ALGERIE: A sept mois de la présidentielle, le chef de l'Etat et son clan placent leurs hommes dans les appareils militaro-sécuritaires. Abdelaziz Bouteflika a habitué son monde aux retournements spectaculaires. Rentrant à Alger le 16 juillet en chaise roulante après un accident vasculaire cérébral et près de trois mois d'hospitalisation et de convalescence en France, le chef de l'Etat était donné pour quasi mort – et en tout cas incapable de gouverner. Censée prouver qu'il « allait bien », une vidéo diffusée par la télévision nationale l'avait montré demi-paralysé et à peine audible. Ce président livide semblait décidemment hors jeu et ouvrait la voie aux arrangements de l'ombre pour dénicher un successeur adoubé par tous les clans du régime afin de garantir la pérennité du système lors du scrutin présidentiel d'avril 2014. Or, voilà qu'à sept mois de cette échéance, Bouteflika ressuscite, avec visiblement d'autres ambitions que celle de négocier au mieux sa sortie ou l'impunité judiciaire et l'absence de représailles contre son entourage. Au vu des limogeages et des nominations qui se multiplient depuis une dizaine de jours, il semble plutôt tirer les ficelles de l'organisation du scrutin et de sa propre succession. Plus étonnant: ces chamboulements auraient amputé de prérogatives importantes le tout puissant DRS – les services secrets – qui, bon gré mal gré, lui ont pourtant balisé le terrain depuis qu'en 1999 l'armée l'a sorti de sa retraite pour sauver le système. Mises à la retraite de responsables des « services » Résumons. Le 11 septembre, le chef de l'Etat procède à un méga-remaniement ministériel : dix ministres parmi lesquels ceux de l'intérieur et de la justice – décisifs pour l'organisation du scrutin de 2014 – ; des affaires étrangères – où est nommé Ramtane Lamamra, un spécialiste des conflits africains et du Sahara – sont remerciés et remplacés par des proches du président. Plus significatif encore : conservant son poste de chef d'état-major, le général Gaïd Salah est promu vice-ministre de la Défens, lui qui fut l'un des très rares interlocuteurs de Bouteflika lors de son hospitalisation en France puis à son retour en Algérie. Dix jours plus tard, ce sont trois mises à la retraite au sein de l'armée qui semblent aller dans le sens d'une réduction des prérogatives du DRS dans les domaines de la communication, de la direction de la sécurité de l'armée et de la police judiciaire : celles des générauxmajors « Athmane » Tartag, Rachid Lallali et Ahmed Bousteila, respectivement responsables de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) et commandant de la gendarmerie. Evolution que paraît confirmer le choix du successeur du général Tartag : cet attaché militaire à l'ambassade d'Algérie à Paris est connu pour ses mauvais rapports avec le général Toufik. Ces chamboulements confortent d'autant plus un verrouillage tous azimuts du clan présidentiel qu'ils surviennent peu après l'élection controversée et mouvementée de Amar Saadani, un autre très proche de Bouteflika, à la tête du FLN, l'ancien parti unique. Enterrer les affaires de corruption Tout se passe comme si le chef de l'Etat et son entourage réglaient leurs comptes avec ceux qui lui ont « manqué » pendant son hospitalisation. Ils l'enterrent trop vite depuis et font tout pour écarter son frère Saïd. Ce huis clos présidentiel laisse évidemment le champ libre à toutes les rumeurs : du prolongement de deux ans du mandat de Bouteflika – dont on ignore si l'état de santé lui permet d'assumer autre chose qu'un « service minimum » – à l'introduction dans la Constitution d'un poste de vice-président à laquelle le Président serait désormais favorable. A condition de le désigner lui même, ce qui fait ressurgir l'hypothèse folle de son frère Saïd ! Toute la question réside évidemment dans l'interprétation des changements actuels. S'agit-il de l'ultime épisode d'une guerre ouverte dont le puissant patron du DRS, l'indéboulonnable général Toufik Médiene, serait le perdant après avoir été à l'origine de la publication des scandales de corruption impliquant des proches de Bouteflika dans la passation de grands marchés publics (autoroute Est-Ouest, affaire Sonatrach...)? Si la dissolution de la police judiciaire du DRS peut être présentée comme une volonté de rogner les pouvoirs énormes des services secrets et de rajeunir leurs cadres, elle tombe aussi à point nommé pour enterrer ces scandales où est impliqué le frère et conseiller spécial du chef de l'Etat, Saïd, 55 ans, souvent qualifié de « président par procuration ». Les commandements opérationnels négligés S'agit-il au contraire d'un compromis entre le clan Bouteflika et le général Toufik ? Un arrangement qui s'inscrirait dans une stratégie de ravalement d'un DRS dont la prééminence et la trop grande visibilité finissent par nuire à l'image de « normalité politique » que le régime entend donner. Difficile de trancher avec certitude s'agissant de changements dans les organigrammes militaro-sécuritaires connus pour leur opacité et dans un pays où la rumeur et l'intox sont un mode de gouvernance, où les situations ne se déclinent jamais en blanc ou noir et où les renversements d'alliances sont monnaie courante. Reste que les derniers évènements ressemblent à s'y méprendre à une offensive du clan présidentiel affaiblissant le DRS avec le soutien de l'état-major, c'est à dire du général Gaïd Salah, et des commandements opérationnels de l'armée. C'est en tout cas ce que suggère la réunion tenue par Gaïd Salah, au retour de sa première visite au chef de l'Etat à Paris, avec les commandants des six régions militaires du pays, tous nommés par Bouteflika et qu'on dit souvent irrités par la logique de puissance des services secrets. « Retranché derrière les pouvoirs exorbitants et la prépondérance du DRS, Toufik a peut-être fait une erreur que Bouteflika a su exploiter à son profit, analyse un ancien officier : négliger ces commandants de régions et l'état-major ». Contre feux du DRS Comme dans toute guerre de tranchée, il est cependant trop tôt pour savoir si cet affaiblissement du DRS est réel ou conjoncturel. D'autant que les « contre feux » des sources proches des « services » ne manquent pas. Tout en rejetant catégoriquement la possibilité d'un quatrième mandat, ils nient tout conflit entre le général « Toufik » et Bouteflika, affirment que les récents changements « n'enlèvent rien des pouvoirs décisionnels » du patron du DRS et soutiennent que les deux hommes « ont trouvé des compromis pour que chacun respecte l'autre et se refuse à interférer sur (ses) prérogatives » ! Dans ce contexte, les traditionnelles nominations – et les départs en retraite – au sein de l'armée à l'occasion de l'anniversaire de la révolution le Ier novembre sont à suivre avec attention... En attendant, une chose est sûre. « À force de se demander si Bouteflika va vers son quatrième mandat et si le général Toufik est d'accord ou non, on oublie que le pays reste politiquement verrouillé, que les débats essentiels sur (son) avenir, son économie et ses relations avec le monde sont évacués », résume le journaliste K. Selim dans un article intitulé « Un jeu de cache-cache sans les Algériens »документы на визу Австрия