FRANCE Face à un Front National « dédiabolisé » par l'habileté de Marine Le Pen et d'une génération de jeunes cadres, droite et gauche rivalisent dans la fermeté sur l'immigration. La campagne de Nicolas Sarkozy pour sa réélection en 2012 avait montré une dangereuse droitisation des esprits – lepénisation convient mieux. On pouvait espérer que cette course à l'électeur du FN, et donc à la reprise des thèmes chers à Marine Le Pen, épargnerait la gauche revenue au pouvoir. L'affligeante affaire Leonarda – du nom de cette collégienne rom extraite d'un car scolaire pour être expulsée avec sa famille vers le Kosovo le 9 octobre – vient de mettre cet espoir à mal. Et c'est au sein même de la gauche que s'affrontent partisans d'un courant libertaire taxé d'«angélisme» et ceux d'une gauche dite « pragmatique », autoritaire et dure qui ne veut rien céder à l'UMP en matière de fermeté et de preuves que «gauche et sécurité ne sont pas incompatibles». De quoi déboussoler un électorat dont une grande partie reste attachée aux principes de tolérance et aux traditions d'accueil d'une Francepatrie- des-droits-de-l'homme. On en est donc là : à cinq mois des élections municipales, l'immigration devient, une fois de plus, le thème majeur du débat politique. Et de toutes les dérives dans une France encline à se replier sur elle même au moindre avis de gros temps et à faire de l'étranger le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas. Avec une différence majeure sur les précédentes scrutins : droite et gauche – en tout cas celle qui, derrière l'ambitieux et populaire ministre de l'intérieur Manuel Valls, veut donner des signes de sa maîtrise des flux migratoires – se retrouvent engagées dans une course à l'électeur FN alors que ces deux familles politiques s'étaient jusqu'ici toujours opposées sur le sujet. La progression du FN panique tous les états-majors La raison en est connue : la perspective d'une victoire, ou d'un très bon score, du parti de Marine Le Pen lors du futur scrutin créee la panique dans les états-majors politiques de droite comme de gauche. Persuadés que dans le contexte d'une crise qui laisse de plus en plus de Français au bord de la route et que face à la montée des populismes en Europe, ils doivent « rassurer » l'opinion sur l'immigration, ils se livrent à une dangereuse surenchère dont la seule gagnante est Marine Le Pen qui répète en boucle que « c'est la légitimation de ce qu'elle a toujours dit ». Côté UMP, c'est son président Jean François Copé qui affirme vouloir « redéfinir » -thème favori de l'extrême droite – le sacro saint « droit du sol » (en vertu duquel tout enfant né en France de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité à sa majorité s'il a vécu en France au moins 5 ans). Une remise en cause dans la droite ligne de la récente « droitisation » de l'ex-premier ministre François Fillon visant à casser son image de « centriste » pour séduire l'électorat conservateur et contrer le retour annoncé de Nicolas Sarkozy. Côté PS, Manuel Valls, qui ne veut pas laisser ce dossier à l'opposition, annonce qu'il présentera mi novembre des propositions pour « réformer en profondeur » le droit d'asile ! Pour être évidente, la surenchère électoraliste n'explique pas tout : Valls incarne aussi une réelle fracture au sein de la gauche, lui qui veut « tout remettre en cause » même le nom de son parti. « Socialiste, c'est daté, cela ne signifie plus rien », écrit-il dans un livre publié en 2008 (Pour en finir avec le socialisme ...et être enfin de gauche) où il se réfère aux « sociaux-démocrates allemands ou au New Labour de Tony Blair ». « Climat délétère où l'on remet en scène le passé » Rien ne hérisse plus Valls que la gauche radicale ou le « gauchisme sociétal » qui, pour reprendre une expression du sociologue Jean-Pierre Le Goff, « s'est approprié le magistère de la morale, accentue la coupure de la gauche avec les couches populaires et mine sa crédibilité ». Et le sociologue de pourfendre cette gauche dans une tribune publiée par Le Monde : « La France vit dans un climat délétère où l'on n'en finit pas de remettre en scène les schémas du passé : « lutter contre le fascisme », « faire payer les riches » en se présentant comme les porte paroles des pauvres, des exclus et des opprimés (...) ». C'est bien le problème d'une France confrontée aujourd'hui à un FN qui a « dédiabolisé » son image grâce à l'habileté médiatique de Marine Le Pen et d'une nouvelle génération de jeunes cadres frontistes, au fait que cette formation n'a encore jamais été confrontée aux réalités du pouvoir, à un nationalisme rétrograde et ...aux ambiguïtés de la classe politique. Soucieuse de ne pas perdre du terrain face au Front National, la droite affaiblie par la division de ses chefs ne voit son salut qu'en pêchant dans les eaux troubles du Front. Hollande empêtré dans une impossible synthèse Quant à la gauche au pouvoir, elle est en panne de projet, de vision. Surfant et tanguant au gré des intérêts contradictoires de sa majorité, elle est plombée par un président empêtré dans son obsession de réaliser d'impossibles synthèses et tétanisé par la popularité insolente de son ministre de l'intérieur : selon le dernier sondage en date, 33% des Français le préfèrent à lui comme candidat socialiste en 2017 ! Du coup, le gouvernement subit les contre-vérités assénées par le FN, et reprises par la droite, sans trouver le courage politique de les contrer de manière offensive et de résister à la dictature des sondages. Or, accueillir des immigrés ou des réfugiés n'est pas seulement affaire de morale ou de droits de l'Homme, mais nécessité économique vitale dans un pays vieillissant. La France est en outre loin d'être le pays qui accueille le plus de migrants – 150 000 contre 497 000 au Royaume-Uni, 430 500 en Espagne, ou 317 000 en Allemagne – ou d'immigrés clandestins (200 000 à 400 000 contre 600 000 à un million en Grande Bretagne), des chiffres qui, à eux seuls, démentent qu'elle soit plus « attractive socialement ». Enfin, si la majorité des Français (54% et 70% selon les sondages) trouvent effectivement qu' «il y a trop d'immigrés en France », cette thématique ne fait pas partie de leurs priorités qui restent les mêmes depuis dix ans : emploi, pouvoir d'achat et santé. La panique est décidemment la pire des conseillères. En politique comme ailleurs.