C'est sur la terre argileuse et exigeante du Pré-Rif, connue pour la culture du cannabis, que Souhad Azennoud choisit de réhabiliter le petit épeautre. Après treize années passées dans l'industrie agroalimentaire, elle revient dans la ferme familiale avec une conviction simple : renouer avec une agriculture sobre, saine et enracinée. Dès 2013, elle cofonde la coopérative Ariaf Kissane, d'abord centrée sur l'huile d'olive bio. Puis très vite, elle s'intéresse au petit épeautre, céréale millénaire rustique parfaitement adaptée au climat sec et aux sols pauvres du Rif. Sa particularité ? Une grande richesse nutritionnelle, un faible taux de gluten et une capacité à pousser sans engrais ni irrigation. Une bonne opportunité pour des agricultrices en quête d'agriculture alternative, qui peuvent à nouveau semer cette graine oubliée et la transformer localement en farine ou en semoule. Souhad Azennoud à ses débuts dans la production du petit épeautre Souhad Azennoud distribue elle-même les semences aux femmes de la région et les forme aux pratiques agroécologiques. Le petit épeautre devient ainsi un levier d'autonomie, un outil de résilience et un symbole d'un retour aux sources éclairé. Dans les champs de Kissane, cette céréale modeste incarne désormais bien plus qu'un produit agricole : une mémoire ravivée, un territoire réhabilité. Preuve de son succès : toute la moisson de l'été dernier a été vendue à l'enseigne française de boulangerie Paul. « La demande excède largement notre production », affirme-t-elle sur le ton du regret. Son autre regret est l'échec de ses tentatives de voir le petit épeautre gagner du terrain à Meknès et Taza, même si elle avait offert gracieusement des semences bio et donné tous les conseils nécessaires. « Produire cette céréale est difficile. C'est pour cela qu'on le surnomme Ch9a lia (ndlr : "à moi la corvée") », ironise Souhad, qui est, depuis 2013, parmi les « Femmes semencières » reconnues par l'ONU pour leur contribution à la sauvegarde des semences locales. Une sauvegarde ardue, l'enveloppe du petit épeautre étant très dure, rendant son traitement post-récolte coûteux et chronophage. Un écueil que la coopérative Kissane a pu contourner après l'acquisition d'une décortiqueuse mécanique, une première dans la région. Souhad Azennoud invite d'autres coopératives à en faire de même. Elle ne perd pas espoir de voir grandir le petit épeautre un peu partout au Maroc, à commencer par le Gharb, où elle a offert ses semences en prévenant d'avance les bénéficiaires que les rendements pourraient six fois moins importants que pour les semences de blé conventionnel traité (10 quintaux/ha pour l'engrain contre 60 pour le blé). « Mais entre la qualité et la quantité, il faut choisir ! », tranche-t-elle. Retour aux sources Souhad est revenue à la terre de ses ancêtres à Kissane, à un peu plus de 50 km de Taounate, après des études en agroalimentaire et une carrière de treize ans dans une multinationale. Sa vie de fellaha à plein temps a commencé en 2002, quand elle s'était lancée dans l'apiculture au sein de la ferme familiale, avant de cofonder, une année plus tard, la coopérative agricole Ariaf Kissane de production d'huile d'olive biologique. Visionnaire, Souhad s'est lancée aussitôt dans la valorisation de produits locaux oubliés, notamment le petit épeautre, sur lequel elle a fondé ses espoirs – beaucoup plus que sur le seigle du Rif, qu'elle tente aussi de ressusciter. « Le petit épeautre a plus de succès parce que sa farine de couleur blanchâtre passe mieux dans les habitudes de consommation au Maroc que celle, noirâtre, du seigle du Rif », argumente-t-elle. Lauréate en 2016 du Prix Terre de Femmes Maroc, décerné par la Fondation Yves Rocher, Souhad Azennoud passe beaucoup de temps à transmettre son savoir aux femmes de sa région, les encourageant à adopter des pratiques agricoles durables et à travailler collectivement. Son objectif : lier la préservation de l'environnement à des activités génératrices de revenus, freinant ainsi l'exode rural. Ce qu'il faut savoir sur le petit épeautre Céréale millénaire, le petit épeautre se distingue par sa richesse nutritionnelle : il contient quatre fois plus de magnésium que le riz brun et cinq fois plus de phosphore que le soja. Très digeste, il affiche un faible taux de gluten et une forte teneur en protéines. Adapté aux sols pauvres et aux climats secs, il pousse sans engrais ni irrigation. Les rendements, après décorticage, varient entre 10 et 15 quintaux par hectare. Résistant au mildiou, à la rouille brune et à la fusariose, il demande peu de traitements. Autant d'atouts qui en font une alternative durable face aux cultures intensives. Plus discret sur les étals, le petit épeautre commence pourtant à se faire une place dans les circuits de distribution alternatifs. Comptez environ 27 dirhams les 500 g de grains, et autour de 52 dirhams pour la même quantité de farine bio. Des prix encore élevés, dus à la rareté de l'offre et à la complexité de transformation. Lire aussi dans le même dossier : .Le quinoa gagne du terrain à Rehamna . L'Etat subventionne la production du quinoa . Qu'entend-on par agriculture alternative ?