Le rapport de la Cour des comptes est sans appel ! Le système de la santé mentale va mal au Maroc. Une situation qui se répercute gravement sur la prise en charge des patients et sur sa qualité. La mission de contrôle relative au système de santé mentale a révélé des lacunes structurelles entravant la mise en œuvre des stratégies adoptées, déduit la Cour des comptes dans son rapport annuel 2023-2024. Système en crise Des insuffisances à tous les étages : de l'accessibilité de l'offre en soins au manque des infrastructures et des ressources humaines en passant par la couverture territoriale inégalitaire et la prévention défaillante, le tableau est loin d'être reluisant. Pour commencer, le rapport avance un chiffre révélateur : La capacité d'accueil en psychiatrie dans le secteur public est de 2.466 lits, avec une moyenne de 6,86 lits pour 100.000 habitants alors que la moyenne mondiale est de 10,8 lits. Un énorme décalage entre l'offre en établissements et les besoins réels en soins psychiatriques. Ce constat est confirmé par le nombre d'établissements spécialisés en psychiatrie dans le secteur public : 43 unités, comprenant 11 hôpitaux psychiatriques et 32 services de psychiatrie intégrés dans des hôpitaux publics. Le secteur privé, n'est pas mieux loti avec 4 cliniques seulement. Les ressources humaines accusent également une pénurie aggravée par le nombre grandissant des malades. En 2023, le Maroc comptait 407 psychiatres tous secteurs confondus et 32 pédopsychiatres avec une moyenne de 1,13 psychiatre pour 100.000 habitants. « Ce manque en personnel soignant amplifie les disparités territoriales et rend les soins difficiles d'accès pour les populations des zones mal servies », note le rapport. Ce dernier déplore l'inefficacité dans l'utilisation des ressources disponibles et l'organisation déficiente de l'offre de soins. Une pression accentuée par l'absence d'alternatives à l'hospitalisation et de structures intermédiaires susceptibles de « soulager » les hôpitaux psychiatriques. Injustice territoriale Le rapport pointe du doigt la couverture territoriale inégalitaire et marquée par les disparités géographiques. Les auteurs du rapport font valoir le dahir n° 1.58.295 relatif à la prévention et au traitement des maladies mentales. Selon l'article 3 de ce dernier « chaque province doit disposer d'au moins un service hospitalier public affecté au seul traitement des malades mentaux et dirigé par un médecin psychiatre. Toutefois, dans le cas où le nombre de la population d'une province ne justifie pas la création d'un service propre, cette province est rattachée, par décision du ministre de la santé publique, à une province voisine ». Sur le terrain, il n'en est rien ! Plus de la moitié des préfectures et provinces ne sont pas dotées de structures psychiatriques, constate la Cour des comptes. Toujours selon le rapport, près de 48 % des capacités d'accueil restent concentrées dans deux régions : Casablanca-Settat et Marrakech-Safi. Aussi, les hôpitaux psychiatriques s'accaparent 62 % de la capacité totale alors que les services intégrés dans les hôpitaux généraux restent peu servis. Ceci au grand dam des recommandations de l'OMS appelant à l'intégration des soins psychiatriques dans les hôpitaux généraux. Enfants et séniors, les lésés Les lacunes sont plus profondes lorsqu'il s'agit de catégories spécifiques comme les personnes âgées qui représentent près de 11 % de la demande en soins psychiatriques dans le secteur public et 8 % des hospitalisations. Des besoins que seul l'hôpital Ar-Razi à Salé est capable de satisfaire avec une seule unité dédiée d'une capacité de 12 lits seulement pour troubles neurocognitifs. Même constat pour l'offre en soins pédopsychiatriques. Très limitée et quasiment absente dans plusieurs régions, la psychiatrie infantile ne dispose que de 32 unités pour soins ambulatoires, dont 13 cliniques privées. Ces unités sont principalement situées à Casablanca (12) et à Marrakech (1). Dans le secteur public, seulement quatre régions disposent de 1 à 2 psychiatres pour enfants : Casablanca-Settat, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Marrakech-Safi, et Laâyoune-Sakia El Hamra. Quant à l'hospitalisation, une seule unité est disponible au niveau national avec une capacité ne dépassant pas 16 lits. Dysfonctionnements Le rapport dévoile des dysfonctionnements majeurs dans la prise en charge des patients. L'intégration insuffisante aux soins primaires conduit à une orientation excessive vers des structures spécialisées, où le suivi post-hospitalisation fait défaut. Cette absence de prise en charge posthume induit un taux très élevé de rechute et de réadmissions (67 % à 90 %). Par ailleurs, des diagnostics imprécis conduisent souvent à des hospitalisations injustifiées en encombrant davantage un système miné par les défaillances. Le cadre légal inadapté et la gouvernance fragmentée aggrave la situation en limitant la coordination entre les acteurs du système de santé. Résultat ? La qualité des soins en prend un sacré coup. Pour y remédier, la Cour des comptes recommande une clarification des rôles, l'amélioration des infrastructures et une meilleure coordination pour répondre aux besoins des patients et renforcer l'efficacité. Un moyen pour limiter l'impact d'un système de santé mentale mal au point et dont les répercussions sociales et économiques risquent d'être lourdes. « Sans prévention adéquate, les troubles mentaux non traités entraînent des coûts élevés pour le système de santé et freinent la réintégration sociale et professionnelle des patients », met en garde le rapport. Ce dernier fait une mention spéciale du respect des standards internationaux en matière de santé mentale pour « réussir » la réforme globale du système de santé. Pour conclure, la Cour recommande d'élaborer une stratégie multisectorielle axée sur le renforcement de la prévention, l'optimisation de l'offre de soins et l'utilisation efficiente des ressources disponibles, ainsi que la mise en place d'un système d'information harmonisé et efficace pour la surveillance et la veille épidémiologique.