Trois jours d'émeutes réprimées dans plusieurs quartiers d'Istanbul et dans les villes à majorité kurde La dissolution le 11 novembre par la Cour constitutionnelle du DTP (Parti pour une société démocratique), principale formation kurde du pays, risque de provoquer une reprise des violences dans le sud-est à majorité kurde. Elle marque aussi l'échec de la politique d'ouverture envers les kurdes lancée en octobre par le gouvernement islamo-conservateur du premier ministre Recep Tayyip Erdogan. La dissolution du DTP, accusé par la justice d'être lié aux «rebelles» du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), n'est pas une surprise. La situation était très tendue depuis la mort de deux étudiants au cours d'une manifestation contre les conditions de détention du leader kurde Abdullah Ocalan. La «réplique» du PKK qui a tué sept soldats dans une embuscade le 9 décembre n'a rien arrangé. Brader l'unité nationale Cette tension a conforté les nationalistes et la gauche se réclamant de Mustapha Kémal, fondateur de la République de Turquie, dans leur refus de toute ouverture, les aspirations des Kurdes à une plus grande autonomie portant, selon eux, atteinte à l'intégrité de la Turquie. Ils accusent donc le gouvernement dirigé par les islamo-conservateurs de l'AKP, le Parti de la justice et du développement, de brader l'unité nationale en décidant d'octroyer aux Kurdes le droit de défendre leur culture et de parler leur langue, interdite en public jusqu'à 1991 Ces réformes mettant fin à plusieurs décennies de négation sont certes a minima. Mais Erdogan espérait qu'elles mettraient fin à la guérilla du PKK contre les forces armées qui, en vingt-cinq ans, a fait plus de 45.000 morts, essentiellement kurdes. Le gouvernement savait aussi ces réformes indispensables pour renforcer la candidature de la Turquie à l'Union européenne. Torpillage L'opposition et le système judiciaire, gardien de l'héritage d'Atatürk et hostile aux islamo-conservateurs, en ont décidé autrement. Après avoir voulu dissoudre l'AKP en 2008 pour «activités antilaïques», la Cour constitutionnelle a interdit l'ADP. «C'est un coup de force contre «l'ouverture kurde» de Erdogan, un vrai torpillage», considèrent plusieurs universitaires. Le Premier ministre l'a d'ailleurs condamné pour la première fois le 15 décembre. Et pour cause. Son ouverture se retrouve aujourd'hui dans l'impasse. Or l'AKP avait besoin de relancer des réformes à la fois pour satisfaire aux demandes européennes et américaines, et pour mener à bien les ambitions de la Turquie de s'imposer comme une grande puissance régionale. Instaurer une détente avec les Kurdes (15 millions sur 70 millions de turcs) était donc indispensable sur le plan intérieur et pour normaliser les relations avec le voisin irakien accusé de trop fermer les yeux sur les activités du PKK au nord de son territoire. La politique kurde annoncée par Erdogan était donc ambitieuse. «Mais elle a peu dépassé le niveau des mots», note le journaliste Marc Sémo. Auteur de Turquie, révolution du Bosphore, récemment paru aux Editions du Cygne, il estime que «l'AKP et Erdogan ont voulu résoudre le problème kurde sans les Kurdes et se sont lancés dans cette ouverture sans consulter et demander le soutien de l'opposition et de l'opinion publique». Du coup, les mesures annoncées ont été contestées par l'opposition et les nationalistes et jugées insuffisantes par les Kurdes ! Possible radicalisation La stabilité politique dépend désormais du mouvement kurde car le DTP avait prévenu que ses 21 députés se retireraient du parlement en cas de dissolution. S'ils démissionnent, il y aura des élections partielles et l'AKP risque de perdre sa majorité au Parlement. Par ailleurs, 37 membres du DTP, dont Ahmet Turk, son coprésident, ont été interdits d'activités politiques pour cinq ans. Ce qui contribue à couper plus encore les canaux politiques indispensables à la négociation. Or celle-ci risque d'être indispensable. Car l'échec de l'ouverture peut provoquer une radicalisation des Kurdes, surtout chez des jeunes qui pourraient être tentés de rejoindre le PKK. La présidence suédoise de l'UE ne s'y est pas trompée : elle a rappelé que la dissolution de partis politiques est une «mesure exceptionnelle qui doit être utilisée avec la plus grande retenue». Signe inquiétant : deux personnes ont été tuées et plusieurs blessées le 15 décembre dans le sud-est de la Turquie quand un commerçant a ouvert le feu sur des manifestants qui dénonçaient la dissolution du DTP