Le retour Les premières travailleuses marocaines sont déjà arrivées en Europe, précisément en Corse. Au nombre de 1090, leurs rangs seront renforcés à partir de décembre avec l'arrivée de 12.000 saisonnières engagées pour travailler dans les plantations de fruits rouges au Sud de l'Espagne, comme l'a déjà précisé Manuela Parralo, la sous-déléguée du gouvernement à Huelva. Le spectre de la pandémie toujours aussi menaçant, les travailleuses marocaines devront observer une période de confinement dans le cadre des mesures de prévention imposées pour certaines catégories de voyageurs. Confinées durant 10 jours, les nouvelles arrivées doivent disposer au préalable d'une autorisation de résidence valable allant de deux mois et demi à six mois, avec un lieu de résidence désigné. Une condition imposée aux fermiers par les autorités, en plus du voyage aller-retour. Toujours selon les déclarations de la sous-déléguée du gouvernement à Europa Press, 12.700 travailleuses saisonnières sont attendues dans la province. Leur mission ? Travailler sur la campagne des fraises et des fruits rouges. Un nombre identique à celui engagé la saison dernière. L'Espagne a d'ailleurs dévoilé son projet pilote avec le Honduras et l'Equateur consistant à ramener de la main d'œuvre locale dans les plantations de Huelva. Le spectre du passé Au cœur d'un scandale il y a deux ans, la région de Huelva a été secouée par une série d'affaires d'exploitation et de harcèlement. Dans une enquête publiée en mai 2018, les journalistes indépendantes Pascale Müller et Stefania Prandi ont dévoilé le calvaire des saisonnières. Ils n'ont pas seulement dénoncé les graves atteintes à leurs droits sur place, mais aussi celles subies dans les exploitations agricoles marocaines. L'éclatement du scandale de Huelva a en effet dévoilé le vécu sordide de ces travailleuses ponctué d'harcèlement moral, sexuel et parfois de viol. Si le barème de rémunération a été révisé à la hausse, cette amélioration matérielle, n'a pas été accompagnée pour autant de meilleures conditions de travail. L'enquête espagnole a révélé au grand jour des agissements longtemps passés sous silence. Un autre visage de la souffrance des travailleuses agricoles dans le Sud de l'Espagne et qui est essentiellement dû aux défaillances de ce programme de migration circulaire. Migration circulaire, le hic Pour rappel, ce programme de gestion migratoire des saisonnières a été lancé en 2007 avec un financement de l'Union Européenne (UE). Objectif ? Mieux gérer les flux migratoires et lutter contre l'immigration clandestine. Une convention entre la mairie de Cartaya (Espagne) et l'ANAPEC, d'un budget de 1,5 million d'euros a été signée pour sceller un accord aux allures salvatrices pour toutes les parties. En principe... car des années plus tard, la situation a dégénérée en un énorme scandale secouant les deux rives. «Il ne faut pas se leurrer. Si ce scandale n'a explosé qu'en avril 2018, la souffrance de ces femmes n'est pas pour autant récente. Elle remonte en effet à 2001, au tout début de cette expérience », nous explique Samira Muheya, Vice Présidente de la Fédération des Ligues des Droits des Femmes (FLDF). « Dans une étude menée en 2010 par la Fédération auprès des travailleuses saisonnières en Espagne, nous avons pu soulever un grand nombre d'atteintes à l'intégrité de ces femmes. Les conditions de travail et de vie, le traitement dans les champs et par les patrons, l'absence de contrats de travail, l'harcèlement et les agressions sexuelles... tout cela ne date pas d'aujourd'hui. Nous avons publié les résultats de cette étude mais ils sont tombés dans l'oreille d'un sourd», s'insurge l'activiste. Droits bafoués Une situation que des observateurs expliquent par l'abandon de ces travailleuses à leur propre sort. Privées d'orientation et de soutien du côté marocain représenté essentiellement par l'ANAPEC et du côté espagnol, qui a vite dissout la «Fundacion para los trabajadores extranjeros en Huelva » (FUTEH), leur unique médiateur, ces recrues devaient affronter seules une situation déplorable. Des faits qui laissent planer un bon nombre de points d'interrogation sur la fiabilité de la politique migratoire circulaire adoptée par le Maroc et sur sa capacité à protéger ses travailleurs à l'étranger. «Ces femmes ont été abandonnées. Livrées à elles-mêmes sans aucun soutien ni orientation. C'est la responsabilité de l'ANAPEC d'accompagner les travailleuses qu'elle envoie en Espagne», fustige Samira Muheya. Cette dernière note également le côté sexiste de ce programme de migration circulaire. «Pourquoi le choix des femmes exactement pour ce travail ? Un homme peut aussi travailler dans les champs, mais les femmes sont choisies pour leur côté «vulnérable». Elles travaillent en silence, ne protestent pas, subissent le pire avec patience par peur de perdre leur gagne pain. On les choisit mariées et ayant des enfants tout en les séparant d'eux pour être sûr qu'elles rentreront au Maroc. Un traitement inhumain basé sur l'exploitation et le sexisme», résume la Vice-Présidente de la FLDT.