Dr. Farid Tadlaoui, Médecin nutritionniste à Casablanca L'Observateur du Maroc. Comment définir et reconnaître l'anorexie mentale ? Dr. Farid Tadlaoui. L'anorexie mentale est appelée ainsi car on est face à une absence d'affection somatique, autrement dit de maladie organique qui pourrait expliquer l'amaigrissement important du patient. C'est en somme une peur intense et pathologique de devenir obèse, et qui ne disparaît pas avec la perte de poids. L'anorexique a un comportement obsessionnel avec la nourriture, et se retrouve enfermé dans un rituel alimentaire d'exclusion permanent. L'anorexie mentale, qui est considérée comme telle à partir d'une diminution d'au moins 25% du poids initial, s'accompagne d'un trouble de l'image du corps : l'anorexique se perçoit comme gros(se), malgré sa maigreur, et est par ailleurs dans le déni de sa maladie. Ce trouble du comportement alimentaire touche principalement les filles (9 fois sur 10), entre 10 et 20 ans, les femmes ayant généralement un rapport plus émotionnel à la nourriture que les hommes. Qu'en est-il de la prévalence de l'anorexie dans notre pays ? Il n'existe pas de statistiques fiables à ce sujet, mais le Maroc ne fait pas exception à la règle, dans la mesure où on estime de 1 à 2% la proportion d'anorexiques parmi les jeunes filles. Et cette maladie connaît un essor inquiétant dans notre pays, comme partout où se pose le dilemme abondance de nourriture d'un côté, et idéal minceur de l'autre. En tant que médecin nutritionniste, je reçois de plus en plus d'adolescentes dans ce cas, avec parfois, des IMC (poids en kilos divisé par la taille en mètres au carré) dramatiques, inférieurs à 16 (un IMC normal se situe entre 18,5 et 25), et qui répètent avoir été obligées à consulter par leurs parents, en dépit de leur «santé parfaite». Ce sont souvent des filles qui refusent de grandir, ou transfèrent tout leur stress sur la nourriture. Existe-t-il des centres spécialisés en troubles du comportement alimentaire (TCA) au Maroc ? Hélas, non. Que ce soit l'anorexie, la boulimie, ou ces deux extrêmes combinés, les TCA sont considérés comme des pathologies de riches, sachant que nombre de mutuelles ne remboursent même pas les bilans. Or, il faut sensibiliser les autorités sanitaires et le grand public marocain sur la prévalence croissante dans notre pays de ces pathologies très sérieuses, mettant en danger le pronostic vital des patient(e)s. Si le tiers en effet des anorexiques guérit, un autre tiers bascule chroniquement entre rechute et équilibre, tandis que le dernier tiers va jusqu'à l'hospitalisation avec parfois traitement psychiatrique. Dans cette catégorie, 10% des patient(e)s décèdent par anorexie ou par suicide. Et tout l'enjeu du traitement (aide psychothérapique et nutritionnelle) réside dans la prise de conscience de l'anorexique de sa maladie. Les anorexiques comme les obèses morbides sont des cas médicaux difficiles, les plus désarmants pour nous autres médecins, dans le sens où ils nécessitent parfois des années de suivi rigoureux par une équipe pluridisciplinaire pour réapprendre au patient à s'alimenter sainement et à dissocier émotions et nourriture. D'où l'impérieuse nécessité, on ne le répétera jamais assez, de communiquer sur les TCA afin que soient créés des centres publics et privés dédiés aux TCA au Maroc.