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Entretien exclusif sur la guerre au Mali – Le général français Vincent Desportes : « Le risque pour le Maroc est que l'adversaire gagne la zone du Sahara »
Le Maghreb a tout intérêt à être attentif à ce qui se passe au Mali. Le général Vincent Desportes est l'un des stratèges militaires français les plus influents. Il est d'autant plus écouté que sa réflexion est indépendante. Ancien patron de l'Ecole de guerre à Paris, il enseigne désormais à Sciences Po. Deux semaines après le début de l'opération Serval, il fait un premier bilan de l'intervention française. Entretien réalisé par Vincent Hervouët L'Observateur du Maroc. Depuis quinze jours, à écouter les responsables français, on a l'impression que la guerre au Mali a sa propre logique qui s'impose aux dirigeants politiques. Les buts de guerre évoluent et l'armée française s'engage de plus en plus. Où en est-on ? Vincent Desportes : En termes opérationnels, on ne peut que se féliciter de l'efficacité de l'opération lancée à la demande du Président par intérim du Mali qui a permis de dissiper la menace qui pesait sur la capitale. En termes politiques, nous en sommes à la moitié du gué. L'opération a été saluée de tous côtés, notamment par les nations qui avaient critiqué la guerre en Libye, que ce soit des pays africains, la Russie, la Chine, etc. Ils soutiennent, mais ils ne sont pas très pressés de mettre des troupes sur le terrain alors que les besoins sont immenses… Il reste donc à faire tout un travail de persuasion, pour démontrer qu'il ne s'agit pas d'une crise malienne ou d'une guerre franco-malienne, mais d'un défi terroriste qui met en péril les intérêts de l'Afrique comme de l'occident. Si la France répugne vraiment à être considérées comme le gendarme de l'Afrique, pourquoi s'être portée volontaire ? Elle était le pompier disponible. Elle pouvait faire ce travail. Elle aurait eu tort d'abandonner Bamako à son sort. D'autant plus que l'Union européenne avait déjà décidé d'aider à la mise en place d'un contingent africain pour soutenir l'armée malienne et pour l'aider à reprendre le contrôle du nord du pays. Sur le plan militaire, à quoi ressemble le défi ? La première phase a permis de stopper les colonnes de djihadistes et de rétablir une ligne de défense. La deuxième consiste à reprendre les villes de Kona, Diabali, Douentza pour sécuriser cette ligne et empêcher les infiltrations. A l'abri, on peut alors préparer les moyens militaires qui seront nécessaires à reconquérir le nord Mali. C'est la troisième phase. Elle exige une montée en puissance du dispositif africain. Il faudra bâtir un outil opérationnel cohérent, apte à mener une manœuvre offensive avec des contingents disparates, mal entrainés, mal équipés. Cela signifie les équiper, les entrainer à utiliser l'appui « feu » et « renseignement » que leur proposent les Français, et surtout leur donner un esprit offensif. Les armées des pays du golfe de Guinée ont parfois l'expérience de missions opérationnelles, notamment de missions d'interposition. La différence radicale au Mali, c'est qu'il va falloir faire preuve d'esprit offensif, de beaucoup d'initiatives et de courage pour monter à l'assaut. Ce que l'on observe sur le terrain pour le moment, c'est surtout le déploiement français... La montée en puissance de la force française se déroule selon des schémas classiques. Pour l'heure, il s'agit de troupes disponibles, prélevées dans les points d'appui français en Afrique et en métropole. Pour forger un outil cohérent, il faudra du temps. Aucune troupe ne partait en Afghanistan sans avoir été entrainée pendant six mois... En plus, il va falloir faire oublier aux militaires les réflexes acquis en Afghanistan. Et leur apprendre la guerre du désert qu'aucun d'entre eux n'a fait, sauf les plus âgés qui ont connu la guerre pour la libération du Koweït. Quelle est l'urgence ? Fermer les frontières : Algérie, Niger, Mauritanie. Pour prendre l'ennemi dans la nasse. Et mener à terme une manœuvre de renseignement qui consiste à trouver les petits dépôts de pièces de rechange, de ravitaillement, d'eau et de carburant qu'ont constituées les djihadistes ces derniers mois, en espérant avec cela tenir des mois et mener une guerre de razzias. C'est tout un travail d'usure que Maliens, Africains et Français doivent mener dans la durée. Il faut diminuer les capacités de l'ennemi et l'empêcher de se déplacer. Mais cela va prendre des mois ! On se retrouvera dans le calendrier initial qui prévoyait l'offensive en septembre. La quatrième phase, la reconquête du nord. Qui peut croire que l'armée malienne pourra mener ce combat ? C'est vrai que cette armée est en déshérence totale. Elle a été