Les remous, très graves, au sein de la presse écrite posent la question du rôle de celle-ci dans la construction démocratique, au-delà de la possible manipulation étrangère. La nouvelle crise entre la Justice et quelques journaux est probablement la plus grave de l'histoire du Maroc parce qu'elle touche la stabilité du pays et met en lumière le danger de la défiance systématique vis-à-vis de l'Etat et celui de la manipulation étrangère. Tout est parti d'un acte qui aurait dû être salué comme une avancée dans la modernité. Atteint d'une affection bénigne qui l'obligeait au repos, le Roi a publié un communiqué, un bulletin de santé. Le lendemain, cette thèse était présentée comme suspecte et les spéculations ont commencé, la surenchère habituelle a fait le reste. Le Roi serait atteint d'une maladie très grave et la succession serait ouverte, les journalistes se découvrant alors des talents de constitutionnalistes. C'est une atteinte claire à la stabilité du pays qui peut avoir des effets néfastes tant sur le plan économique, en faisant fuir les investisseurs, que sur le plan politique en interne et à l'international. A qui profite le crime ? Il ne faut pas chercher bien loin. La source, unique et identifiée, de nos confrères s'appelle Pedro Canales. C'est un journaliste espagnol «spécialisé» dans le Maroc. Proche des milieux anti-marocains, il s'est illustré en étant derrière toutes les opérations de désinformation en direction du Maroc. Ainsi, dans son palmarès on trouve la fameuse affaire des officiers libres montée de toutes pièces autour d'un sous-officier déserteur, cherchant à immigrer en Espagne. Le même Pedro Canales n'a jamais hésité à colporter toutes les rumeurs qui peuvent nuire au Maroc, à ses institutions et aux membres de la famille royale. Pire qu'un journaliste anti-marocain, Pedro Canales est un professionnel de la désinformation, nostalgique du franquisme, qui n'a aucune éthique. C'est cette raclure qui a écrit, il y a quelques mois, que le Roi était en France, non pas en visite privée, mais pour soigner une maladie très grave. «Le scoop» est tombé à l'eau, parce qu'aucune source, y compris française, ne lui a accordé du crédit. Le bulletin de santé du Roi constituait une occasion trop belle pour relancer cette opération de déstabilisation. Il écrit un papier où il relance sa thèse de la maladie grave et évoque sans vergogne l'ouverture de la succession. Le site du polisario traduit le texte, qui devient pour la presse nationale des «sources fiables»ou «bien informées». La manipulation a fonctionné, Canales, ses maîtres et le polisario boivent du petit lait. Ils ont réussi, sans trop se fatiguer, à embarquer une partie de la presse dans ce complot. A qui sert la défiance ? Si cette manipulation a fonctionné, c'est parce que le corps de la presse est loin d'être immunisé. Le respect des règles de base du métier, c'est-à-dire la confrontation des sources indépendantes aurait constitué une frontière. Mais il faut savoir que la majorité des articles livrés au lecteur sont mono sources. A ce manque de vigilance s'ajoute une posture qui est celle de la défiance systématique vis-à-vis de l'Etat. Cette défiance était la règle chez la presse partisane et elle était normale. Le contexte politique s'y prêtait. Surtout qu'à l'époque, la presse partisane était le porte-parole d'un projet alternatif. Qu'en est-il aujourd'hui ? Nous sommes dans une phase de transition soutenue par toutes les fractions politiques et l'immense majorité des Marocains. La presse dite indépendante ne porte aucun projet, ne représente qu'elle-même et les intérêts sonnants et trébuchants de ses promoteurs. Dans ce contexte, la posture de la défiance systématique vis-à-vis de l'Etat n'est rien d'autre qu'un simple argument de vente, quand ce n'est pas une arme qui renforce l'arsenal du chantage sur la sphère économique. Une telle presse est l'un des handicaps majeurs de la transition marocaine. Elle est au service de tous les conservatismes qu'elle alimente par la suspicion à tout prix, par la banalisation des avancées. C'est le chainon manquant de la transition, parce qu'au lieu de relayer, d'initier les débats publics permettant de faire avancer la transition, dans la contradiction bien sûr, elle les pollue en plaidant le doute, en utilisant l'invective et en prônant la démobilisation. Vivement le code La crise actuelle n'est qu'un avatar supplémentaire d'une dérive qui a commencé avec le nouveau règne. L'extension du champ des libertés a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés des gens qui ne maîtrisent même pas l'abécédaire du journalisme. Ils ont fait du bras de fer avec les institutions et la classe politique leur gagne-pain. Les dérapages multiples les ont finalement renforcés dans leur idée de la pratique journalistique. Les ONGs les défendent au nom d'une liberté de la presse sans limite. A l'international, ils arrivent à obtenir le soutien d'ONGs peu au fait des pratiques de cette presse, toujours au nom de la défense de la liberté, l'Etat finit par céder. La loi n'ayant jamais été appliquée, elle en devient caduque. Le code de la presse qui devait normaliser cette profession est toujours en attente. Les ministres successifs de la Communication traînent dans des négociations avec le syndicat des journalistes et les éditeurs. Négociations qui n'ont aucune chance d'aboutir à un consensus. La profession veut éliminer la coercition, sans même offrir en échange une forme d'autorégulation efficace. Les représentants de la profession cèdent eux-mêmes à une presse qu'en privé ils n'ont de cesse de condamner. Ils n'ont jamais dénoncé un dérapage et soutiennent ceux qui sont condamnés pour diffamation, comme si celle-ci était une fatalité pour le journaliste. L'Etat doit assumer ses responsabilités et déposer son projet de code au parlement. C'est à la représentation nationale d'en décider et pas à des représentants qui n'ont même pas l'appui unanime de ceux qu'ils sont censés représenter. En attendant, il faut appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi. Pour en revenir à la crise actuelle, il ne suffit pas de la regretter, ni même de pointer du doigt les fautifs. Il faut en tirer toutes les leçons, en particulier sur l'impact que peut avoir une attitude désinvolte par rapport à des informations très sensibles. En dehors des règles universelles du journalisme, la profession est désarmée et facile à manipuler. C'est ce constat, et donc le respect strict des règles, qui protège l'indépendance de la presse.