissé la France tétanisée. Non seulement la victime a été décapitée, mais le meurtrier présumé a pris un « selfie » avec la tête du défunt, l'a adressé à une de ses relations, en Syrie, avant de la planter prés de la grille d'entrée de l'entreprise. Une mise en scène insensée. «Nous ne pouvons pas perdre cette guerre contre le terrorisme, contre l'islamisme radical, contre le djihadisme (....) parce que c'est au fond une guerre de civilisation. C'est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons», a expliqué le Premier ministre français interviewé lors de l'émission d'Europe 1-Le Monde-i-Télé, «Le Grand Rendez-Vous». « Guerre de civilisation ». Le grand mot était lâché. Il a mis le feu aux poudres car il rappelait curieusement le vocabulaire des néo-conservateurs américains et de l'universitaire Samuel Huntington qui, en 1996, dans un livre Le choc des civilisations prédisait que le prochain conflit serait un conflit culturel et religieux, en particulier, entre l'Occident et l'islam. Une thèse qui, il y a dix ans, était reprise avec délectation par les divers partis de la droite européenne. Une comparaison évidemment malheureuse pour Manuel Valls qui prenait bien la peine de préciser «qu'il ne s'agit pas d'une guerre entre l'Occident et l'islam, mais une guerre au nom même des valeurs qui sont les nôtres et que nous partageons au-delà même de l'Europe». Autant d'explications qui ne faisaient qu'enfoncer un peu plus le clou. Et déclenchaient la polémique et des remarques ironiques de la droite trop heureuse d'entendre Manuel Valls enfourcher des propos plus familiers dans la bouche d'un Nicolas Sarkozy. Après les attentats de janvier dernier contre Charlie Hebdo et une épicerie casher, l'ex président français avait parlé de «guerre à la civilisation». Bref, cette semaine, gauche et droite ont tenté de s'expliquer les uns maladroitement, les autres ravis. «Il s'agit d'une guerre entre la civilisation humaine dans la pluralité de ses composantes et ces barbares abjects. Ce n'est pas une guerre de civilisations au pluriel. C'est une guerre entre la civilisation humaine et la barbarie», a précisé le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, volant au secours de son Premier ministre. Tous, à gauche, n'avaient pas cette indulgence. «Il y a des raccourcis idéologiques auxquels il faut faire très attention», a déclaré le socialiste Julien Dray. Autre ton à droite. «Après avoir insulté pendant des années Nicolas Sarkozy qui le disait, Valls reconnaît enfin que nous sommes dans une guerre de civilisation», tonnait le porte-parole des Républicains, le parti de Sarkozy. Il est très manifeste que la phrase de Valls était malheureuse. Malheureuse parce que la France est actuellement un pays déboussolé, mal dans sa peau. Que certains des musulmans ne s'y sentent pas à l'aise, comme ils ne sont pas à l'aise partout dans le monde avec les crimes commis au nom d'une soi-disant foi islamique. La France a besoin d'apaisement. Mais on ne peut pas en déduire hâtivement – et malhonnêtement – pour autant que Manuel Valls est, en dépit de sa formule malencontreuse puisqu'elle a été mal interprétée, un adepte de la guerre des civilisations à la mode américaine. C'est lui faire un procès d'intention. Les Français de confession musulmane le savent. Mais les politiques sont trop heureux de jouer des maladresses de langage. Même lorsqu'elles sont explosives.