Les associations de défense des droits des femmes reviennent à la charge en appelant à l'amendement de l'article 49 du code de la famille. Objectif ? La protection des droits financiers et économiques des épouses et le partage équitable des acquis des époux en cas de divorce. Par Hayat Kamal Idrissi
Souad. M vient de divorcer il y a trois mois, après dix ans de mariage. Toujours sous le choc, elle n'en revient pas encore de voir toute une vie partir en fumée. « Nous nous sommes mariés par amour. Nous étions tous les deux fonctionnaires et collègues dans la même administration. Nous avons commencé à zéro : Notre maison à Casablanca, notre voiture, notre appartement à Martil... nous avons tout fait à deux », nous raconte, abattue cette quadragénaire qui croyait filer de beaux jours avec son mari. « Sauf qu'il me reprochait ma stérilité et au bout de dix ans de mariage, il est venu demander le divorce. Mais pire que le choc émotionnel à cause de cet abandon, c'est que malgré toutes mes contributions dans l'élaboration de notre petite fortune, je n'ai rien eu en fin de compte ! », raconte en pleurant Souad. Ayant complètement confiance dans son mari, cette dernière n'était pas trop regardante sur les procédures et les droits de propriété. « Au contraire, je ne voulais rien savoir la dessus et lui donnais carte blanche », regrette-t-elle, en s'estimant chanceuse d'avoir conservé son emploi. « Sinon je serais dans la rue aujourd'hui », commente-t-elle, la mort dans l'âme. Changez la loi
Comme Souad, beaucoup d'autres femmes se retrouvent dans cette situation délicate après leur divorce et parfois après le décès du conjoint, comme l'affirme Oufaa Ben Abdelkader, présidente de l'association Al Karama pour le développement des femmes. En contact direct avec ces femmes en désarroi, cette dernière décrit la grande injustice dont elles sont victimes. « Elles participent activement à la constitution du patrimoine du couple, elles font des sacrifices pour se retrouver sans un sous si leur mariage tombe à l'eau ou si le conjoint décède. C'est une véritable aberration », fustige l'actrice associative. A l'instar de nombreuses associations de défense des droits des femmes, Al Karama en appelle à la réforme du code de la famille en relevant les défaillances et en adaptant ses dispositions aux évolutions sociales, juridiques, politiques et économiques que connait notre pays.
« Nous appelons spécialement à l'amendement de l'article 49 du code de la famille. La loi doit prendre en considération la contribution de la femme à la constitution du patrimoine du couple et ceci qu'elle soit travailleuse ou femme au foyer », insiste maitre Hicham Baba, du barreau de Rabat, lors d'une conférence annonçant le lancement d'une pétition pour la modification de l'article 49. Ce dernier stipule que chacun des deux époux dispose d'un patrimoine distinct du patrimoine de l'autre. Toutefois, ils peuvent dans le cadre de la gestion des biens à acquérir pendant la relation conjugale, se mettre d'accord sur mode de leur fructification et répartition. Mentalité et ignorance
« Cet article garantit tout d'abord l'indépendance financière de chacun des conjoints. Le législateur donne la possibilité au couple de parvenir à un accord pour la gestion et la répartition de ce patrimoine », nous explique Ahmed Bennour, juriste. D'après ce dernier, cet accord est soumis au principe selon lequel le contrat est la loi des partis. « Les conjoints peuvent donc se mettre d'accord sur la manière de partager cet argent à la fin de la relation conjugale », ajoute-t-il. « Sauf que la plupart des femmes ayant convolé en justes noces après 2004, affirment n'avoir aucune idée sur les dispositions de l'article 49 et encore moins sur ce type d'accord », soutient Aziza Bakkali, présidente du Forum Azzahraa de la femme marocaine qui mène une campagne pour l'amendement de l'article 49.
Selon une étude menée par ce collectif, les obstacles liés à la mentalité jouent un rôle primordial dans la négligence de l'élaboration de ce type d'accord au moment de contracter le mariage chez les adouls. « Ces derniers trouvent beaucoup de mal à évoquer ce sujet avec les jeunes candidats au mariage car ces derniers trouvent que c'est mal vu et inadéquat de parler de telles choses à ce moment spécial », nous explique Abdelhak Ouardani, adoul à Casablanca. Une sorte de « hchouma » et de gêne à évoquer les finances et les questions matérielles au tout début de la relation conjugale dont résultent de graves conséquences lorsque le mariage arrive à bout. D'après les statistiques du ministère de la justice datant de 2015, seulement 0,5 % des nouveaux mariés ont pensé à élaborer un accord spécifiant la manière de gérer les acquis en cas de divorce.
Violence économique
« Ce très faible pourcentage démontre le grand retard que les couples marocains et les femmes en particulier accusent dans la protection de leurs droits. D'où la nécessité de l'amendement de l'article 49 », revient à la charge Maître Baba. Un amendement qui, selon la présidente de Mountada Azzahraa rendra justice aux femmes en prenant en considération leurs considérables contributions morales et matérielles dans la constitution du patrimoine conjugal. « Mais surtout les protège contre la violence économique qui fait chaque jour de nouvelles victimes », dénonce de son côté Dr Samira Rami, présidente du Collectif citoyen pour la protection des droits constitutionnel de la femme et de la famille.
Un argumentaire solide et un plaidoyer bien élaboré que porte à cœur la société civile mais qui ne semble pas faire l'unanimité. Sur les réseaux sociaux, les réactions à cette nouvelle pétition restent assez contrastées. « Lisez bien ceci avant de vous jeter dans la gueule du loup et de vous marier : Les associations des femmes veulent un partage à 50% des biens après le divorce même si la femme ne travaille pas ! Alors réfléchissez-bien avant de vous laissez tenter ! », s'alarme un administrateur d'une page populaire sur facebook. Une alerte qui a suscité d'ailleurs l'indignation des uns et l'enthousiasme des autres. « Il est temps de protéger ces femmes qui se plient en quatre pour le bien être de leurs familles, celles qui s'activent en dehors et à l'intérieur du foyer, qui font preuve d'abnégation et de sacrifice et se retrouvent dans la rue sans ressources si le mari décide un jour de divorcer », répond Nadia Mâarouf au post controversé de l'administrateur. Un grand débat qui n'est pas prêt de s'apaiser et qui ne fait que commencer. A suivre !