Installé à New York depuis une quinzaine d'années, David Serero est le premier chanteur d'opéra franco-marocain à avoir été triplement récompensé par les prestigieux New York BroadwayWorld Awards 2020 : Meilleur Interprète, Meilleur Producteur d'une comédie musicale et d'une pièce de théâtre de la décennie à New York. Fier de sa double culture juive et marocaine, ce baryton aux multiples talents partage avec nous sa joie suite au dernier rapprochement Maroc-Israël, et nous explique comment ses origines marocaines ont pu inspirer sa carrière artistique. Entretien réalisé par Kawtar Firdaous
Artiste passionné jusqu'au bout des ongles, David Sorero, âgé de 40 ans, n'a jamais manqué une occasion pour évoquer ses origines marocaines. D'ailleurs, il est un des rares chanteurs, metteurs en scène et producteurs d'opéra à avoir réussi avec brio à introduire des sons marocains dans le théâtre classique et notamment Shakespeare. Connu pour ses rôles Shylock, Cyrano, Othello, Barabas, Roi Lear, Don Giovanni, Figaro, Romeo, Nabucco, Napoleon, il a joué plus de 2500 représentations dans plus de 45 pays, dirigé et produit près de 100 productions théâtrales, joué dans plus de 100 films et séries télévisées, enregistré et produit plus de 100 albums et joué plus de 50 rôles principaux et titres (en plusieurs langues) du répertoire d'opéra, de théâtre et de Broadway. Ses réalisations exceptionnelles dans le monde du divertissement et ses différentes contributions artistiques lui ont permis d'entrer dans le prestigieux Who's Who America. En 2019, ce boulimique du travail a reçu le Albert Nelson Marquis Lifetime Achievement Award, le Morocco Day Distinguished Achievement Award, le Trophée de la culture marocaine, et fut nommé parmi les quinze Marocains les plus influents au monde par la compagnie aérienne marocaine Royal Air Maroc. Membre de la Recording and Television Academy et membre votant des Grammys et des Emmys, David Serero a reçu en 2020 le Prix UNESCO de la diversité à Paris et est devenu membre honoraire des Nations Unies pour les Arts et la Science.
Vous venez de remporter un triple prix à Broadway. Quel est votre sentiment ? Je suis tellement ému de remporter ces prix, d'autant que j'ai dû travailler 10 fois plus qu'un autre car c'est déjà un exploit que de jouer ces classiques dans sa propre langue et son propre pays. C'en est une autre que de les jouer en anglais, à New York, là où le niveau est le plus élevé au monde.
En tant qu'artiste juif d'origine marocaine, que pensez-vous du rapprochement Maroc-Israël ? Je trouve que c'est une excellente chose. Depuis des années, des centaines de milliers d'Israéliens venaient déjà au Maroc en vacances et en pèlerinage. Le Maroc a une place importante et éternelle dans le cœur de tous les Juifs du monde entier. Cela montre aussi la grandeur et la générosité de notre Roi qui est toujours ouvert au dialogue, un homme de paix qui a toujours la main tendue. Il y a aussi beaucoup d'artistes marocains qui viennent chanter en Israël. Les Marocains sont chez eux en Israël, c'est leur pays. J'espère pouvoir voir beaucoup d'échanges culturels entre ces deux pays.
Bien que soyez né en France, à Paris, vous êtes resté très attaché aux origines fassies de votre père. Comment est-ce que vos origines ont pu inspirer votre carrière artistique ?
Je ne m'arrête jamais de travailler et je ne dis jamais non. Je suis toujours disponible pour tout le monde et je réponds toujours à tout le monde. Je privilégie le rapport humain et les relations à quelconque profit personnel.
Vous dites souvent « Soyez vous-mêmes parce que les autres sont déjà pris » (Hernest Hemingway). C'est important pour vous de ne pas oublier d'où vous venez ? Je n'oublierais jamais d'où je viens. Le Maroc est ma patrie et plus j'avance, plus j'ai envie du Maroc. Je veux donner aux Marocains tout ce que j'ai appris à l'étranger pour en faire bénéficier la jeunesse marocaine. On a une chance d'être soi-même et peut être que si je n'étais pas marocain, je n'aurais peut-être pas eu cette envie et cette créativité.
