Bien plus qu'une simple mode, le Skinny tok devient un véritable mode de vie. Derrière les filtres et les musiques entraînantes, c'est une mécanique bien huilée qui encourage la restriction, favorise la peur de grossir et la quête d'un idéal parfois irréaliste. « Un idéal qui, pour certains jeunes, peut coûter bien plus que quelques kilos : leur santé mentale, physique, et parfois leur vie », alerte Nadia Mouâtassim, psychologue clinicienne. Des images et des clichés exposant des silhouettes filiformes, des vidéos virales proposant des recettes choc et des régimes très restrictifs pour avoir des corps idéalisés. C'est l'essentiel du contenu trend qui circule sur Tik Tok sous le hashtag « SkinnyTok », WhatIEatInADay ou encore #Thinspo en séduisant des millions de jeunes à travers le monde. Tendance « toxique » Pourtant, derrière ces images virales, se cache une réalité bien plus inquiétante : La glorification de la maigreur extrême et l'encouragement, parfois indirect, aux troubles du comportement alimentaire (TCA) chez les jeunes, en particulier les adolescentes, comme le déplorent les spécialistes. « Ce qui est inquiétant dans cette nouvelle tendance c'est son aspect « healthy » trompeur. Au delà du simple effet de mode, les adeptes du mouvement le montrent comme un mode de vie sain et équilibré. Or c'est loin d'être vrai », explique à L'Observateur du Maroc et d'Afrique la psychologue. D'après Nadia Mouâtassim, cette tendance est d'autant plus « dangereuse » car s'adressant au jeune public et aux adolescents en particulier et qui constituent une grande majorité des utilisateurs de la plateforme chinoise. Maigrir... et mourir « A cet âge là, la personnalité tout comme le corps et l'esprit sont toujours en « construction ». Bombarder les adolescents avec un tel contenu valorisant les comportements pathologiques tout en déformant leur auto-perception par des comparaisons inadéquates est extrêmement dangereux », met en garde la clinicienne. Cette dernière fait allusion aux contenus flirtant dangereusement avec des troubles alimentaires tels l'anorexie. Repas à moins de 500 calories, suppression totale de certains aliments, « body check » autopalpation devant le miroir pour traquer toute masse graisseuse... une véritable obsession du poids. Trend sexiste Des propos qui trouvent d'ailleurs échos dans les centaines de commentaires des internautes sur les vidéos et les photos Skinny tok. Un mélange d'admiration, d'émerveillement, de sentiment d'infériorité, de remords et d'auto-dégradation... En effet l'image de soi en prend un sacré coup devant les silhouettes trop fines des filles ayant cédé à l'appel des sirènes. « Jusqu'à l'os... », « Trêve de récompense sous forme de nourriture, tu n'es pas un chien ! », « Il n'y a pas plus délicieux que la sensation de minceur »... Autant de propos frôlant avec la dégradation qui en rajoutent au malaise des followers, en particulier parmi la gent féminine. « C'est un trend sexiste. Et ce sont encore les filles et les femmes qui en constituent les principales cibles. Ce genre de vidéos envoie le message qu'être mince à l'extrême est un objectif en soi, une norme féminine à atteindre. Et c'est profondément toxique », note la psychologue. Santé mentale en danger Si la pression est forte pour les filles, les garçons ne sont pas pour autant épargnés. « Les adolescents en général restent assez vulnérables face à une telle pression. Leur identité corporelle est encore en construction et ces contenus peuvent avoir un effet ravageur. Ils alimentent la comparaison sociale, fragilisent l'estime de soi et peuvent déclencher ou aggraver des troubles comme l'anorexie ou la boulimie », insiste la spécialiste. Si toutefois le jeune sujet n'arrive pas à atteindre cet objectif, la frustration et le sentiment d'impuissance peuvent entrainer des épisodes dépressifs menaçant sa bonne santé mentale. Les top models comme Kate Moss, source d'inspiration... Une spirale dans laquelle sont piégés les utilisateurs à cause des algorithmes de TikTok. Une fois qu'un internaute interagit avec ce type de vidéos, il en verra de plus en plus en renforçant l'obsession autour du corps et de la nourriture, met en garde Nadia Mouâtassim. Elle énumère les répercussions d'une telle emprise : jeûnes prolongés, prises de laxatifs, surentraînement sportif, refus de s'alimenter... autant de comportements dangereux qui peuvent nuire à la santé surtout chez les plus jeunes. Réagir Comment donc réagir et se protéger de l'emprise d'une telle influence ? « La prévention doit passer par l'éducation aux médias. Il est crucial d'apprendre aux jeunes à décrypter ce qu'ils voient, à l'analyser avec un œil critique tout en faisant la différence entre santé et obsession », conseille la psychologue. D'après cette dernière si manger sain et équilibré est un impératif santé, il faut toutefois comprendre que la promotion d'un modèle unique prônant la minceur est absurde. « Manger sain ne veut pas dire se priver, s'affamer et culpabiliser au moindre fléchissement. C'est surtout écouter son corps et ses besoins », insiste-t-elle. Face à la viralité de ces contenus, les parents ont un rôle central à jouer. Les spécialistes recommandent un dialogue ouvert avec les adolescents, « sans jugement ni dramatisation. Il s'agit de créer un espace d'écoute, d'encourager une perception saine et positive par rapport à l'image corporelle et, si besoin, de consulter un professionnel dès les premiers signes de trouble alimentaire », conclut la psychologue.