Bien sûr, il y a la débâcle de Nicolas Sarkozy et de la droite lors des élections régionales des 14 et 21 mars. Quimporte dès lors que la droite ait «sauvé» trois régions : lAlsace, la Réunion et la Guyane ? Le bilan comptable de ce scrutin se suffit à lui-même : gauche 54,1%, droite 35,4%, Front national 9,4%, abstention 48,9%. En dépit dune faible augmentation de la participation, un électeur sur deux na pas voté au second tour. Lincroyable déni de réalité des dirigeants de lUMP au soir du premier ny est pas pour rien. Leur langue de béton armé répétant que labstention enlevait tout sens au scrutin a donné le résultat prévisible : lélectorat présidentiel a réitéré son avertissement, excédé que le premier soit tombé dans loreille de sourds. Réconcilier la droite Quimporte que lélectrochoc ait déclenché la fronde qui couvait dans les rangs de la droite ? Il ne restait plus au chef de lEtat, dont la marge de manuvre jusquà la présidentielle de 2012 est étroite, quà tenter de tourner la page. Il a donc procédé à un remaniement ministériel a minima qui na aucun sens ni impact dans lopinion, dautant que tout est concentré et se décide à lElysée. Mais qui vise à calmer la droite et à en réconcilier les familles politiques. Deux proches de Jacques Chirac et de Dominique Villepin, ainsi quun centriste, entrent donc au gouvernement. Le départ de Martin Hirsch symbolise par ailleurs la fin de cette «ouverture à gauche» qui rendait la droite si amère. Et Nicolas Sarkozy abandonne la taxe carbone que conteste une partie de la droite... A gauche, lheure est à la joie, mais sans débordement. Comment pavoiser avec une telle abstention et un FN en progression ? Surtout que les lendemains sannoncent compliqués: il faudra transformer lessai pour remporter la présidentielle en 2012 il y a pléthore de candidats entre une Martine Aubry qui se «merkélise», un Dominique Strauss-Kahn auréolé de son prestige de grand argentier planétaire, une Ségolène Royale qui ne renoncera pas et dautres Il faudra aussi trouver un accord avec les écologistes, désormais troisième force du pays. Découragement Mais ce raccommodage à droite, les problèmes internes de la gauche et la perspective dun «troisième tour social» rendu possible par lampleur du vote sanction et de la grogne sociale, ne pèsent pas lourd face aux deux faits majeurs du scrutin : la rupture entre les Français et le monde politique, surtout dans les quartiers dits sensibles, et la progression du Front national. Une passionnante enquête publiée par Le Monde montre que labstention a atteint plus de 80% dans les quartiers populaires de banlieue dont les habitants ne voient plus lintérêt daller voter. «Soit par découragement, car ils ne se sentent pas partie prenante de la société, tendance qui accompagne la ghettoïsation( ); soit par rejet, une partie de la population vivant en autarcie( ). On ne peut pas traiter toute lannée les gens comme si ils étaient à part de la société et leur faire croire, uniquement le jour des élections, quils en font à nouveau partie», constatent les chercheurs cités par le quotidien. Cette situation entache la légitimité des élus et explique que «les acteurs importants sont souvent les rappeurs, certains grands frères ou des responsables associatifs voire religieux jugés au moins aussi représentatifs que les élus». Comment redonner le goût de la politique à des gens qui nen attendent plus rien, pour lesquels elle nest porteuse de rien ? Comment mobiliser ceux qui, totalement abandonnés, sont persuadés quon ne fera plus rien pour eux et que cela ne préoccupe personne ? Ce défi là vaut évidemment pour la droite comme pour la gauche. Le Front national se frotte les mains Lautre fait majeur de ce scrutin - la progression du Front national partout où il avait pu se maintenir - nest pas moins inquiétant. Dans ces douze triangulaires, le parti dextrême droite a obtenu 17 % des voix en moyenne et il semble avoir profité plus que les autres listes du faible regain de participation au second tour. Dans le Languedoc-Roussillon, le bond est spectaculaire : de 12,67 % à 19,38 %. Cette remontée, après trois ans de revers, de difficultés financières et de crises internes, balaye le succès dont se targuait Nicolas Sarkozy : avoir mis à terre le parti de Jean Marie et Marine Le Pen. Ironie : alors que le chef de lEtat croyait avoir débarrassé la majorité présidentielle dune concurrence à droite, sa politique a remis en selle un Front national qui se prend à rêver de la future présidentielle. Cest le calamiteux débat sur lidentité nationale, voulu par le ministre de lImmigration Eric Besson et «couvert» par Nicolas Sarkozy, qui a légitimé les thèses du parti dextrême droite et ouvert la boîte de Pandore de la xénophobie et du racisme. On aurait voulu croire que labsence dEric Besson de tous les plateaux TV lors des régionales anticipe un coup darrêt à la démagogie populiste qui a dopé le Front. La volonté de Jean François Coppé, patron du groupe parlementaire UMP et rival de Sarkozy, de relancer le débat sur la burqa comme si cétait un problème fondamental en France, augure mal du climat des prochains mois. Le Front national peut décidemment se frotter les mains.