Encore un 8 mars. Mais certainement pas un 8 mars comme les autres. Voilà bientôt dix ans déjà, un nouveau Code de la famille impulsé par le Souverain mettait fin, relativement, à une ségrégation anachronique envers la femme marocaine. En juillet 2011, la nouvelle Constitution, avalisée par un large plébiscite populaire, venait confirmer la pleine citoyenneté de la moitié de la société marocaine. Un certain sexisme demeure néanmoins dans les lois. Mais toucher aux clauses sur l'héritage, sur la polygamie, ou encore sur le mariage à un non-musulman (interdit pour les femmes marocaines musulmanes), sans risquer une virulente levée de boucliers de la part des larges franges traditionnalistes de la société marocaine, est plus qu'improbable. Encore plus improbable alors que conservateurs et islamistes ont remporté les dernières législatives et que le gouvernement Benkirane compte une seule femme, de surcroît membre du parti de la lanterne. Dans la sphère politique, les partis, les syndicats, comme dans la rue, la femme est toujours persona non grata. Mieux, ils sont 84% de Marocains, femmes comme hommes, à estimer qu'il ne faudrait pas donner davantage de droits à leurs concitoyennes, car cette égalité «importée» de l'Occident est étrangère aux traditions marocaines et à la religion musulmane. A leurs yeux, les femmes sont allées trop loin, trop vite, dans la conquête dérangeante – car castratrice – de terrains qui étaient jusquelà acquis au patriarcat dominant. Si les militants de l'égalité des sexes doivent encore se retrousser les manches pour convaincre les législateurs, mais également les magistrats, de la justesse de leur combat dans la construction d'un Maroc méritocratique pour tous les genres, sur le terrain c'est une autre réalité, encore plus insidieuse, qui se construit. La pénible réalité quotidienne de millions de Marocaines actives et mères de famille, étouffant sous le poids conjugué de leur double journée, et de leur triple responsabilité d'épouse, de mère et de salariée. Ou comment, en moins de 50 ans, l'émancipation arrachée par leurs aînées a viré en un esclavage qui ne dit pas son nom pour leurs filles et leurs petites-filles. Et les hommes dans tout cela ? Ils contribuent pour beaucoup à continuer à faire de leurs épouses les monopolisatrices malgré elles des activités domestiques, ménagères comme éducatives, leur propre mère leur ayant inculqué le même modèle. D'aucuns plaident «l'incompétence domestique» supposée inhérente à leur masculinité, tout en demandant à leur compagne de participer pleinement aux charges matérielles du foyer. «Vous vouliez l'égalité ? Alors trinquez maintenant !», est devenu en quelque sorte le slogan de ces maris et pères démissionnaires, soulagés par une libération des femmes qui se fait finalement largement en leur faveur. Cet esclavage du quotidien est tel qu'il va jusqu'à faire regretter leur statut de femme moderne à nombre de Marocaines, qui se prennent alors de nostalgie pour le Maroc d'avant l'indépendance, celui de filles et de mères analphabètes «mais tranquilles», car entièrement entretenues par leur père puis leur mari. Or remettre en question la lutte féministe sous prétexte qu'elle serait éculée, est une vision fausse, voire hautement dangereuse pour les libertés individuelles et civiques durement acquises par ces dernières, et dans un plus large spectre, pour le développement de la Nation tout entière. Ce qu'il faut désormais questionner, c'est une organisation du travail sexiste à l'extérieur comme à l'intérieur du foyer. En effet, comme en appellent nos interlocuteurs tout au long de ce dossier, aujourd'hui, ce n'est pas juste la Femme ou l'Homme marocains qu'il faut redéfinir, mais tout le couple marocain qu'il faut réinventer. En incitant, dès l'enfance, les garçons à investir davantage l'espace privé, comme les filles vont de plus en plus vers l'espace public, sans que chacun y perde de sa virilité ou de sa féminité. En désexualisant les tâches domestiques comme professionnelles. Enfin, en introduisant cet esprit égalitariste dans les administrations publiques et les sociétés privées- via des dispositions qui briseraient le plafond de verre freinant l'ascension des femmes – par le biais notamment d'horaires mieux aménagés, de congés paternels et de crèches d'entreprises. En somme, trouver un nouvel équilibre pour «le couple national», plus égalitaire et plus juste, socle indispensable au Maroc moderne de demain. MOUNA IZDDINE Pas d'articles associés.