Peut-on conclure un accord avec les talibans en échange de la paix et au prix de la démission de l'Etat dans toute une région ? La suspension, le 27 avril, par les miliciens islamistes ultra-orthodoxes de leurs pourparlers de paix avec le gouvernement pakistanais dans la vallée de Swat indique les limites d'un tel compromis. C'est en février dernier que les autorités et le président pakistanais Asif Ali Zardari ont tenté ce pari dangereux : neutraliser les talibans basés dans le nord-ouest du pays par la conciliation, c'est à dire en échange de l'instauration de la charia dans cette vallée située à une centaine de kilomètres d'Islamabad. Si les «étudiants en religion» la contrôlent depuis l'été 2007, cette région avait cessé d'être, après la chute des talibans en Afghanistan en 2001, le lieu de villégiature favori de la bourgeoisie pakistanaise qu'elle fut. Destruction des écoles mixtes Les insurgés y ont instauré le règne des tribunaux islamiques, attaqué les forces de sécurité et les partisans du gouvernement, installé des barrages routiers, multiplié les exécutions sommaires, arrêté la campagne de vaccination contre la poliomyélite considérée comme un «complot occidental pour stériliser les bébés», détruit les écoles mixtes et cloîtré les femmes. Une terreur qui a provoqué la fuite de 200.000 personnes. «Les femmes ne seront pas autorisées à travailler ou à se rendre sur les marchés car nous ne voulons pas qu'elles se donnent en public», résumait Muslim Khan, le porte-parole des talibans de Swat. Pourquoi le président Zardari s'est-il résolu à entériner l'accord négocié par le gouvernement de la province du nord-ouest avec les talibans de Swat, et ce malgré l'échec en 2005 et 2007 d'accords similaires dans les zones tribales voisines ? Ce renoncement est de toute évidence lié à sa volonté de trouver un statu quo avec les insurgés faute d'avoir les moyens politiques de lancer contre eux une offensive d'envergure. Asif Ali Zardari redoutait en effet que celle-ci lui aliène une grande partie de l'opinion publique pakistanaise. Deux autres facteurs ne facilitaient pas une telle opération : l'ambivalence des liens de certains secteurs de l'armée et des services secrets islamisés depuis longtemps avec les miliciens et la réticence d'autres segments des forces de sécurité à s'engager dans ce qu'elles considèrent être déjà une guerre civile. Pressions américaines Toutefois, la progression graduelle des talibans vers la capitale Islamabad et la crainte qu'ils avancent vers la province du Pendjab et Lahore - qui relancent le spectre d'une «talibanisation» du Pakistan à partir de Swat - n'ont finalement laissé d'autre choix que l'option militaire à Islamabad. Les pressions des Américains, inquiets des répercussions en Afghanistan de cette montée en puissance des talibans, ont aussi largement contribué au déclenchement de l'offensive du 27 avril. «Le gouvernement pakistanais est en train d'abdiquer devant les talibans et les extrémismes», s'était ainsi irrité Hillary Clinton, tandis que Washington voyait en ces derniers une «menace existentielle sur le Pakistan». Avec l'opération contre les talibans de Swat, le président Zardari a d'ailleurs sans doute voulu donner des gages de bonne volonté à la veille de ses rencontres avec Barack Obama et son homologue afghan Hamid Karzaï les 6 et 7 mai à Washington. Comment réagiront les miliciens qui ont suspendu unilatéralement les négociations avec Islamabad «jusqu'à l'arrêt de l'opération militaire» et menacé de créer un «nouvel Afghanistan» ? Une chose est sûre au moment où plusieurs éditorialistes de la presse pakistanaise appellent la population à résister aux talibans : l'accord conclu dans la vallée de Swat - qui ne prévoyait même pas que les fondamentalistes déposent leurs armes - n'aura pas suffi à les pacifier. Au contraire : il aura avant tout servi à ces derniers et au réseau Al-Qaïda opérant sur la frontière afghane de se regrouper, de se réorganiser et d'asseoir leur autorité en toute légalité.