Vous n'hésitez pas à introduire des sons orientaux dans votre musique et vous avez même chanté un air d'Othello -version de Verdi- adapté avec des arrangements marocains. Est-ce que c'était facile ? Je cherchais comment introduire le Maroc dans le théâtre classique et en particulier avec Shakespeare. Cela n'était pas facile, mais ça s'est fait naturellement car j'ai toujours senti en Othello une couleur orientale et marocaine. De plus le personnage d'Othello fut inspiré à Shakespeare par le sultan du Maroc. Je viens de terminer une adaptation de Carmen dans un style Marocain que j'espère apporter au Maroc bientôt.
Vous avez bifurqué d'un chanteur de Pop et Variété à celui d'Opéra ? Pourquoi ? Je faisais du théâtre et je chantais de la variété, on m'a conseillé de faire des comédies musicales. Puis au fur et mesure que ma voix s'est développée, on m'a dit : « tu as une voix pour l'opéra ». Je ne savais pas si baryton était le nom d'un poisson (rires). Être baryton me permet d'interpréter plusieurs genres de rôles.
Vous êtes à la fois chanteur, musicien et producteur. Quel métier vous ressemble le plus ? et pourquoi ? Je suis avant tout un passionné par les gens. Être producteur est pour moi une manière de rassembler ce que j'aime : une œuvre, une salle, des gens, des artistes… Chaque production est une aventure humaine unique.
Quel est votre rapport à la scène ? Je ne peux pas vivre sans la scène, sans les gens. Mais j'ai appris à être créatif en dehors de la scène. J'aime beaucoup enregistrer et produire des albums. J'ai mon propre label de musique et j'ai signé plusieurs artistes américains. Je souhaiterais d'ailleurs signer et développer des artistes marocains. J'ai créé le Festival de musique sépharades à New York, où j'ai invité plusieurs artistes marocains.
Pourquoi avoir choisi de vous installer à New York ?
New York est la ville de l'exigence qui m'a toujours fait rêver. « If I can make it there, I'll make it anywhere ». C'est aussi un melting pot social important, j'ai pu rencontrer des gens de pays que je n'aurais jamais rencontré en France, ainsi que des cultures. C'est aussi la ville de l'American Dream, du rêve américain, où il y a constamment de nouveaux défis à remporter, c'est ce dont j'ai besoin.
Vous avez joué plus de 50 rôles. Lequel vous affectionnez le plus et pourquoi ? Je me suis rendu spécialiste des rôles : Shylock, Othello, Cyrano, que j'aimerais venir jouer en français au Maroc ! J'aime Cyrano car il est rendu beau par son talent, il souhaitait exceller en tout pour masquer son apparence physique. Othello pour sa force, Shylock pour sa vengeance. J'ai aussi beaucoup de passion pour Napoléon, que j'ai beaucoup joué et dont j'ai beaucoup étudié la vie. J'ai d'ailleurs écrit un livre et une pièce sur lui. J'aimerais explorer les œuvres du théâtre marocain.
En 2019, vous avez offert au Musée du judaïsme marocain de Casablanca de précieux objets que vous avez collectionnés durant ces 15 dernières années. En quoi ce geste est si symbolique pour vous ? Ces objets ont été façonnés par des artisans marocains et leur place mérite d'être dans un musée Marocain. Grâce à Zhor Rehihil, la conservatrice du musée, j'ai pu créer cette donation et d'autres en suivront. Les Juifs font partie de la culture du Maroc et de son histoire. Le Roi Feu Mohammed V a protégé les Juifs durant la 2ème guerre mondiale et nous lui en sommes éternellement reconnaissants. Sa Majesté Hassan II et sa Majesté Mohammed VI cultivent cette tradition de l'histoire juive marocaine avec la création de musées à travers le royaume. L'attachement de Sa Majesté envers tous ses sujets a créé un lien éternel et je rêve de venir chanter pour lui. Avec Mehdi Qotbi, Président de la Fondation Nationale des Musées, je souhaite également apporter tout ce qui est possible pour la contribution des musées marocains.
Vous avez d'autres projets pour le Maroc ?
Je souhaite monter la première troupe d'Opéra Royale du Maroc et y apporter mes adaptations marocaines de classiques telles que Othello, Carmen, Don Giovanni. Le tout joué par des chanteurs d'opéra et musiciens Marocains.
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