Lundi, après midi, comme à l'accoutumée, pas de répit pour les commerçants de Garage Allal. L'endroit ne désemplit pas. En week-end ou en jours de semaine, tous les moments sont bons pour se rendre au paradis de la contrefaçon où les habitués sont en constante quête de bonnes affaires. Jouets, vêtements, montres, maquillage, lunettes, denrées alimentaires, chaussures, sacs, articles de sports... Tout y est. Si les mordus de shopping ne trouvent pas satisfaction à Garage Allal, ils n'ont qu'à remonter plus loin pour se rendre à Souk Kruâa. Ici, rien n'est trop cher pour satisfaire sa clientèle. Les grandes marques et les plus prestigieuses signatures cessent d'être inabordables. C'est la grande démocratisation des prix et le consommateur à la bourse limitée n'a rien à envier aux plus nantis. La contrefaçon permet de brader des produits portant les fausses griffes de Louis Vitton, Cartier, Hermès, Dolce&Gabanna... Dans cette braderie à ciel ouvert, une jeune employée peut se procurer le dernier Lancel à 80DH, l'écharpe Burberry à 20DH et les lunettes Chanel à 30 DH. « Je n'ai pas les moyens de m'offrir un sac signé même si j'en ai envie. Je me rabats alors sur les étalages de garage Allal. Je peux même m'offrir deux articles aux différents coloris ! », nous explique Hasna, entre deux essais. Cette cliente est loin d'être un cas isolé. Ils sont nombreux les clients qui se dirigent vers ce souk pour trouver satisfaction. « Le pouvoir d'achat de la plupart des citoyens est trop limité. Qu'importe pour eux si la signature est authentique ou pas, l'essentiel c'est de s'habiller à la mode et d'avoir l'air branché comme ceux qui font leurs emplettes au Morocco mall et à l'étranger », analyse Redouane, commerçant de sacs contrefaits. Pour son voisin, Hassan, opticien improvisé, la contrefaçon « ne sauve pas seulement les poches des clients mais les revendeurs euxmêmes. Ça nous permet de gagner notre vie. Nous sommes des centaines de jeunes chômeurs à vivre de ce commerce », témoigne le jeune homme. Plus zen, Mehdi, nous lance : « Pour moi, c'est l'unique moyen de survie ! ». Après l'obtention de sa licence en droit et au bout de longs mois de chômage, Mehdi, 25 ans, s'est lancé dans la vente de foulards. « Je m'approvisionne chez un grossiste à Garage Allal, au prix de 8 à 20 DH la pièce. Des tarifs qui arrangent mon petit capital et le pouvoir d'achat limité de mes clientes à Kissariate Hay Mohammadi », ajoute-il en faisant sa séléction de foulards sous l'oeil scrutateur de son fournisseur. Ce dernier ne trouve aucun mal à commercialiser de la marchandise contrefaite. Surpris par nos interrogations quant à l'aspect illégal de son commerce, il se contente de nous lancer sur un ton défensif : « Vous préféreriez peut-être que ces jeunes s'adonnent au vol pour survivre. Laissez-les travailler en paix !». Une réaction typique qui en dit long sur la perception de nombreux grossistes et revendeurs de leur commerce, occultant souvent son aspect illicite. Les nombreuses descentes de la police préfectorale et autres saisies ne semblent nullement changer leur attitude ni les perturber. Les étalages sont toujours aussi encombrés de produits contrefaits et attendent tranquillement les centaines de visiteurs de Garage Allal. Rappelons que malgré les nombreuses arrestations et autres enquêtes ouvertes à propos de produits cosmétiques et autres médicaments à l'origine inconnue, les marchands continuent d'étaler avec grande sérénité leur marchandise « douteuse ». Leur argument principal : « Les gens en redemandent. Ils sont satisfaits à tous les niveaux que ça soit côté prix ou qualité », soutient Jawad qui s'est spécialisé dans les produits cosmétiques. Prisés par les clientes aux petites bourses, ces produits proviennent principalement d'Algérie, d'Asie (notamment la Chine), de Turquie et d'Espagne via Sebta et Melilia. Si le prix abordable constitue l'atout premier de ces produits bon marché, la qualité est rarement au rendez-vous. Pire, de nombreux cas d'intoxication et de problèmes dermiques ont été enregistrés après utilisation. Une véritable menace pour la santé des consommateurs. C'est Ilham Hmamchi, dermatologue, qui le confirme : « Au-delà du fait que ces substances sont une imitation souvent mal faite de grandes marques, ces produits sont stockés et transportés dans des conditions inadéquates. Cela peut provoquer des réactions chimiques dangereuses très nuisibles pour la santé de l'utilisateur ». Les conséquences peuvent être graves : boutons, squames, taches, allergies, desséchement et autres brulures de la peau... Chercher les prix les plus bas sur le marché du faux peut donc s'avérer trop coûteux pour certains malchanceux ! Notons que les nombreux cas enregistrés à Casablanca et même ailleurs (Rabat, Marrakech, Agadir...) ont fini par alerter les services de répression des fraudes et les services préfectoraux qui essaient de renforcer les contrôles et de multiplier les descentes et saisies sur le terrain. D'après les chiffres de la douane, les montres, les produits électriques et électroniques représentent, à eux seuls, le tiers des produits saisis. Vient ensuite la contrefaçon des parfums, des pièces détachées automobiles et des lubrifiants. Une étude réalisée par le Comité national pour la propriété industrielle et la contrefaçon indique que près de 1,2 million d'articles contrefaits d'une valeur totale de 33,4 MDH ont été saisis par la douane marocaine en 2012, soit près de 3.300 articles saisis tous les jours. Des chiffres qui révèlent l'ampleur du phénomène. Dévoilée début 2013, cette étude montre que le volume du marché marocain de la contrefaçon oscille entre 6 et 12 MMDH pour les 5 secteurs les plus touchés, à savoir le textile, le cuir, l'électrique, les pièces de rechange automobile et les cosmétiques. L'enjeu est de taille d'autant plus que la contrefaçon coûte une perte fiscale annuelle de près d'1 milliard de DH et détruit plus de 30.000 emplois. Une vraie catastrophe pour l'économie marocaine et pour les industries nationales plombées à fond par cette concurrence déloyale❚