Par : Hayat Kamal Idrissi 1994, au bidonville de Sidi Moumen à Casablanca, un match de foot entre adolescents tourne vite à la rixe. Nabil, Fouad et Tarek n'ont aucune chance devant leurs adversaires, mais l'arrivée de Hamid, sbire en herbe, changera vite la donne. Protecteur, il couve son petit frère Tarik et ses copains de fortune par la même occasion. La vie est dure dans ce quartier rongé par la pauvreté, la violence et la délinquance. Chaque jour est un nouveau combat auquel seuls les plus forts survivent. Chacun à sa manière, ces jeunes en mal d'espérance, s'accrochent à la vie... jusqu'à nouvel ordre. C'est l'univers impitoyable où évoluent les héros (ou plutôt les anti-héros) du nouveau long-métrage de Nabil Ayouch. Adapté du roman de Mahi Bine bine « Les étoiles de Sidi Moumen», « Les Chevaux de Dieu » revient sur un épisode douloureux de l'histoire récente de notre pays. Un poignant flash-back sur les attentats du 16 mai qui retrace particulièrement l'évolution infernale de quatre kamikazes vers leur malheureuse destinée. Le spectateur est invité à suivre de près leur triste cheminement. Depuis leur enfance affectée par le besoin et la violence jusqu'à leur jeunesse frustrée à coup de déceptions répétées en passant par leur embrigadement par un groupuscule islamiste. Sans ménagement, Nabil Ayouch, nous guide à travers les ruelles de ce bidonville meurtri, mais nous plonge surtout dans l'esprit de ses héros. En suivant le film, on fait vite d'oublier les préjugés, la condamnation sans appel de ces « terroristes ». Là, point de vérité absolue ! Si les événements du 16 mai restent une plaie ouverte dans la mémoire des Marocains, leurs auteurs en deviennent toutefois moins diaboliques sur grand écran. On comprend mieux. On découvre l'autre côté du miroir. On se surprend même à compatir car enfin de compte Hamid, Tarek, Nabil, Fouad et les autres ne sont que des victimes... de la société, des conditions difficiles, de la marginalisation, de leur bourreaux et d'eux-mêmes. « J'ai voulu dire cette autre vérité », nous confie Nabil Ayouch. Un pari réussi, mais c'était là une tâche pas si simple pour ce féru de cinéma réaliste. Après l'inoubliable « Ali Zaoua », le réalisateur récidive et pousse le réalisme jusqu'au bout en recrutant les acteurs de son film parmi la population même de Sidi Moumen. Abdelhakim Rachid (Tarek) et Abdelilah Rachid (Hamid), qui sont frères dans la vie comme dans le film, sont originaires du quartier stigmatisé à jamais. Un choix judicieux vu que ces acteurs surprennent par la justesse de leur jeu. De véritables révélations, spécialement Abdelilah qui a endossé majestueusement le costume de Hamid. Un rôle composé et complexe qui a montré toute l'ampleur psychologique du personnage, mais surtout tout le talent du jeune acteur. « Ce rôle m'a demandé un an et demi de préparation pour donner aux deux Hamid (le délinquant et le kamikaze) la consistance nécessaire. Je me suis inspiré des personnages réels, j'ai fréquenté et observé des «Hamid» dans la ville pour m'en imprégner. Après la fin du tournage, il m'a fallu trois mois pour sortir du personnage tellement il m'habitait », commente-t-il avec un sourire timide. Une profondeur psychologique que Ayouch a su révéler grâce au scénario ficelé de Jamal Belmahi, mais également à travers une direction des acteurs de qualité. La technicité de pointe du réalisateur et de son directeur d'image est venue exhausser le rendu final. Les plans d'ensemble, les vues générales, les travellings, les fly cams... tout est bon pour plonger à corps perdu dans cet univers maussade. Les gros plans viennent personnaliser cette rencontre improbable tout en créant une sorte d'intimité « dangereuse » avec les personnages. Impossible alors d'échapper, vers la fin du film, à l'atrocité de l'ultime rencontre avec l'abominable même si elle est prévisible. Mais la magie du cinéma n'est-elle pas de voir la réalité avec un autre regard ? Chevaux de Dieu, à voir absolument. Sortie dans les salles le 5 février 2013