Vers midi et demi de ce samedi 21 février, une assistance nombreuse et de qualité avait déjà investi le petit espace de la foire réservé par le ministère de la Culture à la présentation du livre de Mohamed Kaouti «No man's land». Tout ce beau monde, brassant au moins deux générations, est certes venu pour la signature mais aussi et surtout par nostalgie de cette période culte du théâtre amateur et de ses principaux acteurs durant les années 70-80. Ce théâtre fut didactique, politique, esthétique, engagé, expérimental, vivant et combien combattu par le pouvoir et rongé par le temps. «No man's land» a été présenté par son auteur comme une pièce jouée en 1984 par la troupe Assalam Al Bernoussi mais dont la publication par le ministère aujourd'hui vient a contrario fixer dans l'écrit toute cette représentation de l'éphémère. Nombreuses sont les autres pièces écrites et jouées mais non publiées comme «Les Karamètes répètent», «La double crucifixion d'Al Allaj», «L'effondrement des idoles», etc. Mais c'est le cas d'un nombre impressionnant de pièces des amateurs de l'époque. De Timoud à Houri, en passant par Meskine, Gouindi et autre Chahramane, Kaouti explique que sa pièce était enveloppée sous ce qu'il a appelé la «Taqiya», une ruse que les amateurs utilisaient pour tromper la censure policière, par trop voyeuriste. Ce qui les acculait à opter pour une écriture de l'ambiguïté. Il s'agissait en fait des aveux lyriques d'un prisonnier d'opinion sous les affres des tortures subies dans un non-lieu. Mais les dialogues et les monologues sont portés par une parole puisée dans la littérature mystique musulmane. «No man's land» est portée aussi par un désir de mort, une mort transfigurée et menaçante. Kaouti se cite : «Retrouve-moi, ô ma mort, retrouve-moi. Je sonde mes douleurs et il n'y a plus en moi un cur qui frémit à la lueur et à l'éclair des sourires». A trop fuir le langage explicite et direct, le dramaturge retrouve en fait une intensité poétique et tragique qui est celle qui pratique la lumière de l'obscurité ou celle de l'art tout simplement.