vaincue. Ce n'est pas simple de s'en remettre. Les meilleurs éléments Touaregs avaient été formés par les Américains et ils ont rejoint le MNLA. Les autres n'étaient pas habitués à la guerre de rezzous, ils ne connaissaient pas le terrain, ils n'étaient pas bien équipés et ils n'étaient pas prêts… On connait bien depuis l'antiquité, le mécanisme psychologique de la défaite, cette sorte d'effondrement moral d'une armée. Ils se sont débandés. Le coup d'Etat a fini de déstructurer l'armée, avec l'inversion de la hiérarchie et des sous-officiers donnant des ordres à des colonels... Comment imaginer que cette armée humiliée restaure l'unité de la nation ? Il faut souhaiter que cela fonctionne. Que le travail préparatoire ait brisé les djihadistes. Il faut faire confiance aux forces africaines. Ce n'est pas aux Européens de mener la bataille au nord. Est-ce que vous craignez les règlements de comptes interethniques? Il faut être vigilant. Le seul but de la bataille est de rétablir le dialogue entre le nord et le sud. Il faudra donc de la sagesse aux politiques et aux militaires pour que les règlements de comptes ne viennent pas empêcher le rétablissement du dialogue. La guerre, n'est qu'une parenthèse, juste la poursuite de la politique par d'autres moyens... Ce n'est pas elle qui peut régler le problème de l'irrédentisme touareg. Il relève du temps long. C'est un problème humanitaire, agraire, de droits, d'égalité. La presse parle de Sahelistan. Sur le plan militaire, est ce que la référence à l'Afghanistan est pertinente ? L'espace est plus ouvert. Ce qui donne un avantage comparatif à la haute technologie ! Nos moyens de renseignement et de frappe étaient inefficaces dans les montagnes d'Afghanistan. Au nord Mali, ils seront mis en valeur... La configuration du terrain aussi est un atout. En Afghanistan, les moudjahidines descendaient rapidement de leurs campements dans les hauteurs pour mener des raids et ils retournaient aussitôt dans leurs refuges. Au Mali, il n'y a qu'un massif montagneux à l'est et les refuges sont loin. Si les djihadistes quittent leurs cachettes, ils seront repérés. Un convoi de 4X4 se voit davantage qu'une kalachnikov dissimulée sous une burqa. Est-ce que la guerre sera électronique ? Pas vraiment. Imaginer que les drones vont faire le travail à la place des fantassins est une erreur. En termes de renseignement, la zone est immense. Songez que le pinceau de renseignement d'un satellite fait 40 kilomètres de large et qu'il ne passe qu'une fois par jour... Avec quelques drones et deux avions de reconnaissance, les zones couvertes seront négligeables. On n'aura jamais une vision claire, sauf apport de moyens de renseignements considérables. Ce qui veut dire qu'il faut agir sur les points qui ont déjà été repérés et sur les frontières. Ensuite, on se retrouvera d'égal à égal, pour mener des combats entre petits groupes. Traquer les terroristes au nord Mali ne risque-t-il pas de les inciter à se répandre dans les pays de la région ? C'est pourquoi l'un des points essentiels de toute l'opération est le contrôle des frontières... face à l'ennemi, il n'y a que trois solutions. Soit le repousser. C'est ce qui a été fait en Libye et les Touaregs utilisés comme mercenaires par Kadhafi ont reflué vers le Mali. Soit l'attirer. C'est-à-dire le convaincre d'adopter votre point de vue, ce qui parait irréaliste avec les djihadistes. Soit le détruire. C'est la seule solution. François Hollande a eu raison : il n'y a pas de compromis. Quelles conséquences pour le Maroc ? Le risque pour le Maroc est que l'adversaire ne pouvant plus rester dans le Sahel remonte et gagne la zone du Sahara occidental. L'intérêt du Maroc est bien que cet adversaire soit détruit. De même pour l'Algérie qui est obligé de tenir compte des réalités, après avoir cherché tous les compromis possibles. La sécurité du pays et sans doute la stabilité du pouvoir algérien interdisent de fermer les yeux plus longtemps. Pourquoi dites-vous que la guerre au Mali est la deuxième campagne de Libye ? Parce que les deux sont intimement liées et chacun le voit bien. C'est aussi pour cela que la France prend ses responsabilités. En Libye, nous avons mené une guerre de choix. Au Mali, c'est une guerre d'obligation. Un Etat à le droit de faire la guerre mais il doit aller jusqu'au bout. Il aurait fallu contrôler les quelques milliers de Touaregs qui ont reflué vers le Mali, les millions d'armes soudain à l'abandon, etc. La guerre ne se terminait pas avec la mort de Kadhafi mais par l'établissement d'un état de droit en Libye. La guerre sert à construire, pas seulement à détruire. Le vrai bût de la guerre est toujours de fonder un état de paix qui soit meilleur que le précédent.