Les youyous prennent fin, les familles se saluent et les lieux de la cérémonie sont désertés. Les tourtereaux qui viennent d'unir leur destinée à tout jamais s'apprêtent à franchir le cap : c'est la nuit de noces. Depuis la nuit des temps, ce passage concret de statut de célibataire à marié, où les deux partenaires se fêtent intimement, reste le tremplin d'une pléiade d'habitudes. La pression est à son comble et l'acte en lui-même semble une première corvée matrimoniale pour certains. «La crainte de cette nuit angoissait les familles et le couple, dès l'acceptation de la demande en mariage», affirme Soumaya Naamane Guessous, professeur universitaire, sociologue et écrivain. «Il s'agit de viols légitimés. Mais la crainte de la douleur n'est rien comparée à celle de ne pas saigner, même quand la mariée se sait intacte». Même si la modernité a touché la nuit de noces, les esprits éternellement «beldi» ont tout fait afin de troquer l'intimité de ce premier moment contre un cauchemar à la Hitchcock. A présent, les couples refusent catégoriquement de rater leurs nuits de noces pour des «futilités de la tradition». Ils exigent le droit de préserver leur propre intimité en célébrant leur première nuit loin des regards indiscrets. Les temps ont changé «Donne-nous notre dû pour que nous partions !» Dans différentes régions du Maroc, les familles accompagnaient le couple marié jusqu'à la «chambre de torture», fermaient la porte et attendaient le verdict : l'homme doit prouver sa virilité dans un temps record et la femme son honneur tant préservé sous les chants de circonstance des proches à l'extérieur afin d'encourager les mariés. S'ils tardent, les proches s'impatientent, les langues se délient et les «C'est bon ? » fusent de partout. «Plusieurs nouveaux mariés sont traumatisés après leur nuit de noces. Les pannes sexuelles se font de plus belle pour les hommes et les vaginismes accablent les filles» explique un gynécologue. Ces «envahisseurs» des temps modernes qui violent explicitement l'intimité de cette première nuit osaient même faire irruption dans la chambre afin de sauver la situation et orienter le couple. «Ma nuit de noces fut ratée. Alors que mon mari et moi avons essayé de discuter avant de passer à l'acte, j'ignorais que ma belle-famille attendait à l'extérieur. Jusqu'à ce que le malheur se produise quand ma belle-mère entra sauvagement à la chambre pour voir si tout allait bien» raconte Nadia, ingénieur qui fut obligée de se plier aux exigences traditionnelles de sa belle-famille. «La nuit de noces n'appartient souvent pas au couple seul. Toute la famille se sent concernée et s'inquiète à ce sujet» souligne Mohamed Amine, psychologue. Il explique que la nuit de noces représente une rude épreuve pour ses membres. «C'est le moment de prouver l'honneur ou la virilité de leur descendance». Les couples dont le mariage a été arrangé sont les plus affectés par ces traditions. Selon le psychologue, la famille marocaine traditionnelle a toujours élevé ses enfants en leur apprenant que le sexe est «hchouma» et que le sujet ne doit jamais être évoqué. Toutefois, elle oublie que le sexe rendu sans conteste tabou au fil du temps les accompagnera tout au long de leur existence. Face à une société qui n'assimile toujours pas le concept de la nuit de noces, les couples se piègent sous l'épée de Damoclès : tirés entre la pression de la famille et la peur de la première nuit, ils transforment ce premier moment de partage en compétition olympique digne des grands rivaux dont la victoire sera célébrée en grande pompe. Le mariage n'est plus qu'une institution à consommer pour que le célèbre Seroual (pantalon), tâché du «sang de l'honneur» soit fêté. La joie de ce bout de tissu blanc moucheté de rouge dépassait souvent celle du mariage. Le Seroual, sang d'honneur ou sang de coq? Alors que Casablanca est la ville des Twins, que Marrakech est devenue un must moderne et que les femmes ont gagné en notoriété en matière de droits et de respect, le Maroc nourrit encore certaines traditions qui s'opposent particulièrement au processus de modernité que le pays a choisi. Malgré une fierté sans pareil pour rattraper le temps perdu, les Marocains ne peuvent se détacher des principes archaïques d'autrefois. Le Seroual de la nuit de noces imbibé de sang fait partie de ces coutumes qui ont marqué les esprits. Dans son livre «Au-delà de toute pudeur», Soumaya Naamane Guessous explique que «quel que soit le lieu où se passe la défloration, la préoccupation principale de toute noce est en tout cas d'exhiber le linge taché de sang. La mariée est par conséquent hantée par l'angoisse de ne pas saigner pour une raison ou pour une autre». Preuve d'honneur, l'exposition du Seroual maculé se passe dans la joie et l'euphorie des deux familles. La fille qui jouissait d'une mauvaise réputation est sauvée et l'homme qui appréhendait le Tkaf, célèbre sorcellerie rendant un homme impuissant, est calmé. «C'est un signe d'innocence avant d'être un signe d'honneur. La famille affichait devant tout le monde l'éducation réussie qu'elle a inculquée depuis la naissance de l'enfant» explique Mohammed Amine. La défloration de l'hymen intact (ou même refait) est célébrée dans la joie et les chants des proches exprimant l'allégresse de ce moment solennel. «Ce que les familles n'arrivent pas à comprendre c'est que le sang sur le Seroual n'est pas forcément celui de la défloration» affirme Btissam, qui raconte avoir perdu sa virginité quelques mois avant son mariage. En compagnie de son mari, la jeune femme a du s'écorcher et tacher le Seroual de son sang lors de sa nuit de noces. «On a sauvé nos deux mères d'une mort certaine» rigole-t-elle.