En première ligne depuis un an dans la lutte contre la pandémie, les infirmiers, particulièrement ceux mobilisés dans la campagne nationale de vaccination anti-Covid-19, sont en colère. Ils déplorent les mauvaises conditions de travail, l'ingratitude de la tutelle et l'usure des forces des équipes. Par Hayat Kamal Idrissi
La tension monte encore entre les infirmiers et leur tutelle. A peine remis de leur déception après les primes Covid-19 jugées dérisoires, les revoilà confrontés à une autre crise. « Après une année de forte mobilisation et d'engagement sans faille, nous revoilà victimes d'un traitement inhumain qui ne prend pas en considération la particularité et délicatesse de la mission des équipes impliquées dans la campagne nationale de vaccination », s'insurge d'emblée Fatim Zahra Belline, secrétaire générale du bureau provincial de Rabat de l'Organisation démocratique du Travail (ODT). Action/ réaction « Depuis le lancement de la campagne, les échos négatifs ne cessent de remonter depuis le terrain. Les infirmiers mobilisés déplorent les mauvaises conditions de travail qui ne servent nullement le bon déroulement de cette importante campagne », rajoute pour sa part Hamza Ibrahimi, membre du conseil national du Syndicat national de la santé relevant de la Fédération démocratique du travail, en nous rapprochant des causes de cette nouvelle grogne des blouses blanches. D'ailleurs, leurs représentants syndicaux sont déjà passés à la vitesse supérieure pour dénoncer l'attitude du Ministère de la santé et réclamer le redressement de la situation. Vendredi dernier, le bureau national du Syndicat national de la santé relevant de la confédération démocratique du travail et la fédération nationale de la santé de l'Union marocaine du travail, ont adressé deux courriers au ministre de la santé Khalid Ait Taleb. Objet ? « L'expression du grand mécontentement des troupes mobilisées et l'urgence de l'amélioration des conditions de travail à plusieurs niveaux », nous explique Fatim Zahra Belline. D'après la syndicaliste, l'usure des forces et de l'énergie des équipes est arrivée à son summum. « Déjà éprouvés par les grands efforts déployés tout au long de cette année face à la pandémie, les infirmiers sont arrivés aujourd'hui à bout », décrit Belline. « Au lieu de gérer intelligemment les ressources humaines avec un déploiement adapté et un système de roulement respectant leurs capacités et leur humanité, le ministère continue l'usure en obligeant les infirmiers à travailler plus de 10 heures par jour », déplore-t-elle.
Surmenage et burn out Même reproche de la part de Hamza Ibrahimi. « Notre système de santé souffre déjà de la grande pénurie de ressources humaines. La crise sanitaire a aggravé davantage la situation et a montré le grand écart entre les besoins et ce qui est disponible », analyse-t-il. « Avec la campagne de vaccination, les choses ne s'améliorent guère. Avec leur nombre restreint, les infirmiers se retrouvent surexploités avec des heures de travail impossibles dépassant de loin l'horaire légal », explique Ibrahimi. Surmenés et travaillant sous pression, beaucoup d'infirmiers sont au bord de l'effondrement comme l'affirme leurs représentants. « Pire, il y en a qui tombent sur le terrain. Dernièrement un collègue à l'hôpital Razi à Rabat a fait un AVC en pleine mission », regrette Belline. Le représentant de la FDT, nous affirme de son côté que de nombreux infirmiers et techniciens sont victimes de burn out. « Surmener les infirmiers et tout professionnel de santé est une grave erreur car sa mission engage des vies. Il a besoin d'être en bonne forme et d'avoir toute sa tête pour l'accomplir dans les meilleures conditions et en toute sécurité », argumente Ibrahimi. « L'absence de motivation doublée du mauvais traitement ont fini par terrasser les équipes. Prenons l'exemple des repas offerts aux équipes de la campagne, qui sont, notons-le, obligées de rester fidèles au poste pendant dix heures et plus. D'une qualité médiocre, avec des quantités insuffisantes, ces repas sont une véritable aberration », fustigent les syndicalistes. Objet de dérision et de grogne sur les groupes de professionnels de santé sur les réseaux sociaux, les photos et les descriptions des repas en question laissent perplexe. Avec un budget de 50 dhs par jour par personne, ces repas sont censés « alimenter » les troupes mobilisées et leur procurer l'énergie nécessaire pour accomplir leur mission sur le terrain. « Or il n'en est rien ! La valeur de ces repas ne dépasse pas pour la plupart les 10 dhs !!! », riposte Belline.
Exemple de repas offert dans les stations de vaccination
Etat d'urgence, c'est bientôt fini ? « C'est une question qui va au-delà de la qualité de l'alimentation. Aujourd'hui, en 2021, nous avons l'impression d'être téléportés aux années 60. On s'est retrouvé à re-réclamer de travailler 8 heures par jour, d'avoir droit aux deux jours de repos hebdomadaire, au payement des heures supplémentaires. C'est une véritable régression des droits des travailleurs en général et de ceux de la santé en particulier », s'insurge la coordinatrice de la cellule communication et presse du Mouvement des infirmiers et des techniciens du Maroc (MITM). D'après la syndicaliste l'Etat d'urgence n'a que trop duré. « On se demande si l'Etat d'urgence devrait être toujours de vigueur. Est-ce que l'état actuel de propagation de la pandémie nécessite le maintien de ces mesures avec les mêmes termes ? », s'interroge Belline. Reconnaissant la particularité de la situation, pour les syndicats ce n'est pas pour autant une raison pour tolérer la désorganisation et le manque de communication à cause de la multiplicité des intervenants dans cette campagne de vaccination. « Certes les interventions des services du ministère de l'Intérieur dans la campagne de vaccination et même avant sont louables et d'une grande utilité, mais les infirmiers relèvent toujours du ministère de la santé. Celui là devrait être leur seul interlocuteur », note Belline. D'après cette dernière, le chevauchement des tâches et des spécialités sur le terrain créee beaucoup d'ambigüité et déstabilise les ressources humaines. « Un autre point crucial qui plombent le moral des infirmiers et que nous avons pris le soin de noter dans notre courrier adressé à la tutelle », spécifie Ibrahimi. La réponse du ministère Réagissant aux réclamations des syndicats, le ministère de la santé n'a pas tardé à répondre en programmant une réunion, dimanche 14 février, entre le directeur des ressources humaines et les directeurs régionaux de la santé. Son objet : Les conditions de travail dans le cadre de la campagne de vaccination anti Covid 19. A l'ordre du jour de cette réunion d'urgence, la motivation du personnel, l'alimentation, les horaires de travail et le renforcement des effectifs.
Dans le PV de cette réunion, le ministère s'engage à renforcer les mesures d'accompagnement et de communication des délégués avec le personnel, le retour à l'horaire administratif dès ce lundi 15 février 2021 et la mise en place d'un roulement pour garantir le fonctionnement des stations le samedi. Le ministère promet également l'accélération de la prise en charge de l'alimentation pour les stations qui n'en bénéficient pas sans oublier l'étude des modalités de motivation pour le travail du samedi. Des mesures qui tentent d'apaiser les esprits et remotiver les troupes. « Pourvu que ces promesses soient tenues. Ce sont souvent des paroles en l'air. Au bout d'une année depuis le déclenchement de la pandémie, le ministère échoue encore à trouver la bonne formule pour préserver ses ressources humaines, les motiver tout en gagnant sa bataille contre Covid-19 », commente, sceptique, la représentante de l'ODT. La tutelle saura la surprendre en tenant sa parole cette fois-ci ? A suivre !